L’humidité qui ruisselle sur la pierre, les fissures causées par l’usure, les traces infligées par les anciens captifs. Elle connaît les détails de sa cage sur le bout des doigts, malgré l’infime luminosité réussissant à pénétrer l’endroit, les mois de captivité ne lui ont pas laissé d’autre possibilité afin d’éviter la folie. Pas la première fois que les geôles du royaume lui servent de résidence, triste régression, tous ces choix merdiques pour finalement atterrir au même endroit. Son premier séjour l’avait vu transformée en cobaye pour aider une armée en perte de vitesse. Dans un sens, le second semble prendre une tournure similaire, une nouvelle fois enchaînée sous les ordres d’un pouvoir qu’elle exècre toujours plus. La situation politique du royaume est maintenant à l’avantage des guildes dissidentes, au point que les petits soldats de Mystogan sont relégués au rang de résistance. Les troupes plus affinées que jamais nécessitent des mesures drastiques, comme filer à nouveau une arme aux ennemis capturés. Le parallèle avec les expériences du sérum est frappant, un semblant de liberté en échange d’un face-à-face avec la mort. Et sans vraiment faire preuve d’hésitation, comme à l’époque, Daria a accepté le marché. Plutôt crever avec une arme à la main qu’à la suite d’un énième passage à tabac dans sa cellule. Alors, on la retape un minimum, pour s’assurer qu’elle puisse tenir sur ses deux jambes, remplaçant la main sectionnée par l’écarlate quand elle aurait dû perdre la vie, sans oublier d’inclure un mécanisme pour la dissuader de tenter la moindre entourloupe, sous couvert de voir son palpitant définitivement s’arrêter. Bien sûr, elle termine sous les ordres de River, car à part lui, qui d’autre pourrait supporter sa présence ? Ils se retrouvent tous les deux en territoire ennemi, tenue des forces spéciales sur le dos, écho d’un passé qui donne l’impression d’appartenir à une autre vie. Mais tout ce que cette opération permet de conclure, dans son exécution chaotique, reste que Nihayat n’est que l’ombre de sa réputation. Dépassée par les évènements, les réflexes émoussés, le physique en berne, son corps peine à se remettre en état de marche, le sérum trop longtemps bridé par les restrictions magiques de sa cellule. Mourir sur le champ de bataille aurait été une réalité si River n’avait pas tout fait pour qu’ils puissent se sortir du bourbier avec leurs vies intactes.

La réalité ne lui incite pourtant aucune remise en question, Daria, elle est persuadée que le futur n’a plus rien à lui offrir, condamné à vivre avec des chaînes jusqu’à passer l’arme à gauche. Si jamais la résistance se fait annihiler, elle bouffera les pissenlits par la racine avec. Si jamais par le plus grand des miracles, les forces du roi finissent par l’emporter, alors elle n’aura plus aucune utilité, et la finalité sera identique à l’option précédente. Tout ça, à condition qu’elle ne rende pas son dernier souffle lors d’une mission suicide où on aura décidé qu’il valait mieux la sacrifier elle qu’un des rares soldats encore en état de se battre. Dans tous les cas, la blonde est en position d’échec et mat. Alors, elle vivote, dans sa cellule moisie, à peine soignée de la précédente expédition, vu que ne souhaite pas la remettre pleinement en forme, afin de s’assurer qu’elle ne soit pas en pleine possession de ses moyens si jamais elle décide de tenter une ultime connerie. Son corps meurtri parcouru de divers bandages, elle passe le temps en contemplant le vide qui l’entoure dans son espace vitale plus que restreint. De temps à autre, elle se lance dans un duel de regard avec le type chargé de la surveiller, confrontation qu’elle gagne à chaque fois. Malgré son état et des barreaux la privant de liberté, personne n’accroche ses pupilles plus de quelques secondes. Ne lui reste qu’à attendre la prochaine affectation.

Se retrouver enfermée dans les sous-sols lui avait fait perdre la notion du temps, incapable de différencier les heures des jours. Elle a trouvé une autre manière, remplaçant le rythme de l’astre solaire par celui des gardes défilant pour la surveiller. Trois changements équivalents grosso modo à l’écoulement d’une journée. Il en faut bien plus avant qu’on ne vienne requérir de nouveau ses services, mais cette fois, il ne s’agit pas de River, remplacé par une tête qu’elle ne connait pas. Peu lui importe, elle s’exécute comme le parfait petit sous-fifre. Passage à l’infirmerie afin de suffisamment la requinquer pour lui éviter d’être un poids mort avant de prendre la direction de la salle de briefing. Partout où on la balade, elle peut sentir les regards insistants lancés dans sa direction, qui fuient instantanément lorsqu’elle tente de les confronter. Il y a au moins autant de monde qui rêverait de lui régler son compte à l’intérieur de ces murs que dans le reste du royaume. Comme précédemment, on ne lui confie que le strict minimum en termes d’information, de quoi connaître son rôle sans pouvoir en tirer le moindre avantage. La troisième a eu vent d’un convoi de ressources à l’orée de la forêt Nibel, possédant une escorte assez limitée pour que la résistance décide de se l’accaparer. Les préparatifs sont expédiés, et en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, une petite troupe se retrouve à dos de Legion en direction du lieu de l’opération.

Ils se faufilent dans un espace aérien hostile, où l’attention de chacun est en alerte pour détecter la moindre menace. Daria est encore considérée comme l’une d’entre elles, vu que personne n’ose lui tourner le dos, toujours des regards envoyés dans sa direction. Finalement, l’avancée se déroule sans encombre, le convoi est repéré comme indiqué par les informations transmises pas la troisième. Une suite de remorques, entourés d’une protection un peu plus importante qu’anticipée. Rien d’ingérable pour le petit groupe, alors le plan s’exécute sans la moindre hésitation. L’escouade plonge et, à leur arrivée, seulement quelques adversaires proposent une opposition plus que limité, le reste fuyant aux premiers éclats d’acier. La situation paraît louche, pourtant, personne ne semble s’en inquiéter, obnubilés par la victoire, chose trop rare par les temps qui courent. Mais Daria, malgré sa sérieuse baisse de forme, connaît bien trop le terrain pour ne pas sentir que la réussite de l’assaut ne tient pas qu’à son organisation et au talent des soldats de l’escouade. « On devrait pas être là. » Qu’elle laisse s’échapper, son regard parcourant les alentours à la recherche du moindre défaut justifiant cette sensation qui ne veut pas la quitter. « Ta gueule Bradley, aide à récupérer le matos. » Une partie du groupe dévoile le contenu de la première remorque, retirant les bâches avec vigueur, et laisse leur surprise s’ébruiter quand, au lieu des ressources attendues, se dévoilent sous leurs yeux un tas de cadavres dans des uniformes de la résistance. En un instant, tout le monde se tend, comprenant qu’un piège se referme sur leur gueule. Ils auraient dû foutre le camp, avant qu’il ne soit trop tard.

Depuis le belvédère de Lestallum, en faisant face à la mer, on pouvait deviner, à l'horizon, les hauteurs d'Altissia. Une statue de la pseudo-déesse Nyx, un haut point lumineux perçant la brume au large, narguait les contrées de Mideel en leur ouvrant les bras depuis l'autre côté de la mer. Bien souvent, Skyadrum était tenté de s'y rendre et d'y mettre le saccage. Il le ferait sans hésiter, s'il était certain de vaincre la guerre qui s'ensuivrait. Le mage noir n'était pas partisan des risques inutiles. Le premier principe absolu pour gouverner, c'était d'être vivant.

Toutefois, si le roi de la Lune venait à disparaître, le système qu'il avait mis en place serait maintenu par les édorasiens. La Triade prendrait la tête et assurerait la prospérité de leurs terres. Il n'en allait pas de même pour Nyx. Le jour où sa tête tomberait, l'ensemble de son royaume s'effondrerait. L'idée de sa mort était si simple, et, si inaccessible à la fois. Skyadrum était forcé de reconnaître son talent à se placer en intouchable. Sa garde personnelle avait de quoi faire verdir de honte la Résistance entière. Le seul moyen de mettre fin à ce coude à coude, c'était de devancer la Nuit par la connaissance, de grossir ses troupes et d'aiguiser ses armes.

Alors qu'il envisageait de faire pression sur James pour obtenir un ou deux mages de renom de la part de Crystal Valley, des nouvelles concernant les visions de l'Oracle mirent en pause cette entreprise. Le dispositif à laquelle on la soumettait encore, puisque personne n'était assez sot pour faire confiance à sa parole seule, avait transmis les images d'une Daria Bradley en bonne santé, au sein de leur locaux. Vision proche ou lointaine, impossible à déterminer. Vision possiblement altérable, sans aucun doute, mais, le maître s'assurerait de sa réalisation. Il interrogea Emily à ce sujet.
Bradley n'était plus que l'ombre d'elle-même. Elle était affaiblie par les traitements de la Résistance, de la même manière que Rosewood, pourtant, l'une comme l'autre n'aurait aucun mal à se relever rapidement si, par malheur, elles échappaient aux jougs de leurs bourreaux. Encore fallait-il l'attirer dans ses filets. Le premier stratagème que le roi mit en place s'avéra infructueux. Ils n'appâtèrent qu'un groupe de soldats insignifiants. Leur extermination motiverait au moins la Résistance à favoriser la chair à canon pour leurs prochaines opérations.

La seconde se déroula dans la région de Nibel. La forêt permettait à son subordonné, le réceptacle de la Sagesse, de bénéficier d'une vue en altitude, en suivant leur convoi depuis les arbres. Le soldat était particulièrement utile pour effacer leurs traces. Lorsque la résistance découvrit les cadavres qu'ils ne tarderaient pas à rejoindre de l'autre côté, il était trop tard. L'attaque s'abattit depuis le ciel. Les mercenaires fondirent sur l'ennemi au signal du Réceptacle. Les premières têtes tombèrent rapidement sur le coup de la surprise.

Skyadrum se matérialisa, en bon dernier, lorsque quelques ennemis tenaient encore debout. Il lui incombait une tâche considérée comme la plus compliquée : laisser au moins deux survivants. Daria avait réellement perdu sa poigne d'antan. Blême, maigrichonne, elle aurait fait peine à voir, s'il connaissait l'empathie. Skyadrum s'estima chanceux de ne pas la fendre en deux par mégarde lorsqu'elle se protégea d'une première parade. Le sourire aux lèvres, il saisit la lame de la blonde de sa main gauche, et lui trancha le haut de l'estomac de l'autre. Ce n'était pas l'endroit le moins vicieux de sa connaissance. Cette attaque sur son centre de gravité lui permit de l'envoyer valser plus loin que les autres, au pied du Réceptacle.

Le membre de la Triade appuya le manche de son sabre sur le corps de la blonde.

"Reste à terre"

Skyadrum s'occupa du reste de l'escadron, les envoyant stratégiquement mourir loin de sa cible. Le calme retombé, il s'avança vers elle.

“Bonjour Daria.”

Suivre une conversation n'était pas chose aisée avec une telle blessure. Il se rapprocha davantage en posant un genou au sol, près d'elle.

"J'espère que tu ne m'en voudras pas pour cette égratignure."

L'homme n'y allait jamais de main morte, autant à l'épée qu'à l'antiphrase. Il saisit le poignet bionique de la blessée et l'analysa brièvement. Une piètre technologie, à se demander quels tas de ferraille on avait recyclés pour cet assemblage.

"Voilà donc un aperçu du traitement qu'on t'inflige."

Ce n'était pas pire que de se faire éventrer mais tout de même. Il lâcha sa main.

"Fascinant comme l'humain se raccroche à la vie, aussi misérable soit-elle. Ou peut-être n'avais-tu pas le courage d'y mettre fin. Ma venue t'ôte d'un poids dans ce cas, non ?"

Il y a un instant où tout semble figé, entre la révélation et la réalisation, quelques secondes de calme avant que la tempête ne s’abatte. Les regards se croisent furtivement, plein d’interrogation, dans l’attente d’un ordre qui ne vient jamais. Ils ont plusieurs temps de retard, le piège refermé sur l’escadron à peine les soldats avaient posé un pied sur le sol. Chacun a conscience que le danger est imminent, personne ne devine sous quelle forme il va venir leur mordre la chair. Le silence se fait maître durant cette courte période, qui pourtant, semble durer éternellement. Comme à l’orée d’une catastrophe, aucun bruit ne se fait entendre, ni le vent dans les arbres, ni les animaux gambadant innocemment, ni les Hommes figés dans l’anticipation. Puis, d’un coup, tout s’accélère. Un signal, un cri, trop tard. L’ennemi tombe des cieux et les soldats viennent nourrir le sol d’hémoglobine les uns après les autres. Les plus téméraires résistent aussi bien qu’ils le peuvent, retardant l’échéance. Ils n’ont pas le nombre, ils n’ont pas la force, ne reste que l’énergie du désespoir. À une autre époque, la situation aurait été accueillie avec un sourire carnassier sur le visage, n’y voyant rien de plus qu’un moyen de laisser libre cours à sa violence. Seulement, l’échec est passé par là, laissant la blonde dans une décrépitude ne lui permettant pas d’apprécier le carnage prenant place sous ses yeux. Elle se contente de parer les atteintes à sa vie et d’observer les corps tomber. L’organisation du piège est parfaite, n’offre aucune porte de sortie, le tout pour le tout reste la seule option. Quitte à crever, autant emporter le plus d’adversaire possible dans la chute. La poigne se resserre sur son arme, prête à aller de l’avant, mais un flash vient anéantir toute possibilité. Elle n’a pas le temps de déterminer l’auteur de l’attaque, tout juste réussit-elle à mettre son arme en opposition à l’aide d’une parade réflexe. L’attaque n’a rien à voir avec les assauts précédents. Elle étouffe un souffle de douleur face à la violence du coup dont le choc lui traverse le corps et tétanise ses muscles. « Merde. » Unique réaction lorsqu’elle peut enfin apercevoir le visage de son opposant. Déjà que ses chances de survie étaient quasi-nulles, elles se trouvent maintenant inexistantes alors que le maître de la Lune en a fait sa proie. Il n’est même pas question d’un duel, plutôt d’une exécution. Skyadrum se défait d’elle comme d’une vulgaire poupée de chiffon, écartant la lame de Daria avant de lui entailler le ventre sans le moindre effort et de l’envoyer au sol loin du reste du tumulte.

Elle tente de se relever, mais un autre type vient l’en empêcher, la sommant de rester à terre avec le manche de son sabre. Sauf qu’elle est peu encline à écouter les ordres Daria, déjà quand ils sont légitimes, encore moins s’ils proviennent d’un illustre inconnu. « Va te faire foutre. » Seconde tentative de quitter le sol, malgré la douleur lui barrant le ventre. Mais il suffit au sous-fifre d’une nouvelle pression pour définitivement entraver les mouvements de la blonde et la maintenir en place. Pathétique spectacle, Nihayat gisant dans l’impuissance, le sang teintant ses vêtements un peu plus chaque seconde, attendant qu’on vienne l’achever. Elle entend, plus qu’elle n’observe, les derniers râles d’agonie des victimes précédent le retour du calme. L’exécution des troupes terminée, Skyadrum la gratifie de sa présence, se rapprochant au plus près d’elle. Il observe, la manipule comme un vieux jouet défectueux et elle ne dit rien, résignée au sort qui l’attend. La douleur de sa blessure grappille du terrain sur sa retenue, déformant les traits de son visage de manière épisodique. Sa main libre vient tenter une vaine compression sur l’entaille. « Qu’est-ce que ça peut te foutre ? » Qu’est-ce qu’ils ont tous, à lui demander ses motivations tous les quatre matins ? Elle n’a jamais donné d’excuses à ses actes, Daria, se cachant derrière une violence infinie dénuée d’une quelconque motivation. Vivre ou crever ne l’ont jamais effrayé outre mesure, pourtant, elle s’entête à mettre le premier en péril et on lui refuse constamment le second. « C’est pas avec des mots que tu vas m’buter. » Parce que c’est la seule raison qui pourrait justifier ce face-à-face, le plaisir de s’en occuper lui-même. « Allez, abrège, ou j’vais me vider de mon sang avant la fin. » Son état physique ne lui offre plus la même résistance qu’avant, seul le sérum permet de garder un minimum la face. Mais, même avec ça, son état va finir par se dégrader plus rapidement.

Un déclin indécent. Jadis, cette femme superbe inspirait le respect des siens et la terreur des autres. Désormais, elle gisait, là, une laisse invisible autour du cou, des lambeaux de chair ouverte, le flanc couvert de sang, tremblante, hargneuse d'impuissance, attendant la mort. Skyadrum contemplait la scène avec fascination, captivé par la déchéance physique et l'agonie transfigurant la beauté. Une œuvre grotesque et dénaturée.

Daria comprenait les rouages de ce badinage de prédateur auquel elle avait déjà soumis ses propres victimes par le passé. Refusant la supplique, qu'il n'attendait pas d'elle de toute façon, Nihayat réclama qu'on abrège le fiasco qu'était sa vie. D'une façon qui lui était propre.

“Les édorasiens ne savent plus répondre par oui ou par non” déplora-t-il, sardonique.

Dans ce jeu du ni oui ni non, il devinait vers quoi Daria tendait vraiment. L'attente de la mort cachait, bien souvent, le désespoir de vouloir vivre. Peu importait le parcours de chacun, tout le monde se ressemblait aux yeux du maître des Ténèbres. Tout le monde était malléable. Tout le monde avait un prix. Skyadrum avait une petite idée de celui qu'il fallait mettre pour l'acheter, elle.

"Allons. Si ta vie m'importait si peu, au point de vouloir y mettre un terme, penses-tu que j'aurais daigné faire le déplacement ?" Daria fut une guerrière formidable mais, dans sa condition particulière, un subalterne aurait fait l'affaire. "Tu sais comme on peut être taquin, en position de force. Tu le fus, à une époque.”

La belle époque pour elle. Meurtres à foison. Maître aussi déséquilibré qu'elle. Anarchie.

“Nous étions alliés d'ailleurs. Malgré toi, tu as fait partie de ceux qui ont contribué à mon ascension. Je ne souhaite pas ta mort."

Ce n'était pas seulement sa guilde, mais bien l'Alliance Baram qui avait réduit tout un royaume à l'état de clan rebelle. Daria aurait sans doute préféré un autre roi, mais, il ne pouvait rien à ce sujet.

Il s'interrompit un léger instant et leva le menton. Une poignée de soldats, dont le Réceptacle, pillaient déjà les équipements de la Résistance. D'autres, en retrait, l'oreille indiscrète, écoutaient le maître parler. C'est à eux qu'il s'adressa.

“Vous avez entendu ?”

La douceur de sa voix provoqua paradoxalement un choc électrique parmi les indolents. Un mage s'avança et activa une lacrima de soin pour Daria. La plaie perdit en profondeur, l'hémorragie se calma. Skyadrum arrêta l'homme d'un geste de la main avant qu'il n'aille trop loin. Il s'agissait seulement d'empêcher la blonde de tourner de l'œil -le maître aimait bien terminer les conversations qu'il commençait-, certainement pas de la guérir.

Puisqu'elle avait désormais suffisamment de forme pour être attentive, Skyadrum se leva. Il ôta un linge blanc de la poche de son manteau et entreprit le nettoyage consciencieux de la lame de Masamune.

Ayant fini leur besogne, les soldats désertèrent les lieux. Un retrait ordonné par le membre de la Triade. Les cibles de Skyadrum laissaient mieux voir leur vrai visage, quand elles n'avaient pas de public.

“Te faire venir en tant que prisonnière sur une terre où tu devrais être libre, c'est aussi cruel envers toi qu'insolent envers moi.”

Les criminels tels que Daria n'étaient pas inquiétés, au Royaume de la Lune. Cette journée pleine d'ironie s'était achevée avec une Nihayat, la fin pour autrui, prête à accepter la sienne. Il était temps de faire tourner ce monde à l'endroit.

“Vu la rapidité avec laquelle tu consentais à mourir, j'en déduis que tu n'as aucun plan d'action ?”

L’hémoglobine poisseuse sur la main alors qu’elle tente vainement de restreindre le saignement lui barrant l’abdomen. Elle n’est plus qu’un jouet abîmé, attendant son jugement, victime dans une situation où elle a si souvent été le bourreau. Le liquide vermeil qui teintait habituellement ses vêtements était celui de ses proies, très rarement le sien. Elle a si souvent observé le désespoir et la peur dans les regards, tenant la vie entre ses mains, pourtant, placée du mauvais côté de la lame, elle n’a aucune idée de ce qu’elle devrait ressentir. Tout le monde flippe en voyant s’avancer une fin prématurée. Daria, elle est calme, le souffle saccadé seulement par la douleur. Ses muscles tremblent sans qu’elle soit effrayée, simple résultante de sa faiblesse actuelle et de la blessure reçue. Quant aux attentes futures, il y a bien longtemps que ce genre de considérations l’ont quitté, le vide de ses pupilles suffit à le faire comprendre. « Laisse-moi au moins y croire. » Qu’elle vaut un peu plus qu’une cible parmi tant d’autres, justifiant le déplacement du maître pour s’occuper personnellement de son cas, plutôt que de laisser le sale boulot à un sous-fifre désigné au hasard. « Nous compare pas. » Même au sol, sans le moindre avantage, elle conserve la force de cracher son venin avec dédain. « T’aimes juste t’entendre parler. » Là où la blonde s’est toujours contentée d’une violence brute, les mots jamais considérés comme un outil pour s’amuser avec ses victimes. Réputation bâtie sur une cruauté physique souvent démesurée, le dernier son entendu étant celui de l’acier découpant la chair. Chaque adversaire voué au même destin, aucun intérêt à s’entretenir avec un futur cadavre.

Le temps paraît long, presque à regretter que la blessure ne soit pas plus profonde afin d’abréger la torture de cette conversation. Daria, elle accepte la mort aussi vite qu’on la lui refuse, encore, piquant un instant une curiosité d’ordinaire pas si facilement stimulée. « T’es bien le seul. » Parmi la masse de personnes qui rêvent de la voir claquer dans d’atroces souffrances, juste résultat de tous les maux qu’elle a pu infliger à travers les années. C’est la raison de cette opinion différente qui l’intrigue. Est-ce qu’elle ne vaut même plus la peine qu’on lui souhaite la mort ? La frêle image qu’elle renvoi suffisant à persuader que la moindre bourrasque un peu trop forte se chargera de l’affaire. Il n’y a même plus besoin d’entrave pour la maintenir au sol, son état lamentable s’en charge très bien, un mouvement trop brusque n’aurait pour résultante qu’une aggravation de sa blessure, réduisant considérablement le temps restant avant de céder à l’inconscience. Écouter les paroles Skyadrum requiert toute la concentration que la blonde est capable de rassembler, jusqu’à l’arrivée d’un subordonné à ses côtés, activant une lacrima de soin. La douleur s’estompe proportionnellement à la réduction de l’entaille, jusqu’à calmer l’hémorragie sans toutefois guérir totalement la blessure. Le même sort que lui inflige la résistance, refusant de la soigner entièrement, lui évitant ainsi d’être en pleine possession de ses moyens et d’entreprendre une folie.

L’agitation environnante disparaît au bout de plusieurs minutes, les victorieux désertant les lieux une fois les cadavres détroussés du peu d’objets intéressants en leur possession, laissant Daria en tête-à-tête avec le maître des ténèbres. Son état un peu moins piteux suite à l’intervention du mage, elle se redresse au même moment ou Skyadrum se redresse. Les traits du visage tiré par l’effort nécessaire à une telle entreprise. Un instant, elle observe les alentours, confirmant le massacre, terminant le tour d’horizon par un coup d’œil sur son corps, maculé de son propre sang. Jamais elle n’aurait cru que maintenir une position assise puisse un jour lui demander autant de force. « C’est toujours mieux que de pourrir dans une cellule. » Libre, elle ne l’a jamais été qu’avec les lumières, le reste de sa vie peut se résumer à une succession de chaînes maniées par différents tyrans. Quitte à être prisonnière, autant le faire au grand air, seule raison pour laquelle la belle accepte ce rôle de chair à canon. « Tu crois que j’ai le luxe du choix ? » Elle agite sa main factice, se rappelant les menus détails évoqués par les scientifiques de la résistance lorsqu’on lui a apposé l’appareil. « Au moindre regard de travers, ils me font sauter la cervelle. » Un miracle que personne ne se soit battu pour appuyer sur le bouton sans attendre d’avoir une bonne raison de le faire. « Au moins, dehors, j’peux partir selon mes propres termes. » Une fin loin d’être aussi grandiose qu’à l’époque où la simple mention de Nihayat suffisait à inspirer la peur, mais une fin comme elle l’entend, dernière once de liberté encore en sa possession.

Sa poitrine fut secouée d'un bref ricanement, face à la vérité. Entre ceux qui courbaient l'échine trop bas, et ceux qui ne savaient pas s'adresser à un roi comme la jeune énergumène, il était normal d'y préférer, le plus souvent, le son de sa propre voix. Qu'il ne souhaita pas sa mort, ça, elle ne le remit pas en question.

"T’es bien le seul"

Il n'y eut aucune émotion, aucune désolation dans sa voix lorsqu'elle dit ces mots. Alors pourquoi y décelait-il une pointe de désespoir ? Le sourire aimable du roi se teinta de perfidie.

"Le suis-je ?" releva-t-il, le ton doucereux, profondément sinistre.

Il rappelait ainsi à la blonde que toute information délivrée de sa part n'avait que peu d'importance : il en savait bien plus. Son organisation ne laissait aucune place au mensonge, à l'omission, ou à l'à peu près. Bien sûr que les paroles de la commandante de la deuxième, lancées à voix haute sur la place publique, étaient parvenues jusqu'à lui. Erza savait très bien ce qu'elle faisait à ce moment précis. L'objectif de ternir la réputation de Nihayat avait été bien rempli; il n'en dit rien.

Skyadrum savait que Bradley avait épargné la vie d'un soldat, à l'heure actuelle le plus puissant de l'armée rebelle, détail fâcheux. Et il savait que ce même soldat s'était jeté sous la lame de Knightwalker pour la sauver. Plus que de ne pas souhaiter sa mort, l'homme lui avait souhaité la vie. Inutile d'être réceptacle de la sagesse pour comprendre ce que ça signifiait. Remuer le couteau dans cette plaie était tentant. Skyadrum refréna cette pulsion. Il épargna même à Daria la honte de devoir répondre à ce fait ; il fit innocemment diversion en réclamant des soins pour elle. Cela prouvait son souhait de la garder parmi eux.

Qu'ils soient seuls ne changea en rien son comportement de chat échaudé, toutefois, sa langue se délia davantage. Elle usa de ses maigres forces pour se redresser. Daria savait que la technologie du Royaume de la Lune surpassait de loin celle de la Cité Royale. Skyadrum avait le pouvoir de la tirer de là, mais, à aucun moment n'y fit-elle allusion. Ce détail ne lui traversa peut-être même pas l'esprit. L'armée de Mystogan lui avait prodigué un lavage de cerveau plus que remarquable. Lorsque la lame brilla à nouveau, Skyadrum rangea Masamune à son fourreau.

"Mourir à leur service, c'est partir selon tes termes ? Quelle illusion... Tout le monde a le luxe du choix. Te considérer comme une victime de la Résistance en est un. Tu sais quelle est ta véritable prison ? Toutes ces croyances qui font de toi leur pantin, toutes ces paroles que tu as accepté de gober. Ouvre les yeux, Daria. Les rebelles sont à terre, je suis juste en face de toi, prêt à t'aider, et pourtant tu respires encore, n'est-ce pas ?"

Il haussa un sourcil inquisiteur. Elle se croyait porteuse d'une technologie dernier cri, que rien ne pouvait l'en sauver. On lui avait dit qu'elle mourrait au moindre soupçon, alors que toute opération, tout geste de sa part était nécessairement soupçonneux. Elle s'imaginait que le pouvoir de la détruire était laissé à n'importe qui. En réalité, ils n'étaient que quelques élus à le détenir.

Skyadrum en estimait une dizaine, au total. Deux personnes sur place pour chaque mission avec Bradley, et quelques soldats à distance, au cas où ça tournait mal, dont Knightwalker.

"Comprendre le dispositif qu'ils t'ont implanté est un premier pas vers l'extérieur. Acceptes-tu qu'on le fasse ensemble ? Tu peux refuser, je m'en irai."

Du moment qu'elle prenait cette décision rapidement. Les renforts devaient déjà être en chemin après avoir perdu le signal de l'équipe. Non pas que le mage noir s'en inquiétait.

La seule main qu’il lui reste est suffisante pour compter le nombre de personnes qui ne souhaite pas sa mort au moment où la blonde entre dans leur champ de vision. Pourtant, elle est encore en vie, malgré une condition qui aurait dû mettre un terme à son rythme cardiaque. « Le seul qui ne soit pas bercé d’illusions. » Les autres s’imaginent encore qu’un semblant de rédemption est possible, que le monstre n’est qu’une façade servant à planquer des sentiments qu’elle s’entête à ignorer. Ou plutôt, qu’elle ne sait pas comment aborder, effrayer à l’idée de voir s’effondrer toutes les justifications crachées lorsqu’on lui demande d’expliquer la violence animant ses choix. Toujours les mêmes mots, un mélange de flegme et quelques tirades sur la vengeance. Rien de trop profond, rien qui pourrait ranimer des souvenirs compartimentés pour s’éviter la moindre remise en question. L’extrémisme comme illusion pour masquer des convictions qu’elle n'a jamais pris le temps de consolider, les cadavres n’invitent pas au doute.

Après l’avoir si souvent infligée, elle espère la mort, car toutes ses réflexions la persuadent qu’il s’agit de la seule option viable en rapport avec sa situation. Unique moyen de finalement briser des chaînes dont Daria n’a jamais réussi à se libérer. Elle y a cru, durant ses années de désertion. Force est de constater l’erreur, l’ensemble de ses choix n’ayant pour résultante que de la voir se ruer dans les bras d’un camp qu’elle abhorre tant, trahi sans la moindre hésitation à la première occasion. Aveuglée par la haine de s’être vue transformée en cobaye en punition d’avoir voulu survivre à un daron l’exploitant sans scrupules, son besoin de revanche lui a fait retrouver son statut de chair à canon. La solitude de sa cellule suite à l’humiliation infligée par l’écarlate lui aura au moins permis d’effleurer les limites de son état d’esprit. Mais elle a besoin qu’on la pousse encore un peu avant de prendre pleinement conscience que ses chaînes ne sont pas aussi solides qu’elles le laissent paraître. Elle ne voit pas l’essentiel, le plus simple, ce qui se déroule sous ses yeux. Son premier réflexe est de protester et de l’envoyer chier, mais sa répartie a décidé de se faire la malle dès l’instant où elle tente d’articuler une première syllabe. Incapable de répondre, de trouver une logique lui permettant de mettre en défaut les interrogations lancées à son encontre. Son regard se perd dans le vide, fruit d’une réflexion qu’elle n’a pas anticipée. Skyadrum aurait pu la buter sans le moindre effort, la laisser agoniser jusqu’à l’inconscience éternelle. À la place, il s’efforce de lui faire comprendre la réalité d’une situation trop facilement acceptée. Ses méninges s’agitent, à chercher une solution paraissant impossible, afin de révéler une porte jusqu’alors occultée par les croyances inculquées au gré de sa misérable vie. Elle a toujours subi, Daria, la violence, les restrictions, les ordres, s’en servant pour vivoter en réaction, sans oser énoncer un but concret. Si bien que la gymnastique d’esprit insufflée lui semble anormale, prendre les devants, elle ne sait pas faire. Pourtant, elle entrevoit une possibilité, sans encore être capable d’en saisir tous les aspects. « Obéir à leurs ordres ou aux tiens, quelle est la différence ? » Dans les deux cas, être considérée comme autre chose qu’un outil ne lui effleure pas l’esprit.

Perdue dans ses habitudes, son regard ne quitte pas ses déambulations sur l’horizon, ne parvenant pas à se fixer plus de quelques secondes. Les pensées agitées jusqu’à la proposition, les pupilles venant se fixer sur cette main artificielle, point d’ancre de toutes ses chaînes. « J’ai pas vraiment de détails. » Une tentative de déclic, elle se surprend à coopérer sans réfléchir, acceptant l’aide sans le formuler directement. « J’étais pas consciente quand ils m’ont posé la prothèse. Tout ce que je peux te dire c’est que chaque mouvement donne l’impression d’avoir des aiguilles plantées dans les nerfs. Je suppose que ça n’a jamais bien cicatrisé, ils me laissent jamais récupérer totalement. » Les restrictions magiques de sa cellule s’assurant que le sérum coulant dans ses veines ne vienne pas la remettre en forme. « La seule chose qu’on n'a pas manquée de me dire, c’est qu’ils ont customisé le tout avec un moyen de stopper mon cœur si jamais l’envie leur en prend. » Pas douée en technologie, elle est bien incapable de déduire le genre de mécanisme utilisé, inconnue supplémentaire l’ayant convaincu de son futur incertain. Finalement, elle retrouve le regard des ténèbres, avec moins de défis que précédemment. « Tu penses toujours pouvoir m’utiliser dans un tel état ? »

"Cette question aurait du sens, si j'étais ton ennemi. Je ne le suis pas. Tu n'as pas à m'obéir, si tu ne me reconnais pas comme ton roi. C'est un bon début, tu ne crois pas ?"

Elle s'imaginait qu'un contrat tacite la lierait à lui. Il refusait de lui donner raison. Skyadrum ne forcerait pas un destin que l'oracle avait prédit. Il n'aurait pas besoin de réclamer la loyauté de Daria. Les électrons libres et destructeurs venaient naturellement à lui, attirés comme par un aimant. Cela étant, toute sa démarche n'avait rien de désintéressé. Il provoquait le réveil de Nihayat en sachant que sa nature violente la pousserait vers lui. La négociation ne marchait pas avec ce genre d'individu. La belle vint rapidement à l'évidence qu'à ce moment précis, sa meilleure chance était de poursuivre la discussion, plutôt que de réclamer le retour précipité dans les bras de ses alliés forcés.

"La seule chose qu’on n'a pas manquée de me dire, c’est qu’ils ont customisé le tout avec un moyen de stopper mon cœur si jamais l’envie leur en prend."

Elle parlait tout en toisant sa prothèse. Le système létal ne pouvait pas s'y trouver, alors qu'on destinait Daria à des missions où des ennemis pouvaient à tout moment le sectionner. La résistance avait dû reprendre les méthodes de la lune et faire l'implantation dans un endroit un peu plus... vital. Ce dispositif s'inscrivait parmi les révolutions dans le camp miteux de Mystogan. Mais avaient-il vraiment franchi ce pas ? Le doute était permis. Skyadrum haussa un sourcil inquisiteur.

"T'ont-ils donné la preuve de ce qu'ils avancent ?"

Ce pouvait être un mensonge de plus enroulé telle une laisse autour de son cou.

"Tu penses toujours pouvoir m’utiliser dans un tel état ?"

Pas dans cet état, ce serait inutile. Il n'était pas question de le formuler ainsi, évidemment, tandis que Skyadrum venait de percer à jour un des désespoirs de son existence. Une inclinaison de tête intriguée, il demanda :

"Pourquoi tiens-tu tant à ce que je me serve de toi ?"

Skyadrum ne mettait pas de prix sur ses bons agissements, car, il s'amusait à faire cette chose à laquelle il l'obligeait: avoir confiance. Il pariait sur le fait qu'au moment où il requerrait ses services, Daria répondrait bien à l'appel du sang. Et elle, elle n'avait d'autre choix que de parier sur lui si elle voulait sortir de sa douloureuse cage.

"Tu devras souffrir encore un peu de cette carcasse. Ton premier objectif est de vérifier si la menace est réelle." Cela lui épargnerait bien des tracas si elle ne l'était pas. Dans le cas inverse... "À partir de là, tu sais déjà que le dispositif est relié à ton cœur et qu'il utilise ton énergie vitale pour se maintenir. Pour en avoir produit de notre côté, je suis au regret de t'informer que le seul moyen de désactiver ce type d'appareil, à l'heure actuelle, c'est de mourir."

Une information brutale, délivrée d'une voix douce. Il ne put retenir un rictus sournois.

"Ou du moins d'être morte pendant quelques temps....J'ai dit que je suis prêt à t'aider, je n'ai jamais prétendu que ça serait simple. Si ton cœur repart après deux minutes d'arrêt, l'appareil ne se réactivera pas."

Pour une porteuse du sérum, on ne risquait pas la mort cérébrale avec ce timing. Les Lunes tendaient à corriger ce défaut de fabrication dernièrement, suite à la présence d'un cas isolé, or, la Résistance avait quelques années de retard. Daria était leur sujet Premier.

"Le chemin pour t'en tirer sera rude, mais tu n'as pas à le parcourir seule. Je ne te promets pas la liberté. Toi seule détiens le pouvoir de l'obtenir. Tout ce que je peux te promettre, si tu réussis, c'est que tu retrouveras ton corps, ta dignité, et une résidence où ta présence est vraiment désirée. Nihayat était une guerrière admirable." Il lui tendit la main, plus qu'une proposition implicite de la tirer de la poussière. "J'espère la revoir un jour."

Elle a le regard interrogateur, incapable de sonder au-delà des apparences et d’établir la véracité des propos lui étant destinés. Un vieux réflexe, solidement ancré dans son âme, que de considérer toute personne comme un ennemi. Il n’y avait pas d’autre moyen pour survivre chez les lumières, bandes de psychopathes réunis sous l’égide du plus dérangés d’entre eux. Montrer ne serait-ce qu’une once de confiance était un excellent moyen de finir du mauvais côté d’une lame. Les tentatives de lien n’avaient pour vocation que de prendre un avantage pour torturer et passer le temps durant les rares moments de calme. « J’y croirai le jour où ça arrivera. » À ses yeux, les paroles n’ont aucun poids, encore moins lorsqu’elles se retrouvent prononcées dans une conversation isolée. Seules les actions comptent, mais une chose est déjà certaine. « Peu importe les conditions, jamais, je ne te considèrerai comme un roi. Ni toi, ni personne d’autre. » Des années à voir ses chaînes passer de main en main ont fini par lui faire prendre conscience qu’il ne lui arrive jamais rien de bon quand elle s’en remet aveuglément à une autorité supérieure. La portée de cette déclaration est amputée par sa condition actuelle, simple marionnette obéissant aux ordres de ses geôliers. Ils ont pouvoir de vie ou de mort, capables de stopper le rythme de son palpitant sans préavis dès le moment où on jugera que Daria n’est plus utile. Épée de Damoclès l’orientant à chercher une mort en mission plutôt que de la simple pression d’un bouton. Rien ne peut venir modifier ce futur inéluctable, le dispositif suffisamment complexe pour que rien ne vienne interférer avec son efficacité. C’est ce qu’on lui a dit, à de nombreuses reprises, jusqu’à ce que l’information s’imprime dans son crâne au point de ne pas la remettre en doute. Elle fixe sa prothèse avec insistance, manifestation physique de la menace constante ciblant sa vie, sans avoir aucune idée des spécificités se cachant derrière la technologie. Il serait trop facile que tout soit contenu dans la main artificielle, même avec une sureté intégrée en cas d’endommagement. « Tu veux dire : est-ce qu’ils se sont amusés à me faire crever temporairement pour s’assurer que tout fonctionne ? » Tellement matrixée par les discours à répétition, que l’idée ne lui est même pas venue en tête. Aucune démonstration, histoire de lui donner un aperçu, pas qu’elle aurait souhaité connaître la douleur envisagée en cas d’activation du dispositif. « Non. Pas en étant consciente, en tout cas. » Car ils ont tout de même dû effectuer une paire de tests afin d’assurer le bon fonctionnement du matériel. « Je doute pas qu’ils aient dû s’amuser quand j’étais dans les vapes. » Quelques arrêts cardiaques en toute sécurité, entourée de scientifiques prenant un malin plaisir à jouer avec leur invention.

« Parce que tout le monde le fait. » Depuis aussi loin qu’elle s’en souvienne. Le paternel, d’abord, mettant à profit l’agilité et l’innocence de sa gamine pour l’envoyer dérober et arnaquer à tous les coins de rue. Assurant la docilité à grands coups de main dans la gueule au moindre échec ou signe de révolte. Le gouvernement, ensuite, transformant l’adolescente en cobaye pour avoir osé mettre fin à cette vie délétère régie par le géniteur. Dette imposée pour avoir le droit de revoir la lumière naturelle de l’astre solaire. Rien n’est jamais gratuit. « Me fait pas croire que t’es différent. » La confiance est un concept estompé au fil des années, que la blonde ne sait plus mettre en place, chaque main tendue dans sa direction se doit d’être accompagnée d’une contrepartie. « Tu me donnes un discours d’encouragement, j’arrive en m’en sortir on sait pas trop comment et c’est tout ? J’ai le droit d’aller vivre ma vie comme je l’entends ? » Le ton est sceptique, mais qu’importe la véracité des propos de Skyadrum, à l’instant, il lui offre l’unique porte de sortie ayant une perspective autre que la mort.

Ou plutôt, autre qu’une mort définitive. Les informations partagées ne l’étonnent pas vraiment, si le dispositif se nourrit de l’énergie vitale afin de rester actif, l’en priver suffisamment longtemps permettra de la mettre hors service. La logique n’est pas remise en question, surtout que des deux, Skyadrum est le plus versé dans la technologie. « Mourir n’est pas la partie compliquée. » Bien qu’elle semble avoir tout le mal du monde à y arriver ces derniers temps. « Trouver comment revenir, c’est une autre paire de manches. » Une réflexion qu’elle va devoir faire murir et sans laquelle aucune tentative de s’échapper ne pourra avoir lieu. Toute une liste d’objectif se met en place dans son esprit, alors qu’elle se surprend à réellement envisager la possibilité de briser les chaînes la liant à la résistance. Finalement, pas si déterminée à mourir que ça, Daria, lorsqu’on lui offre l’aperçu d’un futur loin d’une prison miteuse.

Le silence reprend possession des lieux, son regard plongé dans celui de Skyadrum l’espace de quelques secondes face à la main tendue. Dernière réflexion interne pour se convaincre de la marche à suivre. Persuadée que l’offre n’est pas dénuée d’intention, mais qu’elle ne s’en verra proposer aucune autre. Elle n’a plus rien à perdre, Daria, simple ombre de la guerrière capable de terrifier par la simple mention de son nom. Alors, elle prend finalement la décision, face à l’évocation de son surnom, acceptant la main tendue. Elle quitte le sol dans un effort proche de tétaniser ses muscles, une main toujours appuyée sur la blessure lui barrant l’abdomen. « Tout dépendra de ce qu’il adviendra après ces deux minutes. » De savoir si son cœur retrouvera un rythme ou restera silencieux pour l’éternité. L’accord est scellé sans avoir besoin de le signifier, alors qu’elle observe maintenant autour d’elle pour se rendre compte du carnage engendré par le piège dans lequel l’escouade est tombée. Les renforts ne vont sûrement pas tarder à pointer le bout de leur nez, signifiant que l’entrevue est arrivée à son terme. « Fait chier ! » Elle réalise soudainement que la situation ne peut pas rester en l’état et qu’elle va devoir encore encaisser. « Personne ne va croire que j’suis la seule à m’en être sortie en tenant encore debout. » Et par personne, elle veut surtout parler de River et Erza. Ils la connaissent trop bien pour gober que Daria a laissé partir des adversaires en étant encore capable de tenir sur ses deux pieds. « Va falloir que tu me tabasses encore un peu. » Histoire que personne ne puisse avoir de doute sur le véritable déroulement des dernières minutes. Elle recule de quelques pas fébriles. « Juste, essaye de pas me buter. » Une difficulté pour lui, vu l’écart de niveau les séparant actuellement.

Son sourire serein ne le quittait pas, tandis qu'elle rejetait toute acceptation de l'appeler majesté. Bradley ne serait pas la seule de ce royaume à ne pas croire en sa légitimité. Est-ce que les lois changeaient pour ces gens ? Est-ce qu'ils échappaient au joug de leur bourreau ? Une maigre poignée d'entre eux, de temps en temps, peut-être. Mais Daria Bradley n'irait pas trouver refuge dans un camp de résistants, elle. Qui en voudrait, si ce n'est lui ?

"Tu veux dire : est-ce qu’ils se sont amusés à me faire crever temporairement pour s’assurer que tout fonctionne ?"
"Vois plus loin."

C'était devenu là une des plus grandes faiblesse de la belle. La Résistance l'avait plongée dans les ténèbres de l'ignorance et les yeux de Daria ne s'étaient jamais vraiment habitués à l'obscurité. Skyadrum notait une résignation presque désespérée chez elle. Elle valait pourtant mieux que ça.

L'homme baignait tellement dans l'univers de la recherche qu'il ne réalisait pas combien ce domaine pouvait être hermétique à d'autres. Il eut la courtoisie de lui expliquer.

"Chaque nouveau dispositif est précédé par une création test, qu'on utilise sur des êtres vivants mineurs, ou des monstres, afin d'en vérifier l’efficacité. Il aurait été aisé de te montrer les effets d'un tel appareil, mais, tu n'as manifestement pas eu cet honneur."

Et, si la Résistance n'avait pas prouvé à Daria les effets destructeurs de leur objet, cela pouvait dire qu'il n'existait tout simplement pas. Quelle preuve avait-elle ? Il existait peut-être une échappatoire plus simple que de devoir mourir – n'étant pas Oracle, le maître noir ignorait à cet instant que ce ne fut pas le cas.

"Me fait pas croire que t’es différent."

Il laissa échapper un souffle rieur, profondément arrogant.

"C'est toi qui ne me fera pas croire que je ne le suis guère."

Elle était étonnée de cette liberté qu'il lui proposait, après lui avoir offert le privilège de l'aider. Elle ne comprenait pas sa confiance, elle ne comprenait pas qu'il l'avait déjà vu, jadis, embrasser sa vraie nature, la Nihayat. Il plissa un regard aussi enjôleur que sinistre.

"Daria... sache que je te préfère infiniment quand tu vis ta vie comme tu l'entends", susurra-t-il.

Au moins n'était-elle pas à la botte de ses ennemis.

"Mourir n’est pas la partie compliquée. Trouver comment revenir, c’est une autre paire de manches."
"N'en sois pas si certaine. Mourir est un art, quand le but est de survivre. Mais ne t'inquiète pas, tu ne seras pas seule."

Elle accepta la main tendue. Skyadrum en resta imperturbable. Comment être surpris, quand on savait déjà ce qui était écrit ? Ses pas l'éloignèrent de Daria. Le réceptacle de la Sagesse choisit le moment opportun pour se présenter, entre les arbres, probablement au courant de la fin des négociations. Sa clairvoyance ne faiblissait jamais. Il leva la main, annonçant cinq minutes restantes. Le maître noir opina du chef. Le subordonné ne prit pas congé immédiatement toutefois. Son regard fut attiré par un des hommes au sol. Lorsqu'il le désigna du doigt, Skyadrum comprit que ce survivants avait à moitié repris connaissance et avait entendu l'ensemble de l'échange. Une épée de l'ombre surgit au-dessus de son cou et s'abattit. Plus que deux à respirer encore.

Le maître ramena un regard curieux vers Daria à son exclamation. Il pencha la tête sur le côté, feignant l'intrigue. Son constat lui donna envie de sourire, mais, il s'abstint. Effectivement, il serait suspect qu'elle soit en trop bon état.

"Puisque tu insistes."

Il revint vers elle avec lenteur. Un prédateur avisant la proie. Echouant à faire croire que la laisser en bon état aurait été préférable pour lui, Skyadrum finit de trahir ses desseins quand son menton désigna le premier rescapé

"Celui-ci est vivant. Il est témoin de la blessure que je t'ai infligée et qui t'a laissée à terre. Il doit te trouver dans un état cohérent avec ce qu'il a vu."

Ses doigts se présentèrent à la plaie partiellement guérie de Daria. Son regard ne quitta pas son visage tandis qu'il les y engouffra.

"Moi qui me croyait pourvu d'une précision chirurgicale à l'épée. J'avais donc touché un organe ?" badina t-il alors que sa main gagnait en profondeur, tâchant sa manche immaculée d'écarlate.

Le sang coulait à flot à leurs pieds. Le roi ne craignait pas pour sa vie. Il savait qu'elle s'en tirerait. Il savait qu'elle trouverait un moyen, et, qu'un jour, elle se trouverait chez eux. Il l'accompagna délicatement vers le sol. Sa main se retira, tandis que l'autre effleura délicatement le côté de son visage, requérant ses dernières secondes d'attention.

"Tu as raison sur un point. Il est inévitable, dans n'importe quelle relation, que l'un gagne plus que l'autre. Sois cette personne pour une fois, Daria. Je te le permets."

Les ténèbres engloutirent ce visage au regard bienveillant, et au rictus sournois.