Magie : Le revenant

- Ryo voit les morts qui errent parmi les vivants. Il peut accéder à leur connaissance en leur parlant par la pensée. Il peut aussi les rendre visible aux yeux des personnes autour desquels ils gravitent - leurs proches, souvent, ou alors leurs ennemis.

- Il peut donner une mission à un mort en passant un pacte avec lui. La contrepartie peut être de faire passer un message à un vivant (ça c'est facile), accomplir une tâche (ça c'est parfois chiant) ou... de se laisser posséder l'espace d'une heure (ça c'est dangereux pour son propre camp). Ryo ne peut pas échapper au pacte une fois établie. S'il ne réalise pas les termes d'un contrat, le mort peut le posséder une journée entière.

- Il peut canaliser l'énergie des morts dans ses mains et l'envoyer sous forme de puissante énergie/flamme bleue.

- Il peut s'infliger une auto-crémation et se faire poussière en moins de trois secondes. Ses restes retournent à la terre et y voyage. Il peut se recomposer plus loin. C'est une forme de téléportation, mais moins rapide et qui ne porte que sur une centaine de mètres, pas plus. Il l'utilise quand il est coincé.

Incroyable comme tout semble insignifiant, quand on est mort. Essayez, vous verrez. La vie devient une blague insipide, surtout celle des autres. Ryo, n’en a strictement rien à faire de presque tout — y compris de ses créateurs. Il arbore cette insolence glaciale de ceux qui n'ont plus rien à perdre, rien à craindre. Son respect, il le garde pour le très, très peu de personnes qu'il juge dignes. Croisez-le dans un moment rare où il n'est pas en train de décimer, et vous trouverez un homme d'une tranquillité dérangeante, presque paresseuse. Un fleuve calme, impénétrable, parcimonieux en mots. Rien ne semble l’atteindre, tout glisse sur lui, tout l'indiffère. Mais ne vous y trompez pas : il voit tout. Et si jamais quelque chose lui échappe, il y a bien souvent un défunt flottant dans le coin pour qui ce n'est pas le cas.

Ryo est l'incarnation même du détachement, avec une confiance et un flegme qui semblent inébranlables. Il ne prend pas ce monde suffisamment au sérieux pour se permettre la colère. Habituellement, les importuns sont morts bien avant que son humeur ne tourne,  il ne gaspille pas son temps avec les cons. Une arrogance naturelle s'écoule de lui, comme s'il n'avait jamais croisé sa gueule détruite dans un miroir. Comme si c'était normal d'être tel qu'il est.

Il s'en cache bien, mais sous cette carapace, il est rongé par le dégoût de lui-même. Il sait qu'il est pourri, qu'il n'est qu'un monstre, il sait qu'il ne vaut rien. Peut-être même que ce cœur qui bat dans sa poitrine n'est qu'une illusion cruelle, et que respirer n'est rien de plus qu'une habitude, pas vraiment une nécessité, juste un écho confortable de ce qu'il était autrefois.

Il est une épave, mais finalement, qui ne l'est pas ? Chacun porte sa propre monstruosité, sa propre répugnance. Peut-être est-ce là la raison pour laquelle Ryo garde si facilement la face. Quand il tranche, tue, et détruit, il se sent pleinement vivant, et d'une certaine manière, supérieur. Avoir le pouvoir de décider de la vie et de la mort d'autrui, n'est-ce pas là toucher au divin, se rapprocher de cette reine sublime ? Il a un sérieux problème avec le genre humain. Peut-être parce qu'il ne l'est plus, peut-être parce qu'il les envie. Une chose est sûre, cependant : le massacre et la souffrance des autres est pour lui un plaisir coupable, à la fois un passe-temps et une catharsis.

Ryo se considère chanceux, il n'est pas, comme la plupart des fantômes qu'il croise, une âme perdue errant sans but. Sa vie n'avait aucun sens, mais sa mort en a un. Il œuvre pour quelque chose de grand, de beau, quelque chose qui le dépasse. Certain diront de lui qu'il n'est qu'un misérable pantin, mais tout le monde est misérable, à deux exceptions près. Devant Nyx, et devant la femme qu'il aime, on voit un autre aspect de l'homme. Des facettes cachées qu'on n'aurait jamais cru possibles. Loin de l'insolence et de l'indifférence habituelles, il devient tout ouïe, docile, d'une patience extraordinaire. Dans ces moments, il semble presque humain, presque digne de ce qu'il sert, démontrant que même les ombres les plus sombres peuvent parfois refléter un peu de lumière.

X790 - Île Condor
Ryosuke, depuis le début de cette réunion de bureaucrates, était sur le point d'exploser. Il n'était pas là pour écouter des vieillards se gargariser de leur propre éloquence. C'était un homme d'actions, pas de paroles. Il y a cinq ans, rien n'aurait pu prédire qu'il se retrouverait là, à part peut-être ce potentiel magique ridicule qu'il partageait avec tous les autres membres du Conseil. Pour lui, la politique c'était une merde sur ses épaules, et il l'aurait balancée par la fenêtre sans aucun remords. Mais, comme le radotait le doyen dans ses discours interminables, les types qui en ont rien à foutre du pouvoir sont précisément ceux qui devraient le manier.

Ce jour-là, avec une ironie cinglante, le Conseil avait décidé d'ignorer Nyx, qui régnait déjà sur presque tout Solest et avait entamé la conquête du nord. Peut-être que quelques-uns se disaient dans un coin de leur tête qu'elle n'était pas la pire des dirigeantes. Ils auraient vite fait de le regretter. La vedette du jour, c'était Skyadrum. Ses hordes sauvages maintenaient les villes sous son poing, et les pauvres âmes d'Earthland étaient laissées à sa merci—un drame qui préoccupait davantage le conseil, soi-disant à cause de l'urgence de la situation.

Ils s'étaient tous réunis pour mijoter une attaque sur Lestallum, histoire de reprendre la ville, ou à tout le moins, d'essayer de libérer quelques malheureux prisonniers. Ils en parlaient comme si le simple fait d'en discuter allait changer quelque chose. Ces prétendues pointures de la Résistance semblaient oublier qu'il suffisait juste de frapper là où Skyadrum n'était pas—donc probablement pas cette ville, mais ailleurs. Ils devaient agir avant qu'il ne rapplique. En somme, être là, sur le terrain, et passer à l'action au lieu de perdre leur temps à planifier ou, pire encore, à philosopher sur le bien-fondé de leurs stratégies.

Il entendit son prénom, on demandait son avis sur un point qu’il n'avait pas écouté. Le « qu’en penses-tu, Ryosuke? » plana dans l'air un moment. Il jeta un pavé dans la mare. « Je pense qu’à force de parler, on va finir par oublier comment se battre. » Ryosuke était du genre à foncer tête baissée, une vraie boule de destruction, peut-être à cause d'une enfance trop douce, trop parfaite pendant dix-neuf ans à Earthland. Pour donner une idée du calme plat de cette vie, disons qu'il s'était mis sérieusement à la magie juste pour clouer le bec de son frère aîné, Daemen. C'était ce dernier qui aurait dû être ici, pas lui. Daemen, c'était le penseur, celui qui aimait trop entendre sa propre voix, celui qui rêvait de marcher dans les pas d'un certain Gildarts, une légende. C'est beau de rêver. Il avait absorbé la magie à travers les livres, tandis que Ryosuke l'avait apprivoisée par l'instinct, sur le terrain. Il faut dire qu'il avait commencé avec un don incroyable, une sorte de coup de pouce de la nature. Certains sont nés avec ça, et tout leur semble facile; les autres doivent suer sang et eau pour suivre le rythme. Mais Ryosuke, malgré son talent brut, n'avait jamais pris la voie facile. Pour lui, la vraie façon de gagner, c'était de se salir les mains, de se lancer dans la mêlée. Peut-être que, finalement, il y avait un brin de sagesse dans cette tête brûlée.

Avec le changement brutal de monde, il avait été forcé de mûrir en un claquement de doigts. Il venait d'un coin où, même si les mages noirs rôdaient, il y avait toujours une guilde pour couvrir les autres. À Edoras, ça marchait pas si bien. Ryosuke était sans repère. Plus de maison à laquelle rentrer, plus de figures assez fortes pour faire disparaître la menace, juste une chasse à l'homme sans merci. C’est là que Daemen avait été rafflé. C’est là, aussi, que Ryosuke avait laissé mourir le dernier morceau d'insouciance qui lui restait. Sauver son frère était devenu son combat, un engagement corps et âme dans le camp de Mystogan, une croisade personnelle. Il était parvenu à le tirer du laboratoire où il était enchaîné et, pour garder sa famille en sécurité, Ryosuke avait poursuivi le combat.

Ses prouesses l'avaient rapidement propulsé comme un des limiers fétiches du roi et du conseil. Et puis, avec la mort d'un membre, il s'était retrouvé à prendre un siège qu’il n’avait jamais vraiment convoité. Avec tous ces grands mages qui tombaient comme des mouches, dont Jura, il n’y avait pas foule pour briguer la place.

Son souvenir le plus vif de cette journée fut l'explosion. Une déflagration monstrueuse, un enfer de flammes dévorantes qui surgit sans prévenir. Condor était une citadelle, un bastion érigé à l'image de la Cité Royale, censée être aussi impénétrable. Ils n'avaient rien vu venir. Ryosuke se releva des décombres, écorché, mais pas encore vaincu. Autour de lui, le chaos régnait, l'air était saturé de cendres.

Elle était là, la reine, dans toute sa splendeur, entourée de sa garde d'élite. Ryosuke, dernier debout, un roc amidonné de rage et de détermination, ne recula pas. Mais ils étaient trop nombreux, on ne lui laissa aucune chance. Les lames le déchiquetèrent autant que les flammes l'avaient brûlé, mordant la chair et le tissu sans distinction. Un coup brutal lui arracha la mâchoire. Il la vit tomber à ses pieds avant de sombrer. Trou noir.

Le coma s'étira sur plusieurs jours. Ryosuke mourut dans ce sous-sol, tandis qu'un monstre venait de naître. Plusieurs fois, la souffrance le réveilla, la douleur le frappait par vagues, si aiguë qu'il ne pouvait pas la crier. Elle restait coincée dans sa gorge, se muant en faibles gémissements d'agonie dont tout le monde se foutait. Dan et Malik réussirent à le tirer du grand répit, pour son plus grand malheur. Avec le temps, il n'était plus sûr si c'était lui qui s'était habitué à la douleur, ou si elle avait simplement diminué. La première fois qu'il se redressa sur la table métallique où il reposait, Ryo fut désorienté. Était-il en enfer ? Il ne croyait pas en l'existence d'une telle chose.

Je ne dois pas être mort. Je ne souffrirai pas autant si j'étais mort.
À peine cette pensée formulée, quelqu'un y répondit :
« Ça ne veut rien dire, moi je souffre depuis des années et pourtant... »

C'est alors que Ryo l'aperçut, un spectre, une tête à moitié arrachée. Le premier qu'il voyait d'une très longue liste. Celui-là était une victime de Malik qui collait au cul de celui-ci depuis un certain temps et qui n'avait pas trouvé la paix, rongé par le désir de vengeance. Malik était présent d'ailleurs, observant sa création, avec son acolyte Dan à ses côtés. Les maîtres de Ryo lui ordonnèrent de se lever. C'est à ce nom qu'il répondait, désormais. Il s'exécuta, comme un bon petit soldat programmé. Torse nu, Ryo jeta un œil à ses bras décharnés. Pas un frisson, pas un cri face à l'horreur. Il n'en avait pas le droit, pas plus que la force. A trop rester debout, ses jambes manquèrent de lâcher. Ils le prirent en pitié et le laissèrent à nouveau dans un sommeil sans rêves. À son réveil, sa première pensée fut pour sa reine. Est-ce qu'elle va bien ?  A-t-elle besoin de moi ? Le pantin avait changé de main.

Il jaugea ceux qu'il voyait auparavant comme ses maîtres, et qui n'étaient aujourd'hui rien de plus que deux clowns qui l'observaient un peu trop intensément. « Vous pouvez mater autant que vous voulez, les gars, y aura pas de plan à trois. Cassez-vous. » Dan et Malik purent se congratuler d'avoir réussi à céder les commandes à leur reine.

L'obéissance du monstre fut mise à l'épreuve lors de l'assaut sur Altissia, une des dernières cités du sud à tenir tête à Soul Reaper. Ryo fut propulsé en première ligne juste au moment où la barrière magique de la ville volait en éclats. Plus effrayant encore que son allure de cauchemar, c'était la vision du célèbre mage sacré, avec sa face putréfiée et son regard vide, qui brisa le moral des défenseurs avant même que son assaut ne commence. La vague de flammes bleues déferla. Cette entrée en matière dut bien faire sourire ses créateurs, qui avaient un goût prononcé pour le spectacle. Le monstre de foire était lâché.

Après ce carnage, Ryo se vit accorder un répit, une pause qui le déconcerta. Libéré pour un moment, il découvrit une chose troublante : son libre-arbitre. Avait-il vraiment une volonté propre ? Seul face à son reflet dans le miroir, il examina le cadavre ambulant qu’il était devenu. Il saisit enfin la terreur qu'il inspirait, cette peur qu'il voyait dans les yeux de ses adversaires, et comprit pourquoi même ses alliés évitaient son regard. Il était une abomination. Cependant, son existence n'était pas dénuée de sens. Il avait des raisons de vivre, de combattre. Pour une chose de sa trempe, cela semblait presque un luxe. Servir, puis disparaître. Est-ce qu'un monstre tel que lui pouvait aspirer à plus ? Non.