Teru ne se doutait pas que la petite frimousse qu’il présentait à William en signant son départ changerait la date de sa prochaine rencontre avec celui-ci. Il s’imaginait le retrouver quelques mois plus tard, sur demande de quelqu’un d’autre. Quelqu’un qui aurait étudié les compétences de chacun et aurait déterminé rationnellement qu’ils étaient compatibles pour une mission précise. Teru se trompait. Son aîné le contacta lui-même. Quelques jours seulement après leur cueillette. Rutherford avait raccroché après une requête sibylline. Requête lancée sans raison, explication. Quelle diligence. Le gamin savait qu’il devait suivre son indication à la lettre parce qu’elle allait servir à quelque chose après, lorsqu’ils se rencontreraient en personne.

Teru était très précis dans l’utilisation de sa magie, car il s’en servait en permanence depuis qu’il s’était découvert capable d’accélérer. Depuis très, très jeune. Il savait avec assez de précision quelle vitesse il lui fallait atteindre pour exécuter un saut de X mètres de distance. Il était toutefois moins habitué à transporter des personnes avec lui. Ça avait dû se produire quelques fois avec des membres forts de sa guilde, avec quelques précautions pour ne pas qu’ils se blesse la nuque à cause de la vitesse. Evan ne s’était pas imaginé devoir s’entrainer plus particulièrement sur ce sujet, sur demande de sa guilde. Encore moins se retrouver à transporter des bicornes. Il aurait bien aimé s’entrainer avec du gabarit plus léger mais il sembla que ce fut la seule bête de Galad capable de résister à la vitesse et à l’atterrissage. Il y avait aussi le managarm. Teru s’était cependant blessé la main en en attrapant un.

William lui laissait une semaine pour s’entrainer au transport, cela lui semblait être un temps long. Le Fast Kid faisait dans les shorts délais. Il respecta toutefois les instructions. Le samedi requis, il se rendit sur le littoral Ouest de Galad, à quelques kilomètres au Sud de Troia. Il avait la latitude et la longitude exacts sur son PHS, impossible de le rater. Ça devait être une mission vraiment importante, pour que William se déplace jusqu’ici. Galad était le continent le plus sécurisé et ils n’étaient pas si loin d’une bonne ville. Les mains fourrées dans les poches, Teru cracha son bâton de sucette et fit un tour de périmètre pour vérifier qu’aucune patrouille ne se trouvait à proximité. Il aperçut William dans sa course qui totalisait moins d'une seconde. Il réapparut au même spot qu’avant et attendit son camarade. Il y avait bien quatre soldats qui se dirigeaient vers eux, Est toute.

— Salut Will ! On va avoir de la compagnie. J’t’emmène ?

Avant toute réponse, Teru se trouva à côté de lui, ses lunettes d’aviateur couvrant ses yeux, une main posée sur la nuque de l’ex-soldat. Le gamin vivait à tout allure et ne se rendait pas compte de ses manies démesurément vives pour les personnes qui n’avaient pas l’habitude de le côtoyer. William semblait le genre à s’adapter vite.

— Permets. C’est pour éviter le coup du lapin. Ferme les yeux.

Ils disparurent ensemble. Evan reposa son camarade juste devant les gardes qui n’eurent pas le temps d’apercevoir celui-ci car le gamin poursuivit sa route en frappant la nuque de chacun, veillant à ne pas mettre beaucoup de force. Il craignait encore de tuer. Replacé à côté de William, il observa avec attention l’homme qui devait se remettre du voyage, très éprouvant pour un métabolisme n’étant pas fait pour cette vitesse. Le sérum l’aiderait à se remettre plus vite qu’une personne plus normale.

— S’ils décrivent à quelqu’un ce qui leur est arrivé, des soupçons pourraient se porter vers moi.

Toujours présumer le pire, on lui avait appris. Même si la majorité ne soupçonnerait pas Teru, le gamin étant plutôt réputé pour des larcins servant à le nourrir, les temps actuels pourraient forcer la méfiance sur lui, sur tout le monde.

— Mais je sais que toi tu peux…

Il porta deux doigts à sa tempe et les agita brièvement, suggérant la manipulation de mémoire. L’image du garçon tremblota. Il venait de faire un deuxième tour du périmètre en un rien de temps. Cette fois, ils seraient vraiment tranquille pour ce truc qui nécessitait de rester… proche de la mer.

La position de Teru changea. Le fait qu'il tienne un livret dans sa main indiquait qu'il venait de se déplacer. Un œil normal, quoique même entrainé, n’aurait pas pu suivre le mouvement. Il zieutait avec curiosité la pièce d’identité d’un des soldat.

— C’est quoi le plan aujourd’hui ? On doit guetter un bateau ? demanda le garçon rapidement, relevant son petit nez vers William.

À la fin de sa phrase, il tenait dans sa main la pièce d’identité d’un autre soldat. Teru portait des gants à cet effet, afin que l’on ne retrouvât pas ses empreintes. Sa manie fâcheuse de toucher à tout lui porterait préjudice sans cela. L'instant d'après, il ne tenait plus rien et avait tout rendu.

Expert en maraudage. Teru voulait bien répondre à ce rang. Cependant, la quête du jour aurait bien plus de conséquences qu'un vol de comics rares s'il se faisait attraper. Fichage. Fuite. Anonymat. Le gamin était déjà en train d'envisager l'éventualité de vivre à la guilde. Le désagrément majeur fut que ça le retirerait des affaires d'espionnages.

— T'es sûr que tu veux de moi pour cette mission ?

William s'occupa de la mémoire du dernier homme.
Doutant sur ce qu'il voulait d'un PHS, le gamin demanda préalablement quelle utilisation il comptait en faire. Avec l'information qu'il s'agissait d'entrer des coordonnées, Teru lui donna plutôt le GPS fabriqué par ses soins. William les entra dessus. Coup d'oeil à l'affichage de la carte. Teru rangea ensuite l'appareil.

— Ok chef.

Ses lunettes couvraient déjà ses yeux. La distance à parcourir ne représentait que quelques kilomètres. Avec charge, l'effort demandé serait décuplé. Teru ne le réalisait pas avant de partir. Son premier aller-retour représenta cinq secondes. Il ne pouvait pas transporter deux corps à la fois. Seulement un à un. Il déposa les corps aléatoirement dans la plaine rocheuse du bord de mer, sans douceur, les jetant pour qu'ils se réveille avec l'impression d'avoir été éjectés par attaque. Vingt secondes au total. Très long, à son chrono personnel. Teru rejoignit William sur la côte au dernier retour. Le gamin reprit doucement son souffle et releva ses lunettes sur son front en s'humectant les lèvres. S'il ne se plaignait jamais, on lui demanderait toujours plus. Son pouvoir ouvrait de grandes portes mais avait des limites. Il fallait que ses coéquipiers les connaissent.

— Prochaine étape, décrocher la lune ?

Sarcasme doux, alarme discrète, traçant la ligne blanche de ses capacités. Laisser passer un bateau lui offrit du temps pour récupérer. Le gamin bailla tout de même aux corneilles, la paume sur le museau. Malgré un état de fatigue relativement supportable, Teru mit en place de lui-même, mentalement, les pièces du puzzle. Il s'était entrainé à transporter des animaux pour cette raison précise. Viser un pont et ne pas se planter. Le score parfait n'existait pas. Le speeder avait la certitude de pouvoir les envoyer sur un bateau. Où avec précision, ça, ce fut impossible à évaluer. Teru observait son camarade qui observait la mer.

Les lunettes du cadet furent en place avant la fin des instructions de Rutherford.

— Ferme les yeux.

Une main sur sa nuque, une main sur son bras, Teru prit le petit élan laissé devant eux en soulevant William. Il bondit avec lui en ciblant le bateau. Atterrissage sur le pont arrière, bien trop proche du bord. La distance nécessaire à désamorcer la vitesse aurait dû être un tantinet plus grande. Les côtes de Teru frappèrent la rambarde. Ses bras avaient prit soin de ralentir l'arrivée de William pour ne pas qu'il s'assomme ou vomisse son foie après impact. Tandis que Rutherford apparaissait dans le paysage, le gamin était resté invisible tout du long tandis qu'il poursuivait sa course. Il parcourut le bateau en long et travers, assommant toutes les personnes à bord, y compris aux commandes. Enfoncer des portes fut une nécessité. Pas celles des toilettes, heureusement, personne n'était en commission à leur arrivée. Tout était déverrouillé quand il y était passé. Au total, peu de personnel militaire se trouvait à bord. C'est pour ça que le chef avait sélectionné cette cible.

Son ainé se redressait à peine, quand Teru apparut de nouveau à côté de lui, lunettes remontées sur son front.

— All clear

Acquiescement bref du chef et le cadet repartit pour un tour de bateau, frappant à nouveau les têtes qui s’étaient miraculeusement redressés après son premier passage. Des durs à cuir se trouvaient à bord. Evan ne connaissait pas les significations des emblèmes militaires, il était juste au courant de cette gradation en nombre de barres sur le blason. Il amena deux hommes : celui qui en disposait le plus, ainsi que celui dont il ne reconnaissait strictement pas le symbole. Il les lâcha  aux pieds de William et se plaça derrière afin qu’aucun d’eux ne le regardat. Y en avait un de conscient. Même avec la faculté d’effacer les mémoires de Rutherford, Teru était paranoïaque.

Sur les deux, la bonne pioche était celui encore à peu près conscient, ce qui était surprenant à constater pour le gamin. Cela dit, les dopés au sérum, en plus de bon nombre de mages de guilde, avaient cette résistance. Teru n’allait pas suffisamment en terrain hostile pour s’habituer à ces prodiges. La facilité était monnaie courante dans ses larcins. Après que William eut retiré des informations de l’esprit de l’homme conscient, il prit sa vie. Teru l’avait observé faire les mains dans les poches, sans ressentir d’empathie pour la victime. La première fois qu’il avait été complice de meurtre, il était dans ce même état mais ce fut grandement dû au fait d’avoir pris part à quelque chose dont la gravité dépassait de loin l’entendement. Sa psyché n’avait pas encore assimilé la portée de ses actes. Une légère transition s’était déroulée un peu plus tard, où le gamin s’interrogeait sur le sens de ces meurtres, sa place au sein de la guilde. Et puis, en moins de temps qu’il n’en faut, il s’était habitué à considérer la mort comme une nécessité. Cela ne signifiait pas pour autant qu’il se sentait prêt à la donner de lui-même, de façon directe. En tout cas, la vue du sang le laissait de marbre depuis tout petit. Il s'était déjà lui-même grièvement blessé en développant sa magie.

William se fraya un chemin mortel jusqu’aux commandes. Pendant ce temps, Evan parcourut à nouveau le bateau : étage, soute, cabines, recoins. Il revint auprès de son ainé. William s’installa aux commandes et Teru releva à nouveau les lunettes sur son front.

— Tue ceux qui restent.
— ...

Les muscles du gamin se tendirent légèrement et son cœur fut comme épinglé par des clous. Ce fut à ce moment qu’il était certain de ne pas encore avoir les couilles de le faire. Son regard chargé de tension rencontra celui, bien plus serein, de l’ex-soldat.

— Ou amène-les moi, je m’en occupe.

Un soupir franchit les lèvres du gamin. Lunettes remises sur les yeux, il fonça et jeta les corps un à un à côté de William, en faisant des allers-retours pour chaque personne. La salle fut tellement chargée qu’il évacua ensuite les cadavres au fur et à mesure. Quand il s'immobilisa complètement, il était essoufflé. Le gamin essuya son front avec sa manche avant d'y relever ses lunettes.

Leurs alliés connaissaient leur position tandis que l’ennemi l'avait justement perdue grâce à la coupure qu’avait déclenché William. En plus, l’armée était occupée avec les signalements qui avaient été fait au nord de Galad, tandis que eux longeaient désormais la côte de Mideel. Le Destrier était un navire plutôt rapide et pourtant le temps sembla très long à Teru.

Ils entrèrent dans un champ protégé de runes, qui ne se trouvaient pas au niveau de leur guilde mais loin encore, par prudence. Leur navire fut rendu invisible aux personnes extérieures aux champs, tandis que les silhouettes alliées se détachèrent des arbres de Lestalli pour faire des signes. Rutherford approcha le navire afin qu’ils sauter monter à bord et mettre en place les protections propres à Blood Moon sur leur nouveau moyen de transport. Malgré cela la lenteur des événements, le Gamin peinait à croire que ce fut déjà terminé, à cause du calme qui avait régné tout du long. Sa demande fut pleine d'incrédulité.

— C’est bon, on l’a ?