« Sieg, p’tit frère. Tu d’vrais apprendre à te détendre parfois. Tu fais fuir tout l’monde avec ta tête de renfermé.- … Je suis détendu, grand frère.- Haha, t’es toujours autant impassible, ça en d’vient un problème t’sais ? C’était marrant d’jouer les taciturnes quand on était encore gamins, mais on d’vient des adultes bientôt. Suit l’exemple de ton grand frère et soit plus cool. J’conçois bien qu’les supérieurs vont pas trop apprécier que leur fier soldat modèle finit par s’faire entacher par son frangin, mais tu trouves pas qu’ça serait con de d’venir coincé comme eux, avec un p’tain de balai dans l’cul ?- Je vais essayer, grand frère.- Tss. Tu dis toujours ça et me suit comme un gentil toutou, mais tu changes jamais Sieg. M’enfin, j’imagine que c’est mieux comme ça. T’es du genre à faire n’importe quoi si j’suis pas là pour t’guider. Mais t’sais, tu d’vrais vivre un peu pour toi-même plutôt qu’être mon ombre. J’sais bien qu’tu voulais pas entrer dans l’armée.- Si je ne me trouve point à tes côtés, où pourrais-je bien aller, grand frère ?- … Ouais, j’me l’demande parfois. Mais bon, on est ensemble donc pas de tracas haha ! »L’idée de ne plus suivre les traces de mon frère ne m’était jamais venu à l’esprit. Il avait toujours été mon guide depuis que nos parents nous avaient honteusement abandonné dans cette décharge immonde. Depuis lors, son soutien fut primordial pour que mon esprit ne flanche pas. Bien que je ne comprenais guère certaines de ces décisions, je ne pouvais qu’admettre qu’elles avaient pu nous mener jusqu’à un meilleur futur, peut-être bien meilleur que le destin que je nous imaginais.
« Hey, Sieg. Crève pas. T’es la seule famille qui m’reste après tout. Après cette expérience, on s’ra sans aucun doute les meilleurs du monde, nous deux. »Encore une fois, je n’arrivais aucunement à incorporer les raisons pour lesquels on devait forcément participer à cette folie, mais je faisais entièrement confiance à la personne qui avait réussi à nous extirper de notre sombre passé.
« Mais sérieux, p’tit frère. Après ça, tu d’vrais vraiment faire ce que t’as envie t’faire, sans restriction. Ça m’peine parfois de t’voir m’suivre sans réfléchir. En tant que grand frère, j’suis flatté t’savoir qu’mon frangin compte sur moi mais… T’as jamais fait un truc qui t’fais vraiment plaisir donc réfléchit à ça un peu. Le frère du grand Shaporo, futur grand commandant, ne peut pas être malheureux ! »
Un léger soupir s’échappa de ma bouche. Bien que le même sang coulait dans nos veines, nos mentalités étaient bien différentes malgré une histoire identique. Je ne comprenais pas comment mon frère avait pu évoluer pour devenir aussi vivace et expressif. Je le respectais évidemment pour démontrer autant de force et de clairvoyance, mais il était vrai que je le détestais réellement, son état d’âme étant bien trop contradictoire par rapport au mien. Malgré tout, je ne pouvais m’empêcher de dépendre de lui.
« Par ailleurs, grand frère j’ai entendu dire que ce genre d’expérience n’était pas à procéder en groupe, ni même en duo… Pourquoi notre cas diffère-t-il de la norme ?- Mmh… Ça doit être parce qu’on est jumeau, un truc du genre ? J’crois pas que y’ait déjà eu des tests sur des frères et sœurs non plus. Les chercheurs ont dû trouver un truc à faire. »Un mauvais présage envahissait mon essence, une sensation effleurant le cœur de mon être. Pourtant, j’ignorais ce sentiment lorsque mon regard se posa sur les yeux flamboyants de mon semblable. Une fois encore, je me devais de croire en ses convictions et son assurance, d’autant plus que j’admettais que la résultante de ce chaos m’intriguait fortement, mon cœur battant à l’idée d’améliorer mes forces existantes.
La plupart des énergumènes savaient ce qu’ils encouraient lorsqu’ils accouraient auprès de ces sérums afin de satisfaire leur désir de puissance, tandis que certains autres n’eurent guère le choix que d’accepter ces conditions, priant afin de pouvoir en sortir indemne. Quoi qu’il en soit, la malice s’était emparée des lieux. Des rires déjantés s’étendaient sur un écho perturbateur alors que l’on nous conduisaient vers la pièce qui nous servirait potentiellement de salle d’exécution.
« … Crève pas, p’tit frère. »Un murmure à peine perceptible alors que ses sourcils se fronçaient progressivement en percevant l’ampleur de la situation. Son regard scrutant les pièces que l’on dépassaient au fur et à mesure que l’on avançait, sa vision essayant probablement de percevoir les malheurs des différents sujets d’expérience pour se préparer à son propre cas. Mes iris glissèrent alors sur les côtés afin d’en faire de même, mais mon flegme couplée à ma nature désintéressée me fit rapidement abandonner l’idée d’être attentif à mon entourage.
Notre destination se trouvait non loin dans ce laboratoire, une pièce renfermée où il n’existait aucun échappatoire possible. Nous, heureux chanceux soldats, étions les premiers à pouvoir recevoir ce genre de traitements d’après les superviseurs. Évidemment, comme l’avait pu le supposer mon frère, nous étions aussi les seuls jumeaux qu’ils avaient à disposition, ce qui leur offrait des possibilités différentes pour des résultats qui pourraient surprendre tout le monde. C’était une chance pour eux de faire une percée dans leur recherche.
Le début ne se fit pas tarder. Aucune douleur perceptible ne venait déranger ma quiétude les premières minutes, avec seul un picotement désagréable se faufilant le long de ma dextre. Puis, les expérimentations se complexifièrent. D’abord basique, puis requérant ensuite une coopération entre frère jusqu’à forcer l’usage d’un étrange équipement pour enrichir l’expérience.
L’outil décuplait notre souffrance grandissante, nous procurant un supplice difficile à supporter. Si je faisais l’effort de taire ma voix en premier temps, mes peines s’intensifièrent suffisamment pour que des suppliques se mêlent à des pleures dans le second temps. Le dosage était trop puissant pour moi, ou l’installation me prenait en martyre par rapport à mon comparse qui arrivait encore à supporter ce mal. Avant que je ne perde la raison, ma vision brumeuse put entrevoir mon frère adresser quelques mots que je ne discernais aucunement.
Puis, le néant. Des ténèbres qui ne durèrent que quelques minutes, mais qui suffirent pour me faire perdre la notion du temps un long moment. Lorsque je revins à moi, un soupir de soulagement s’extirpa de ma bouche avant que je ne recentre ma focalisation sur l’emplacement où se trouve le second Lumiveil, probablement encore dans les vapes.
Inerte. Une minute… Deux. Trois…
« Grand frère ? »De soudaines nausées vinrent ternir une nouvelle fois ma vision, tandis que d’étranges convulsions me prirent au même moment où le corps de l’autre entité dans la pièce tremblait. Une agitation brusque qui dura plusieurs minutes, instant où ma raison cessa d’exister à jamais.
Mes paupières s’ouvrirent pour constater l’ampleur des dégâts. J’avais survécu à ce maléfice. Mais qu’en était-il de mon… Petit frère ? Non, c’était mon grand frère non ? Je…
« … L’expérience est un semi-échec, d’autant plus que l’un d’eux n’a pas survécu. Mais les données vont nous être utiles… »J’avais pu entendre cette bride de phrase au travers de la porte, ce qui porta naturellement mon attention vers mon frère. Mes mouvements, bien que difficiles, purent me mener jusque lui pour constater de son inconscience totale. Quelques gestes forts accompagnés de plusieurs sanglots alourdissait l’atmosphère déjà pesante.
« Grand frère, pourquoi… Tu n’aurais pas dû… Grand frère S-sieg… ? Arg ! »Peut-être était-ce encore des conséquences de cette expérience, mais une migraine fulgurante vint couper mes pensées.
« Hey, toi. T’es l’un des heureux élus qui a survécu hein. Dommage que ton frère ait perdu la vie, lui qui était si fier et sûr de lui. Malheureusement on pourra pas voir si nos modifications fonctionnent dans votre cas, mais au moins tu as la base de tous les renforcements habituels. »… Cet enfoiré. Je…
« Bon. On va vérifier quelques petites choses. Comment tu t’appelles ?- … Sjkqsflkjekaf…- Mmh ?- J’suis Shaporo, ‘culé !- … Intéressant. »Je perdis de nouveau conscience.
Ma tête m’faisait un mal de chien. J’comprenais pas les raisons qui poussaient mon p’tain d’esprit à s’couper d’un coup. C’comme si j’disais des conneries et qu’y’a un châtiment divin qui survenait. D’habitude c’est l’alcool qui m’bute comme ça… Attend ? J’bois moi ? C’pas plutôt mon frère ? S-sieg !
« ‘Foiré ! Qu’est-ce que vous avez foutu !? Où est mon frangin ? »Je me trouvais plus dans la salle d’expérimentation, mais dans un genre de lieu de repos, ou je ne sais quoi. En tout cas, mon grand frère n’était plus là. J’pouvais toujours pas confirmer s’il était vivant ou s’il m’avait lâché alors que c’était lui qui insistait pour m’interdire de crever.
Putain, j’ai encore mal au crâne. Nah, pour être honnête, j’ai mal partout, comme si c’est toute mon essence qui est touchée. Je… Merde… J’vais y passer aussi.
Un réveil tinté d’amertume, exhalation abrupte qui se complémentait avec des inspirations aussi saccadée. Les récents événements n’avaient l’air de provenir que de mauvais rêves, mais un simple jet de regard suffisait à m’affirmer le contraire. Mes migraines cessèrent, mon corps reprenait doucement en vigueur. Les tourments qui éprouvaient mon physique disparurent au profit d’un anéantissement moral.
Seul un silence hante mes pensées, comme s’il n’y avait rien à l’intérieur de mon âme. Je ne savais pas pourquoi j’avais autrefois rêvé d’une telle vue. Qu’est-ce qui s’était mal passé ?
----------------
J’avais payé, j’avais vendu mon âme, que me restait-il quand j’avais tout abandonné ? Ces paysages changeants ne signifiaient rien pour moi. Un gouffre d’ennui impossible à combler, mes activités dans l’armée royale ne satisfaisant plus mes desseins, sombres aspirations qui se teintaient d’une folie grandissante. Une lassitude simple à déceler, mes désirs de liberté prenant le dessus sur la majorité de mes actes. Seule mon appartenance à cette résistance demeurait contre mes envies par respect envers un défunt que je ne pouvais oublier, un frère qui hantait encore mes réflexions.
Quelques années s’étaient écoulées depuis cette tragédie dont les souvenirs me restaient encore flous. Malgré tout, je continuais encore de suivre ses pas. Ma persistance à garder ma place au sein de l’armée était due aux ambitions que possédaient mon frère, un futur où il s’imaginait prendre la place de meilleur commandant à mes côtés. Ce rêve m’était complètement égal, à titre personnel… Mais… Quelque chose au fond de moi trépignait à l’idée de l’accomplir.
Depuis ce jour fatidique, je ressentais ces étranges perturbations, comme si mon propre corps ne m’appartenait pas. Mon idiosyncrasie distincte s’était attachée à des valeurs que je détestais purement, sans que je ne puisse m’en défaire. Comme cette arme absurde reposant uniquement sur la chance… Au contraire de mon frère, je haïssais cet aspect aléatoire, mais je ne pouvais abandonner l’usage de cet équipement, de son arsenal… Le pire étant que j’arrivais à m’en servir malgré moi, comme si cette relique insensée m’avait toujours appartenu.
Après avoir défait des Earthlandais avec, ayant participé à la chasse à l’homme organisée par l’ancien roi, il me fallait combattre des guildes noires osant s’approprier le territoire royal pour eux. Me battre contre leurs idéaux malgré le fait que je les respecte tout autant. Peut-être devrais-je complètement vivre pour moi-même, comme l’avait suggéré S… Sieg. Arf…
Non ! J’pouvais pas faire une chose pareille, certainement pas ! Qu’en est-il de tous mes amis au sein de la résistance ? Et c’est pas comme si c’était vraiment juste de puiser l’essence d’étrangers pour nourrir nos terres… J’pouvais vraiment pas considérer les rejoindre ! Pour quelle stupide raison j’le ferais ? Bordel.
Mais peut-être était-ce une idée suffisamment intéressante à explorer afin que l’on puisse regagner du terrain. Le statut quo ne risquait pas de durer indéfiniment. Me tenir aux côtés des ennemis afin de prendre connaissance de leurs agissements, et envoyer secrètement et anonymement des informations pour la résistance. Je pouvais au moins me permettre cette folie, n’est-ce pas ?
Sans doute avais-je besoin d’une brise changeante, un zéphyr capable de raviver la flamme maintenant mes ardeurs. Ou faisais-je tout simplement parti des cas désespérés, l’insatisfaction rongeant l’essence de mon être tout en ne sachant aucunement les raisons de cette exaspérante insatiabilité.
Quoi qu’il en soit, ce n’était pas un simple coup de tête. L’idée de quitter l’armée, ou du moins de m’en éloigner un temps, me poursuivait inlassablement depuis des années, et je profitais uniquement de la situation pour me permettre de le faire en romançant mes actes. De fait, mon for intérieur restait encore en conflit avec ces élucubrations que j’exposais pour apaiser cette part extrinsèque de ma véritable nature.
Qu’importe, ma décision était prise. Les principales complications étaient évidemment d’apporter une confiance initiale envers des personnages que je pourrais appeler camarades, mais qui pour l’heure ne me connaissaient qu’en tant qu’ennemi. Interagir avec de simples membres n’allaient aucunement pouvoir m’aider non plus, il fallait au moins que je puisse échanger avec une personne d’importance. Je portais avec moi quelques informations qui pourraient m’aider à l’intégration, même si je resterais fortement surveillé par eux…
Fait chier ! J’avais vraiment pas envie de foutre le bordel avec un plan aussi débile. Mais c’trop tard pour reculer. Avant que je m’en aperçoive, j’étais déjà tout proche de ces fanatiques d’Soul Reaper. Tch. J’imagine que c’est légèrement mieux que ces merdeux de Blood Moon. P’tain, j’me déteste.
Je me haïssais véritablement. Ces sentiments contradictoires ne faisaient que croître cette sempiternelle haine. Je voulais vivre comme je le souhaitais… Mais qu’est-ce que j’espérais au juste ? Qu’aspirais-je à devenir ? Je savais que ma place au sein de la résistance me portait faiblement en répulsion, mais je n’étais certain de rien étant donné que…
J’les adore vraiment aussi. Certaines têtes vont vraiment me manquer.
Grand frère… Pourquoi avais-tu décidé de me quitter pour me laisser arpenter cette peine seul ? J’abhorre l’idée de me dire que ta présence me manque, mais tout était bien plus simple lorsque j’étais dans ton ombre. Bien qu’il était aussi vrai que j’avais toujours l’impression de t’entendre déblatérer des idioties pour me tenir à l’ordre. Mais, j’allais finalement suivre ton conseil, mon frère. Mon cœur dirigera mes actes, et non plus ma raison. Même si je n’étais pas certain de ce que je souhaitais, je savais ce que je n’aimais pas. Je ne plierais plus l’échine pour satisfaire la moralité ou le devoir. Je ne fuirais plus mes désirs.
Et pourtant, je m’éloignes de…
La ferme. Ta voix me répugne. Sigh. Ce genre de pensées n’était pas mien. J’arrivais à le discerner par moment. C’était évidemment de ce phénomène que je mentionnais lorsque j’évoquais le fait que mon frère me hantait encore. Je ne savais pas si je devenais complètement fou, ou s’il existait encore véritablement au fond de moi, mais je ne voulais pas le découvrir. Pour être honnête, ce sujet m’effrayait, alors je prenais plaisir à faire taire ces ridicules excès de folie.
Dans tous les cas, j’avais pu astreindre mes supérieurs à consentir à ma décision d’explorer l’environnement de certains de nos ennemis en proclamant un changement de camp, ce qui poserait tous les regards sur moi, et me mettrait dans une délicate position… Mais c’était pour moi davantage une joie de valser aussi dangereusement avec le danger qu’une angoisse inextricable.
----------------
Anormale obnubilation envers ce royaume que j’avais aidé à s’expandre… Ou simple véritable attachement ? Voilà approximativement une année que j'avais proposé mes services pour la reine de la nuit. Même si je n’oubliais pas l’objectif initial que je m’étais convenu, je prenais aussi soin de ne rien laisser transparaître à qui que ce soit. Mes anciens alliés, mes nouveaux camarades… Et même ma propre personne.
Toutefois, je tenais mes engagements, même si une étrange réticence naissait peu à peu. M’étais-je trop habitué à côtoyé les citoyens de ce royaume que j’en avais perdu de vue mes terres originelles ? Non, ce n’était pas le cas. Je n’en connaissais pas les raisons, mais je me sentais davantage proche de Nyx que de mes compagnons de la résistance, énergumènes que je n’avais que rarement eu l’occasion d’approcher pour faire part des informations que j’avais pu récolter. C’était nonobstant ma prudence couplée à ces nouvelles émotions d’appartenance à la nuit qui couvraient encore mes engagements d’espionnage.
Mais franchement… Tu dois pas oublier qui tu es, et quelles sont tes allégeances.
Un nouveau maux de tête. Je n’y avais plus pris attention à ceux-ci depuis ce qui semble une éternité, mais récemment, certaines de mes réflexions engendre une douleur bien plus appuyée que celles précédentes. Et c’était généralement après ce calvaire que cet étrange phénomène survenait, cette singularité qui m’octroyait ce sentiment d’effectuer des actes en tant qu’observateur, incapable de corriger mes mouvements, mais les faisant réellement de moi-même.
Est-ce que c’pas l’heure pour enfin rentrer… ?
Non ! J’avais encore mon rôle à jouer dans cette guilde. Ou plutôt… Mon observation n’était pas terminée. Si je partais de cette manière, tout mon chemin n’aurait été que peu utile. Il fallait que je reste encore un peu. Un tout petit peu… Et puis, ce n’était pas comme si j’avais coupé tout contact avec eux. Donc, encore un peu plus…