L’image des terres gelées ne quitte pas l’esprit depuis la tentative de reconnaissance éphémère menée avec Knightwalker, l’idée semblait opportune sur le papier, mais la réalité est rapidement venue le ramener à la raison. L’état actuel du royaume est de plus en plus précaire, et chaque choix semble porter plus de conséquences néfastes que de réels bénéfices, peu importe l’action choisie, il y a toujours en conséquence une porte laissée ouverte pour que l’alliance vienne s’y engouffrer, histoire de les enfoncer toujours plus. Les idées sont là, mais leur moyen de mise en œuvre reste insaisissable. Casse-tête infernal qui ne vient pourtant pas remettre en cause la détermination royale d’aller planter son étendard sur le continent maudit, c’est dire à quel point la situation est désastreuse. L’expédition est prévue dans quelques semaines, le temps de permettre la mise en place logistique du matériel et des troupes nécessaires pour une première phase de découverte. Les journées sont rythmées par l’élaboration de plans, la formation d’équipe et les inventaires de tout ce qu’il va falloir transporter pour s’implanter de manière provisoire au nord, le temps de dompter l’hostilité du territoire. Le tout en assurant que les décisions évoquées lors de la réunion d’urgence suivant la destruction des pégases quant à la protection du peuple soient mises en place le plus rapidement et efficacement possible. Pas le temps de penser à quoi que ce soit d’autre, l’esprit ne connaît pas vraiment le repos, même dans les rares moments de calme, l’agitation interne mène la vie dure à un sommeil famélique. Marathon qui pèse sur l’ensemble des soldats au fur et à mesure qu’ils sont choisis pour participer au saut dans l’inconnu. Il n’y a que dans les derniers jours, quand l’échéance se fait presque palpable, que le commandant peut se permettre de souffler, la machine opérant avec suffisamment d’autonomie pour pouvoir régler les derniers détails sans qu’il ait besoin de s’en mêler activement. Repos bienvenu avant de prendre la direction du froid, l’idée est en partie sienne après tout, pas question de se défiler au moment décisif. Installé comme une loque au fond de son siège, il profite du silence, ou plutôt du tumulte étouffé par les murs de son bureau. Quelques minutes, qui paraissent comme des heures, avant qu’on vienne faire irruption pour lui confier une paire de documents demandés de son propre chef. Rapports d’incarcérations sur les dernières semaines qu’il épluche directement avec la plus grande attention. Ce ne sont pas tant les nouveaux détenus en eux-mêmes qui sont la source de son intérêt, mais plutôt la description de la personne ayant permis de mettre la main sur certains mages noirs. Comme un fil rouge aux derniers événements, le blanc a suivi la chasse d’Alycia à distance, d’abord pour s’assurer que tout se passe bien, mais surtout pour se rassurer.

Le rythme soutenu initial ne laissait pas de toute à avoir quant au déroulé de cette vengeance, mais les rapports ont fini par s’espacer sur les derniers temps, jusqu’à s’arrêter, la dernière mise derrière les barreaux datant de plusieurs jours. Le commandant n’aurait pas cherché plus loin si la jeune femme était de retour à la Cité, mais ce n’est pas le cas, laissant craindre que les choses ne se soient pas terminé de manière optimale. Grimace qui lui déforme le visage, sa position retrouve un minimum de sérieux avant qu’il ne commence à tourner en rond en faisant les cent pas dans le bureau. Il y a toujours des détails minimes pouvant requérir sa supervision, mais rien que les autres officiers ne puissent gérer en cas d’absence. Le départ pour Norest n’est prévu que dans quelques jours, ce qui lui laisse une petite marge de manœuvre pour s’occuper d'un sujet plus personnel qu’en rapport avec ses obligations. L’hésitation ne dure pas bien longtemps avant qu’il ne convoque l’officier directement en dessous de lui pour signaler son absence, tout en demandant que celle-ci ne soit pas ébruitée sauf en cas d’extrême urgence. Ils n’ont toujours pas réussi à mettre la main sur les éléments de l’armée passant les informations à l’alliance, faire fuiter l’absence d’un commandant pourrait avoir des conséquences désastreuses, autant que ça reste un secret pour tous à l’exception des deux autres et du roi.

Départ sous couvert du secret, il s’arrange même pour partir en même temps qu’un groupement de soldats devant rejoindre Lestallum pour participer à la remise en état de la ville, histoire qu’on ne trouve pas louche de voir un Legion décoller sans destination annoncée. Ethan ne connaît pas la position exacte à laquelle Alycia se trouve, les différents rapports lui permettent juste de trianguler une zone approximative dans laquelle il va falloir fouiller pour retrouver sa trace. Autant dire qu’il y a bien plus de chance que ce soit elle qui le trouve que l’inverse, le commandant est bien loin d’avoir les mêmes talents de traqueur que ceux de la rousse, mais pas question de se laisser démotiver par ça. Dans sa zone de recherche, se trouve une importante forêt, premier lieu d’exploration choisi, terrain de chasse parfait pour l’activité à laquelle la Lamia est censée s’adonner. Pas trop d’idée de combien de temps il lui faut à se perdre là-dedans, certainement qu’il finit même par passer plusieurs fois au même endroit en croyant réussir à s’orienter convenablement. Le Cavendish termine cependant par trouver une présence humaine, mais pas celle espérée, plutôt l’inverse même, des mages noirs qui, à les écouter, sont eux aussi à la recherche d’Alycia. Ils sont sûrement là depuis plus longtemps que lui, alors décide de rester dans l’ombre, avec l’infime espoir que les hors-la-loi finisse par lui donner une piste suffisamment solide. Filature silencieuse qui n’a rien d’une promenade de santé, la chasseuse semble avoir tellement malmené les forces de l’alliance qu’elle est devenue une cible prioritaire. La chute libre des mages noirs livrés au gouvernement s’explique par l’inversion des rôles, ce n’est plus elle qui semble les chasser, mais bien l’inverse. Point positif, la belle semble pour le moment leur échapper. L’impression d’avoir parcouru la forêt de long en large se fait rapidement ressentir, jusqu’à passer à proximité d’une bâtisse en ruine, colonisée par la végétation environnante, que les mages noirs ignorent à sa plus grande surprise, l’endroit semble pourtant une planque de choix, pour lui tout du moins, au point qu’il décide d’abandonner ses deux guides ignares pour explorer la structure.

Les pas résonnent, discrétion foireuse pour réussir à se faufiler tant bien que mal dans l’habitation abandonnée et, sans avoir vraiment le temps de faire quoi que ce soit de plus, il se retrouve avec un arc pointé dans sa direction. Infime latence le temps de d’analyser la situation pour se rendre compte de l’absence de menace, il lève alors les bras pour se rendre. « Bon sang, Ethan, me fait pas flipper comme ça ! » Sourire qui lui barre le visage alors que l’arc disparaît. « …Qu’est-ce que tu fais là ? » L’absence de nouvelles, l’inquiétude, la peur, il pourrait faire une liste assez longue pour justifier la raison de sa présence, le sourire perd un peu de sa largeur quand il détaille l’état dans lequel la rousse se trouve. « Je suis en retard pour le cours, c’est ça ? C’est que le temps passe vite, quand on s’amuse… » « Tu sais, c’est un peu la honte pour un commandant de se faire poser un lapin, à attendre tout seul au milieu du centre d’entraînement. » À dire vrai, cette histoire d’entraînement ne lui avait même pas traversé l’esprit, trop occupé par les futurs plans de conquête, mais maintenant que le sujet est remis sur la table, il se souvient d’une chose. « J’avais promis de venir te chercher si jamais tu venais pas, non ? » Ethan tourne lentement sur lui-même, les pupilles détaillent l’endroit de manière grossière, pas vraiment de chose sur lesquelles s’attarder à part les diverses fissures et l’état de ruine. « C’est ta nouvelle habitation ? Je vois un peu la ressemblance avec l’ancienne. » Tentative d’humour foireux, lui aussi tente de relativiser la situation, mais il n’y arrive pas vraiment, le sourire s’efface au fil de l’échange. « Ça va ? » Le ton est instantanément plus sérieux. Mots retenus lors de leur dernière rencontre, mais cette fois, il ne peut pas s’empêcher de les prononcer. « T’as trouvé ce que tu cherchais ? » Les mots transpirent l’inquiétude de la voir s’enfoncer dans cette spirale, à la recherche d’une vengeance inatteignable qui finirait par lui coûter la vie.

« J’y peux rien si t’as accepté d’entraîner la pire élève au monde. » Ça faisait partie de la promesse, à partir du moment où elle lui a confié ses désirs de vengeance, tout laisser entendre qu’elle ne viendrait pas d’elle-même. Boucle infinie dans laquelle il est difficile de se sortir, on trouve toujours une nouvelle cible pour tenter d’extérioriser les sentiments que l’esprit peine à encaisser. « La pire, je sais pas. La moins ponctuelle, tu gagnes haut la main. » C’est pas tous les jours qu’il faut parcourir la moitié du royaume pour mettre la main sur la personne qu’on est censé entraîner. Silence éphémère, avant la prise de conscience. « …Commandant ? » Mélange d’incompréhension, ça le frappe seulement maintenant qu’à poursuivre des mages noirs à longueur de journée, elle n’est pas au courant des derniers mouvements au sein de l’armée. Dans toute l’agitation qui remue le royaume en continu, les choses bougent à la vitesse de l’éclair, à peine quelques semaines depuis la dernière fois qu’ils se sont vus et pourtant, on dirait que des mois se sont écoulés. « …J’sais pas si je dois te féliciter d’avoir mis une énorme cible sur ta tête, en fait. » Ça lui décroche un sourire amusé. « C’est un peu l’hôpital qui se fout de la charité, non ? » qu'il répond d'un ton narquois. Rapport à la situation actuelle, à chasser les membres de l’alliance de manière incessante, c’est Alycia qui se place en bonne position dans la liste des personnes à abattre, au point de devoir se planquer au milieu de nulle part le temps de faire redescendre la pression.

L’attention reportée sur la bâtisse abandonnée le temps d’une remarque légère pour souligner l’état délabré du lieu dans lequel ils se rencontrent une nouvelle fois. « T’as besoin de lunettes, ici, c’est le grand luxe comparé à mon ancien chez moi ! » Planches de bois pourries, craquant à chaque mouvement, menaçant de s’effondrer à chaque contrainte et toit qui offre une vue directe sur l’extérieur à plusieurs endroits. « On va dire que c’est plus… Rustique ? La prochaine fois, c’est moi qui choisis. » Échanges facétieux en opposition avec la situation, mais le sérieux fini tout de même par prendre le pas sur la discussion quand vient l’heure de s’enquérir sur l’état de la rousse. « C’est la grande forme, ça se voit pas ? » Les pupilles viennent parcourir son visage pour y observer la fatigue infinie qui anime ses traits. Comme la dernière fois, mais en pire. « Pas vraiment, non. » Il cherche vainement une image d’Alycia ne portant pas tout le poids des événements sur ses épaules, mais les souvenirs s’évadent, chaos ambiant qui dure depuis tellement longtemps que le moindre moment isolé du bordel récent donne l’impression d’appartenir à une vie d’antan. « Au contraire. » La voix trahie l’inquiétude face au regard fuyant, personne ne peut accumuler autant de choses de manière infinie sans atteindre un point de rupture. « C’est…Compliqué. » Grimace sur le visage, c’est la dernière à vouloir emmerder les autres avec ses histoires, la réponse ne devrait pas surprendre. « Quand est-ce que ça l’est pas ? » Jamais, pas dans leur monde, pas dans le contexte actuel, ils ne seraient pas là si la complexité ne se pointait pas à la moindre occasion. « Mais tout garder pour soi n’a jamais arrangé quoi que ce soit. » Il voudrait qu’elle parle, pour pouvoir l’aider au-delà des phrases détournées par la légèreté.

Le sol craque lorsqu’il se déplace, quelques pas pour parcourir l’espace restreint du refuge de fortune avant la prochaine interrogation. Le sérieux s’efface un peu quand elle lui offre un léger sourire. Aucune idée du temps qu’il va falloir pour que les mages noirs décident de jeter l’éponge et remettent à plus tard leurs recherchent. Vu les troubles semés par la rousse, ils vont sûrement s’acharner au maximum. « Je sais pas trop comment une soirée pyjama se déroule, mais j’imagine que tout le monde partage des trucs, pas juste une seule personne. » Sourire malicieux sur les lèvres, insistant sans vraiment chercher à s’en cacher. « Je commence. Je crois que le roi même bien, ou alors c’est juste parce que je suis le seul type avec le cerveau assez flingué pour lui demander de me filer une division. » Ou comment se mettre dans la merde tout seul comme un grand, demander la responsabilité de la seule chose avec laquelle l’alliance s’amuse comme s’il s’agissait d’un vulgaire jouet : les défenses du royaume. L’utopie suivant la rencontre avec le souverain a rapidement laissé place à la réalité des choses, sa division est à la rue et le commandant n’a toujours pas réussis à redresser le tir. « Je pensais pas que changer les choses seraient aussi compliqué. » Il se gratte la tête, de chaque solution qu’il pense trouver découle au minimum le double de problèmes. « Mais si tu me promets d’être ponctuelle au prochain entraînement, c’est déjà un souci de moins. » Ethan réduit la distance qui le sépare de la jeune femme, s’épaulant contre la seule poutre qui donne l’impression de pouvoir supporter son poids. « À ton tour de parler maintenant. » Qu’il balance sans la moindre transition, plongeant son regard dans le sien.

« Oh, t’es définitivement le seul type avec le cerveau assez flingué pour ça. » Il ne peut retenir un rire face à cette réponse, après tout, il y a une part de vérité derrière cette blague, toujours à se retrouver dans les situations les plus tordues, comme s’il cherchait naturellement à se foutre dans la merde dès que possible. « Et tu sais, pour ce que ça vaut…Je suis sûre que tu vas très bien t’en sortir. T’as l’air d’être le genre de personne capable de faire des miracles. » C’est peut-être surestimer les capacités du Cavendish que de parler de miracle, même si c’est bien de ça que le gouvernement a besoin pour redresser la barre dans l’affrontement qui l’oppose à l’alliance. « J’allais dire que tu t’avances un peu. Mais si j’arrive à te rendre ponctuelle pour un entraînement, qu’est-ce qui peut m’arrêter ? Baram n’a qu’à bien se tenir ! »

La discussion dérive de ces échanges aux taquineries usuelles, le sérieux prenant racine pour aborder des sujets qu’ils n’ont pas l’habitude, ni le courage d’évoquer en temps normal. Il aimerait pouvoir se contenter des sourires moqueurs, mais impossible face à toutes les merdes qui ne font que s’enchaîner ces derniers temps. Les regards se soutiennent mutuellement, comme s’il s’agissait d’une confrontation, ce qui, en soit, n’est pas loin de la vérité, l’inquiétude force à vouloir comprendre le besoin de se mettre dans des situations aussi précaires. Le fin sourire qu’elle lui offre ne change pas la détermination, la belle n’est pas du genre à laisser facilement des ouvertures pour apercevoir ce qui lui torture l’esprit, pas question de laisser passer cette occasion. Pas besoin de forcer la réflexion pour comprendre que, lorsqu’Alycia s’improvise conteuse, le personnage principal de son histoire n’est autre qu’elle-même. L’attention reste immuable au rythme de ses mots, trop concentré pour répondre aux quelques interrogations parsemées dans le récit. Elle se renferme au fur et à mesure des détails lâchés, la voix qui fluctue sensiblement, le regard qui s’échappe, si même la révélation détournée est suffisante pour la mettre dans cet état d’inconfort, impossible de s’imaginer l’enfer des souvenirs qui doivent tourner en boucle dans son esprit. Même quand le silence s’installe, aucune réaction n’en ressort. Culpabilité naissante d’avoir cherché des réponses ne lui étant pas destinées, de la forcer à revivre tout ça une fois de plus. « Cette histoire est soporifique, comment tu fais pour rester éveillé ? » Il voudrait juste balancer une connerie, lui dire que c’est sûrement la pire histoire qu’il ait entendue pour endormir quelqu’un, qu’il n’arrive pas à imaginer le nombre de gamins qu’elle a dû traumatiser plutôt que bercer avec ce genre de récits. Mais la seule chose qui passe la barrière de ses lèvres est un simple « Désolé. » Dans un souffle, le regret qui anime la voix. « C’est ton tour maintenant, je suppose ? » « J’imagine, chacun son tour. » Le commandant se laisse glisser le long de la poutre contre laquelle il s’appuie depuis plusieurs minutes, venant s’asseoir à même le sol.

Pas franchement adepte du partage personnel non plus, ça lui prend quelques secondes pour tenter d’organiser un semblant de pensée. « J’ai jamais été proche de ma famille, loin du genre de relation qu’on peut s’attendre entre des parents et leurs gosses. On était plus dans la relation professionnelle qu’autre chose. » Au diable l’amour inconditionnel, le patriarche n’en a jamais fait la moindre preuve, trop occupé par l’empire qu’il rêvait d’instaurer. « Mon frère devait reprendre le business, ce qui me laissait juste le rôle de faire valoir. C’est toujours bien vu d’avoir un membre de la famille au service du royaume… D’où l’armée. » Ça semble un chemin tout tracé, sans la moindre difficulté, mais Ethan à toujours l’habitude de prendre les chemins détournés. « Le problème, c’est que mon père n’avait pas prévu que j’allais être aussi nul. » La nostalgie lui arrache un souffle rieur. « Tout au fond du classement de l’académie militaire à la fin de la formation, ça la fout mal. » Mais il en faut plus que ça pour mettre à mal les plans de Cavendish senior. « C’était encore l’époque où Faust était au pouvoir, et que mon père avait ses entrées. Il y a toujours un moyen de tricher pour arriver au résultat souhaité… » Les mains qui viennent glisser sur le visage pour retirer le bandeau qui lui couvre habituellement les yeux, la luminosité est suffisamment faible pour se le permettre sans contre coup. « Un coup de sérum en intraveineuse, une implantation de lacrima et une cohorte d’anciens soldats comme tuteurs privés, la recette pour produire un soldat qui ne fera pas honte à sa famille. » La pièce de tissu tourne maladroitement entre ses mains, de manière à les occuper, pour maintenir une sorte de concentration. Enfance merdique parmi tant d’autres, au final, quand on voit l’état du royaume ces dernières années, c’est presque comme s’il n’avait pas le droit de s’en plaindre. « Au final, malgré tout ça, je devrais presque lui dire merci. C’est au sein de l’armée que j’ai rencontré les personnes qui m’ont servi de famille de substitution. » Cependant, dans leur réalité, rien n’est éternel, bien au contraire. « La suite est similaire à ton histoire, extermination en règle. On était à Midgar pendant l’attaque de l’alliance… J’ai survécu va savoir comment… Les autres membres de la section, à part deux ou trois, n’ont pas eu la même chance. » Les cordes vocales se resserrent alors que le regard vient s’écraser sur le sol. « Je t’ai dit que j’étais là parce que j’avais promis de venir te chercher, c’est pas exactement ça. » La promesse ne lui sert que d’excuse pour justifier sa présence, sachant pertinemment que le scénario dans lequel la belle se serait pointée en temps et en heure à l’entraînement planifié n’avait que d’infimes chances de se produire. Il a se même sentiment qu’Alycia a décrit qui lui tord les tripes à chaque fois que les pensées viennent s’insinuer dans son esprit. « Je ne veux plus perdre les personnes qui comptent vraiment pour moi. » Ses iris bleutés viennent de nouveau se poser sur la silhouette de la rousse. « La liste est très courte, mais t’en fais partie. » C’est sa façon maladroite de lui faire comprendre qu’au-delà d’une inquiétude classique, c’est la peur de la perdre qui a conduit ses pas jusqu’à cette bâtisse.

Tout semble en suspens, entracte dans la pièce relatant la déchéance des forces gouvernementales face aux ombres qui étendent leur étreinte chaque jour, un peu plus. Ils sont là, tous les deux, comme cachés du monde pour pouvoir souffler, en sachant que les emmerdes ne se trouve qu’à quelques pas, vadrouillant la zone dans l’espoir de tomber sur la chasseuse s’étant jouée d’eux après de multiples affrontements. Le calme est une denrée rare, dont ils ne sont plus capables de profiter pleinement, toujours à se demander ce qui viendra ensuite, dans quelle situation ils vont se retrouver, quel danger l’autre va devoir affronter. Les récits du passé rendent l’ambiance morose, au point que même les blagues et taquineries habituelles ne trouvent plus leur place, pour une fois, il n’y a que le sérieux qui anime leurs échanges. Leurs mains se quittent quand les sentiments s’en mêlent maladroitement, chacun est incapable d’énoncer clairement ce qui lui trotte dans la tête. « Tu sais déjà que tu comptes vraiment pour moi aussi, alors je n’ai pas vraiment besoin de le dire, pas vrai ? » « Ouais. » Accompagné d’un sourire. Légère brise qui vient faire danser la végétation environnante, le claquement des branches couvrant le silence de nouveau présent, avant que la belle ne prenne de nouveau la parole. C’est comme un déclic, les confidences s’enchaînent plus sur quelques minutes que durant toutes les discussions qu’ils ont pu avoir jusqu’à maintenant. Elle explique la stratégie futile pour s’éviter un bis repetita, forteresse émotionnelle pour se garder d’une nouvelle désillusion. Mais tout n’est pas aussi simple, malgré ce qu’elle affiche aux yeux du monde, Alycia lui semble trop tenir aux gens qui l’entourent pour qu’une telle stratégie dure dans le temps. C’est d’ailleurs la conclusion tirée de cette tentative de laisser les personnes à l’écart. « T’es devenue tellement important pour moi. » Sourire niais sur le visage en venant fixer le sol, une main frottant sa nuque. Mais il est vite rappelé au sérieux quand la rousse évoque la propension du commandant à se mettre dans des situations plus rocambolesques les unes que les autres, le tout avec une facilité déconcertante. Le sentiment est mutuel, cette peur qu’il arrive quelque chose à l’autre, c’est d’ailleurs pour ça qu’il se retrouve avec elle dans cet endroit. Le manque d’informations, en sachant le danger lui tournant autour, il n’y avait pas eu besoin de grand-chose pour que le blanc s’imagine le pire face à l’absence de nouvelles. Toujours à partir devant, sans vraiment se soucier de l’inquiétude généré chez leurs proches, voilà bien un trait commun que tout deux voudraient voir disparaître chez l’autre.

Les mots tournent dans son esprit, mais il ne trouve rien de mieux à dire, les dernières paroles d’Alycia résument parfaitement ses propres pensées. « C’est réciproque, tu sais. » Le tourment permanent quand on sait que la personne en face ne renoncera jamais à se battre pour ses principes, quitte à se foutre dans les situations les plus précaires. « L’inquiétude va dans les deux sens. Comme quand tu t’élances en solitaire dans une guerre ouverte avec un membre de l’alliance. » Il n’a rien contre l’idée, au contraire, mais dans la limite du raisonnable, avec un moyen de se sortir du pétrin, d’autres personnes capables de venir rapidement en soutien si la situation devient critique. Mais difficile pour lui de réellement critiquer, il aurait pu avoir la même idée et la mettre à exécution, c’est bien ce que la mage lui reproche aussi. Comme cette conquête du nord pour laquelle le commandant a milité et qui se présente comme un nouvel obstacle volontaire à surmonter. « En parlant d’idées qui attirent les emmerdes. Il est très probable que le gouvernement se lance dans une expédition à Norest dans les prochains jours. Et par très probable, je veux dire certain. » Il tente à nouveau d’attraper son regard, grimaçant légèrement, mais le sourire toujours accroché aux lèvres. Personne n’avait mis officiellement les pieds sur ce continent depuis des siècles, mais il n’est pas désert pour autant, il n’aura suffi que d’une visite rapide à Erza et Ethan pour se rendre compte que la tâche sera des plus compliquées, la faune locale étant d’une agressivité prononcée. « Je te l’accorde, comme j’ai un peu insisté pour que ça se fasse, on peut sûrement classer ça dans le top des idées foireuses. » Difficile de lui demander de ne pas s’inquiéter face à la promesse d’une situation dangereuse en territoire inconnu. Quelques secondes de réflexion, le temps de trouver un moyen d’éviter le tourment. Il vient saisir la main de la rousse, glissant ses doigts entre les siens. « Pas besoin de s’inquiéter, tout se passera bien, c’est promis. » Et il tient toujours ses promesses, sa présence en est la preuve. Il ne garantit pas l’absence de prises de risques, ça serait lui mentir que de promettre des décisions tout en sécurité. « Les guildes sont aussi sollicitées, ça te tente pas une expédition dans le grand nord ? Le froid, les monstres et tout le reste ? » Au moins, s’ils sont tous les deux dans la même merde, plus besoin de se demander dans quoi l’autre va s’embarquer.

Ils ont chacun un talent certain pour inquiéter l’autre, une propension à se mettre dans des situations délicates, bien souvent de manière consciente, sans jamais vraiment se rendre compte des conséquences qui pourraient en découler, de l’inquiétude qu’ils génèrent, du mélange de tristesse et de détresse qu’une issue fatale pourrait provoquer. Toujours en première ligne, même quand la situation voudrait le contraire et que la prudence semble le meilleur mouvement, c’est tellement ancré dans l’être que d’y remédier prend la forme d’un effort. Ça n’a sûrement l’air de rien pour tout un chacun, mais de ses paroles naissent un semblant de soulagement, comme si, d’un coup, il sentait un poids disparaître. « Deal ! Et de mon côté, je vais tenter de prévoir des plans un peu moins rocambolesques. » Les compromis semblent lunaires : si tu me promets d’être moins suicidaire, je fais le même effort. Un miracle qu’ils soient encore tous les deux du côté des vivants, encore plus dans la situation générale qui plombe le royaume. Le ton solennel de ces dernières minutes tranche avec celui plus léger de leurs échanges habituels, preuve du sérieux qui anime les paroles, ils tiennent l’un à l’autre, bien plus qu’il n’aurait pu l’imaginer, réalisation qui vient frapper l’esprit du militaire. En temps de guerre, ne vous attachez à personne, le genre de parole qu’on entend à répétition, mais comme à son habitude, il fait tout le contraire, incapable de suivre le moindre adage, incapable d’avancer sans se donner le moindre espoir. Plus moyen de se voiler la face sur la raison l’ayant poussé à traverser la moitié d’Edoras pour venir trouver Alycia, en plein milieu d’une forêt parsemée de mages noirs espérant mettre la main sur la scalienne pour se venger des tourments que la belle leur a infligé avec sa vendetta solitaire.

Le sérieux n’est jamais éternel entre les deux, la légèreté tentant de refaire surface dès que l’occasion se présente, mais les traits d’humour semblent bancals et maladroits lorsqu’ils font suite à toutes les confidences qu’ils viennent de s’échanger. « Tu manques de volontaire alors tu recrutes les campeurs paumés dans les bois ? » Il rigolerait volontiers, si seulement cette phrase n’était pas aussi proche de la réalité. Déjà que les effectifs du corps militaire sont à des lieux de l’abondance d’autrefois, au point que seule une infime partie des troupes pourra être dispatchée pour cette mission, mais il est tout aussi difficile de trouver des personnes se portant volontaire pour aller explorer un territoire hostile animé par des légendes capables de rebuter à elles même les plus téméraires des aventuriers. Leurs regards s’entremêlent de nouveau quand, malgré une tentative dérisoire pour la convaincre, Alycia confirme qu’elle fera partie du voyage. Accord à condition que la promesse réciproque faite quelques minutes auparavant soit respecter, à savoir qu’aucun des deux n’aille se mettre volontairement dans une situation précaire, privilégiant la prudence dès que possible. « Ça me semble raisonnable, on fait comme ça. » Puis vient le temps des explications, qu’est-ce qui peut justifier de vouloir aller s’adonner à une balade en plein désert de glace quand ils n’arrivent déjà pas à protéger les terres qu’ils connaissent. « Rien de tout ça, je te rassure. » Pas de diplomatie, et sûrement qu’aucun adjectif pouvant rappeler l’ennui n'est associable aux aventures qui peuvent les attendre sur le territoire du nord. La simple visite fugace effectuée avec Knightwalker a suffi au commandant pour comprendre que la moindre chose capable de vivre dans les conditions extrêmes de Norest leur serait forcément hostile. « On a besoin de ressources, et de quelque chose pour nous redonner l’avantage face à l’avancée de l’alliance. Avec tout ce qu’on raconte sur Norest, il doit sûrement y avoir un truc qui traîne là-bas qui pourrait nous aider. » L’espoir s’agraine au fur et à mesure que l’influence de Baram s’étend sur le territoire royal, alors la moindre lueur d’inverser la tendance lui semble bonne à prendre. Il s’agit aussi d’y établir une présence avant l’ennemi, pour ne pas se retrouver avec une menace si proche de la Cité Royale. « Pour y avoir fait un tour assez rapide, je peux te garantir sans le moindre souci qu’il n’y aura rien de barbant, bien au contraire. Un territoire inconnu, des conditions horribles et une faune locale qui devrait avoir pour seul but de nous transformer en repas. Je pourrais difficilement te promettre mieux que ça. » Personne de normalement constitué ne devrait être intéressé à la suite d’une telle description, au contraire, avec une liste de danger qui semble flirter avec l’infinie, l’idée d’explorer les terres glacées semble n’être rien d’autre qu’un bourbier, ce qui montre à quel niveau ils en sont rendus.

Mais avant de penser à ce que les attends, il leur faut déjà se focaliser sur le moment présent, et réussir à quitter le taudis qui leur sert d’abri depuis un certain temps maintenant. « On rentre ? » Le commandant se contente d’acquiescer avant de saisir à nouveau la main de la rousse pour se relever. « Allons-y, avant que ce qu’il reste de cette maison finisse par nous tomber dessus. » Ou surtout, qu’une des lunes vadrouillant à travers les bois pour mettre la main sur Alycia se décide à venir fouiller l’endroit. « C’est le moment de me montrer tes talents de traqueuse pour sortir de cette forêt. » Le chemin aller n’a été qu’une succession de choix hasardeux pour se frayer un chemin parmi la végétation, et il peut l’avouer sans problème, c’est plus par chance qu’autre chose que le Cavendish est arrivé jusqu’à la localisation de la scalienne. Autant dire que ce n’est pas lui qui va leur permettre de quitter la forêt de manière efficace, tout en s’assurant de ne pas se retrouver dans un face-à-face hostile. Ethan laisse donc la chasseuse prendre les rênes de leur échappée en se frayant un chemin silencieux à travers la verdure qui les entoure. Malgré toute leur attente, ils croisent tout de même quelques mages encore à la recherche d’Alycia, les plus déterminés, dernier vestige de la traque infructueuse des lunes. Mais ils se contentent de les esquiver, qui sait combien sont encore présents et n’attendent qu’un signal pour leur tomber dessus. Finalement, la lumière lunaire se fait plus intense à mesure que la végétation s’estompe, et ils finissent par s’extirper, prenant tranquillement la direction de Lestallum.