Sabertooth n’a pas connu d’heures aussi sombres depuis la bataille de la Cité. Peu après la destruction de Blue Pegasus, le membre le plus fort, la fierté de leur guilde, a été réduit à l’état de légume. Le plus frustrant étant qu’on ne l’a même pas laissée combattre, l’ennemi ayant utilisé la lâche méthode de la brider. Cette pensée d'Eucliffe est évidemment puéril. Le monde est injuste, laid, les héros ne partent pas après des prouesses sauvant des centaines de civils, au son des trompettes et sur les honneurs du roi. Ils tombent silencieusement au quatre coin du globe, s’éteignant sans un bruit comme les étoiles dans le ciel qui ne reparaissent plus jamais. Après une semaine où il n’a été plus que l’ombre de lui-même, poussé par ses plus proches, Sting semble avoir repris du poil de la bête, arborant ses manies de tyran, lynchant les glandeurs de la guilde, tapotant le dos des performants, partant en mission avec divers éléments pour les mettre à l’épreuve et les faire suer. Tout le monde dans son ensemble est cravaché cela dit, Akané étant la preuve que l’on n’est jamais assez doué pour vivre. Quand il revoit Séléna, elle n’a plus sur son visage l’ombre de la mort, et lui non plus, quoiqu’une certaine gravité assombrit leurs yeux habituellement si clairs et pétillants. L’excuse à leur séparation est claquée au sol, la blonde est persuadée d’être une poisseuse, d’attirer le malheur. Eucliffe l’écoute, compréhensif, se gardant de remarquer qu’il n’a vraiment pas eu besoin d’elle pour se foutre dans la merde. De toute façon, cette situation l’arrange. Comment entretenir un couple dans ces conditions ? Comme s’il a la tête à batifoler après ce qui vient de leur tomber sur la gueule. Cela ne change rien au sentiment d’amitié sincère qu’il éprouve pour elle, et qui le fera donc toujours répondre présent en cas de besoin.

Un jour, alors qu’il vient rendre visite à Akané avec Lecter, Sting s’arrête sur le seuil de la porte en remarquant Lucy. Un visage qui lui inspire des sentiments étranges, surtout dans un contexte pareil, dans la chambre de sa grande amie entre vie et mort. Ce qu’il retient toutefois au global, c’est qu’il est content de la revoir, et un peu plus triste au rappel que Lucy aimait beaucoup Akané. Quand cette dernière a fugué comme une sale gosse de la guilde parce que le maître l’a trop soulée, c’est chez la fée qu’elle était partie se réfugier. « Bonsoir. » « Salut Lucy » répondent le maître et Lecter d'une même voix. « Est-ce qu’il y a…une amélioration ? » Un silence durant lequel Sting regarde un léger moment Akané. Puis il relève les yeux vers Lucy et lui offre un petit sourire, malgré la dure réalité qu’il annonce : « Elle dort aussi profondément qu’à ma dernière visite. Je ne savais pas que tu étais là. C’est la première fois que tu viens non ? Ça a dû te faire un choc de la voir comme ça… » Il remarque que la chambre a été arrangée, les fleurs aussi. Sting est un peu trop négligent pour ce genre d'attention. Il va plutôt déposer la petite boîte à musique d'Akané à son chevet, qu'il a failli faire tomber, voire éclater par terre. Il lui raconte l'anecdote, ainsi que d'autres qui concernent la guilde, Lecter y met souvent son grain de sel. Parfois, Sting regarde Lucy, car il raconte à elle aussi. La blonde peut néanmoins repérer les mots exclusivement destinés à Akané, notamment lorsqu'il balance des "feignasses" par ci et par là. Il a posé une fesse sur le lit de la brune. Puis, il se tait, et Sting lève à nouveau les yeux vers la fée.

Quand il la voit, il est partagé entre deux chemins. Celui de jouer la carte du maître inébranlable pour la rassurer, parce qu’elle aussi souffre de cette disparition et qu’il veut la soulager d’un poids en montrant que la vie continue. De l’autre, elle est la seule chance pour lui de dire la vérité et de s’alléger de quelques tourments, d’admettre qu’il est paumé, qu’il a peur, qu’il ne sait pas ce qu’il est censé faire… il ne peut certainement pas dire ce genre de choses à sa guilde, et en qui d’autre qu’elle a t-il le plus confiance, en dehors d’eux ? Natsu, évidemment, mais Eucliffe aurait l’impression de ne pas être compris. Natsu, rien jamais ne l’ébranle. Ou alors le blond l’admire trop pour vraiment savoir ce qu’il a dans le cœur, il le voit comme un colosse que rien n’effraie, que rien ne démotive, qui sait toujours ce qu’il faut faire, quand il le faut. Déterminé, tirant les autres vers le haut. Peut-être que Sting a besoin de lui aussi, mais pas tout de suite, il est dans cet état où il ne veut pas être sauvé, juste être compris, ou au moins, entendu. Lucy lui a toujours donné le sentiment qu’il n’a pas à avoir peur, ou honte, de ne pas être toujours au sommet de ce qu’il est. Elle lui donne l’impression qu’il a le droit à l’erreur et qu’il a le droit d’être lui-même. Ce qui le retient encore, c’est la peur de se tromper et donc d’être déçu. « Elle me fatigue à ne pas répondre, l'autre.» Taquinerie évidente, comme si Akané peut l'entendre. « Comment vas-tu, toi ? »

Il y a toujours quelque chose de rassurant dans le sourire de Lucy, malgré sa demi-teinte, cette absence de joie réelle. Le signe qu'effectivement, la vie continue. Et ils ne sont pas seuls, comme elle le dit. Il la suit du regard, et tourne la tête vers elle quand elle s'assoit à côté de lui. « Je ne l'ai pas traité de grosse » Son regard bifurque sur le côté tandis qu'il essaie de se remémorer si c'est vraiment le cas. Ce serait bizarre qu'il ait dit une telle chose, alors que l'Ito est aussi svelte ! À moins qu'il eut voulu se venger de quelque chose. « Ou alors, je ne le pensais pas » nuança t-il. Sa main poussa la jambe de la belle aux bois dormant. « T'as entendu ça, Nané ? » dit-il en jetant un regard inquisiteur à son visage éternellement endormi. « Et toi, comment tu vas ? » Le visage du blond s'éteint légèrement. Spontanément, il a envie de conserver la façade et mentir, surtout devant son exceed. Son regard croise celui de Lecter, qui semble attendre lui aussi une réponse. Puis il observe le visage de Lucy, hésitant. Sa poitrine se soulève et il lâche un soupir silencieux. « Tu restes encore un peu avec Akané, Lecter ? » propose t-il. Le chat donne son approbation et Sting se lève. Sa main saisit le poignet de Lucy et le tire doucement pour qu’elle fasse de même. Un toucher furtif qui s’efface en un instant. Sting sort en premier et emprunte la sortie la plus proche, en bout de couloir, qui donne sur cour. Il appuie l’épaule contre le mur en attendant que Lucy ferme la porte.

« Je ne sais pas » dit-il à demi-mot, répondant enfin à sa question. Il avise son regard, comme s’il cherche à mesurer la gravité d’un aveu pourtant simple, sans conséquence. Il est maître de guilde, faiblir est une faute,  c'est pour ça qu'il ne peut pas l'admettre devant un tigre. La réponse n’est pas malhonnête. Moralement, tout va mal, mais il s’efforce de continuer à avancer. Physiquement, tout va bien, il n’a fait que progresser depuis la dernière fois qu’il l’a vue. Alors il ne sait pas comment il va, ou plutôt, il le sait mais se ment à lui-même. « J’étais là quand Skyadrum l’a attaqué. Et je n’ai pas pu l'arrêter. » C’est quelque chose qui avait tourné en boucle dans sa tête jusque-là, dont il n’avait que trop conscience. Mais le formuler à voix haute, devant quelqu’un, le prenait bien plus au tripe qu’il n’aurait cru.  La vision de Lucy se brouille et il comprend que l’humidité lui coule aux yeux. Il se penche et appuie le front sur l’épaule de Lucy, moins pour chercher du réconfort que pour cacher ses larmes. « Je ne suis pas à la hauteur... Que dois-je faire ? » Quelques mois plus tôt, il aurait trouvé ça con de poser la question à une constellationniste avec une expérience plutôt récente, elle qui avait été coincée plusieurs années dans un sortilège de Fairy Sphere, sans pouvoir progresser. Elle ne connaissait pas Edoras à la manière de Sabertooth. Et pourtant, Fairy Tail s’est adaptée avec une facilité déconcertante. Cette guilde a retrouvé son éclat d’antan, les fées sont les moins touchées par la crise, et pas seulement parce qu’ils comptent des titans parmi eux – ils ne sont pas infaillible, Laxus aussi a été vaincu par Skyadrum. Que font-ils de plus ? Eucliffe se demande s’il n’a pas trop attiré l’attention en voulant absolument placer Sabertooth en numéro un. Le piège que Baram leur attendu, des fées auraient tout aussi bien pu tomber dedans. S’agit-il de faire profil bas ?

Ce n’est pas parce que ses mots sont prévisibles qu’ils ne le réconfortent pas. Peut-être avait-il même besoin d’entendre ces choses-là. Mais quoiqu’elle en pense, plus le temps passe, moins il a l’impression d’avoir les épaules pour soutenir les siens. Ses larmes ont suffisamment coulé, mais il reste contre elle dans l’espoir futile que ça laissera le temps de dégonfler ses yeux, ou d'en retirer toute l’humidité.

« Je sais… » Sting sait bien qu’il n’est pas seul, que son refus de s’appuyer sur les siens est un choix personnel motivé par la certitude que c’est à lui d’être le pilier, qu’il n’a pas le droit de faiblir, que ce serait honteux, inacceptable venant d’un maître. Lucy lui rappelle son droit à l’erreur, tandis qu’Eucliffe n’est pas certain d’en avoir un. Ainsi, un tigre peut lui demander de l’aide, mais pas lui en apporter. « Moi aussi, je suis là pour toi » Le blond se détache doucement d’elle, gardant les mains sur ses bras. Son regard las, rougi, ne soutient pas le sien, et file vers un point invisible à sa gauche. « Je me suis demandé quand tu viendrais me voir. » On pense à beaucoup de choses quand on est en deuil, et qu’on est seul – ou qu’on a l’impression de l’être. Les jours sont interminables, les nuits n’existent plus vraiment. Si un drame était survenu dans la guilde de Lucy, il aurait peut-être cherché à la voir le jour-même, le soir, plus probablement. Ce sont les moments où la solitude et la douleur se ressentent davantage. Sting ne croit pas vraiment qu’il existe des personnes qui aiment être seul en période de drame. Ils veulent l’être par fierté, ou en croyant que ça peut les aider, mais la réalité, c’est qu’il n’y a rien de plus réconfortant qu’une bonne compagnie. Lucy n’en manque pas cela dit, et lui non plus, ça n’empêche qu’il aurait aimé la voir avant. « Si tu viendrais » rectifie t-il, après un haussement d’épaules, sans rancune dans le regard. « Ce ne sont pas des choses que je peux dire aux miens. Si je faiblis, d'autres faibliront aussi. J'étais comme ça, j'étais toujours influencé par Mademoiselle. » Il baisse les yeux un court moment au souvenir, avant de les relever vers elle. Ses doigts effleurent sa joue. « C'est ridicule, mais ça me fait du bien de le dire, et que ce soit toi qui le sache. ». C'est presque audacieux, cette honnêteté devant elle. Le fait qu'elle soit au courant l'incitera à revenir plus souvent, c'est ce qu'il veut et ce dont il a besoin.

Sting recule d'un pas, renouant avec un peu de pudeur. « Tu as faim ? Tu pourrais rester un peu avec nous. » S'il s'agit de nourriture, là il va falloir prévenir Lecter rapidement.