Evan n’était plus en âge, ni en situation, de pouvoir braquer une banque. Tout d’abord parce qu’il était proche de la majorité et que sa jeunesse ne l’excusait plus. Ensuite parce que son appartenance à une guilde tristement populaire l’obligeait à rester cantonné à son image de gentil délinquant, afin de rester efficace et qu’on ne se mette pas à noter son nom chaque fois qu’il entrait dans une ville. Effectivement, on préférait les voleurs inoffensifs aux mages noirs mais ce n’est pas pour autant que les peines de prison des premiers cités avaient été réduits. C’est ce dont il était convaincu mais il se trompait peut-être, ses investigations pouvant s’avérer fumeuses. Personne n’était jamais à l’abri d’une erreur. En tout logique, le châtiment s’élèverait à la mesure de la somme dérobée, ce qui n’encourageait pas à cette forme de folie. Tout ça pour dire que Teru se contenta de pickpocketer pour pouvoir se rendre à Solest. Il se trouvait actuellement à la station de la Cité Royale, qui disposait de plus d'usagers en attente qu'à l'arrêt près de chez lui, rue No Man's Land. Son larcin lui permit de s’acheter un billet au guichet.

Des lunettes d’aviateurs vissées sur une tête nonchalante, il fourra les mains dans les poches en mâchouillant le bâton d’une sucette qu’il avait terminé pendant sa partie de jeu vidéo, un peu plus tôt. Le temps se faisait long. L'héliport avait deux minutes de retard, ce qui est extrêmement long pour Teru. S’il savait marcher sur l’eau, il se serait rendu sur place lui-même. La bougeotte le saisit quand ils furent enfin dans les airs, ses doigts tapotaient en continue la barre de sécurité et son corps se balançait parfois un peu au-dessus comme s'il cherchait à voir ce qu'il se passait au-dessous.

Une fois le continent en vue, il sortit le GPS crée et bidouillé par ses soin afin de voir le trajet à prendre une fois posé. Proche du sol, il revérifia une dernière fois ses points cardinaux par rapport à l'appareil, en faisant un tour complet sur lui-même. Le moteur fut coupé. Teru enfila ses lunettes, bondit hors du pont pour ne pas avoir à se mêler à la foule et attendre de sortir. Son pied se posa au sol et il se volatilisa instantanément, élancé dans une course invisible atteignant la vitesse du son. Un temps d'arrêt lui servit à vérifier de nouveau l'itinéraire sur son GPS. L'appareil rama, analysant sa nouvelle position, qui s'était perdue à cause de la vitesse. Le focus s'actualisa.
Proche ! En quelques secondes, il se trouvait à 1 000 m d'altitude, en hors piste dissimulé par des sapins, face à l'ex-soldat Rutherford. Un type plutôt réservé, sarcastique, mais honnête et loyal au Big Boss depuis des années. Membre de sa famille de surcroît. Le visage nonchalant du jeune homme se fendit d'un sourire aux lèvres closes, ce qui lui donnait l'air d'un gentil garçon.

— Salut chef.

Le surnom marquait plus son affection pour son camarade de guilde, que sa reconnaissance d'une hiérarchie entre eux. Teru avait la bonne manie d'écouter ses aînés lunes mais il ne savait strictement pas à qui il est devait réellement répondre en dehors de Skyadrum. Cette structure plane, nébuleuse, renforçait davantage l'autorité du maître et cette forme de suprématie qu'il avait. Evan aimait bien tout analyser. Il aimait agir en connaissance de ce qui l'entourait. Comme il ne faisait aucun commentaire sur ses constats, on le croyait aussi naïf qu'il fut négligent.

L'adrénaline de la course retombant progressivement, Teru se dit qu'un pull en plus sous le manteau n'aurait pas été de trop.

— Rrrf. Il caille. Alors, t'as besoin de quoi ?

Evan avait rapliqué avant même de savoir ce dont il était question. Sa vie d'ermite lui convenait, mais c'était toujours agréable d'en sortir pour se rendre utile.

William l’habilla comme un enfant et Teru le laissa faire, le buste incliné vers l’avant afin de lui faciliter le travail. En fin, le soldat de lune lui tendit ses gants. Ceux-ci furent enfilés avant que le bruit de froissement de tissus ne se fasse entendre. Sa vitesse pour les mettre avait été supérieure au son.

« De cueillette »

Sympa. L’odeur de la réussite qu’il flairait à l’avance était des plus agréables. Un regard de moins d’un millième de seconde lui suffit pour voir la plante dans les détails et la retenir. William maintint tout de même la feuille de mission en l’air comme s’il craignait que le jeune garçon eut une mémoire de poisson. Teru leva un vague moment les yeux vers son ainé et, ne souhaitant pas le froisser, observa la feuille une seconde de plus, afin de bien imprégner sa mémoire. Il leva ensuite le menton.

— J’ai. C’est bien vu.

Teru, il n’était pas très appliqué, mais sa vision était beaucoup plus aiguisée que celle d’un aigle. Si ce n’était pas le cas, il passerait son temps à se cogner avec un pouvoir comme le sien. Ces plantes, il les repérerait facilement. Teru rangea la mission dans sa propre poche de manteau, en luttant pour refermer convenablement le zip avec ses gants.

—J’ai besoin que tu remplisses les cinq boites de ce sac avec cette plante.
—Cinq ? Il y avait écrit deux, fit remarquer le brun avec vivacité.

Son acuité citée plus haut n’était pas du pipeau. Il y avait d’ailleurs un petit quelque chose qui dépassait de la poche de Will et titillait sa curiosité depuis un moment déjà.

William lui céda le sac en lui donnant des instructions sans lesquels Teru aurait désagrégé plein de plantes par sa négligence. Ne pas utiliser la supervitesse en les cueillant, ça tombait sous le sens. Ça voulait aussi dire que cette quête allait durer une poignée de minutes, au lieu d’une poignée de secondes.

— Entendu chef.

Pfou. Il poppa derrière William, une nouvelle feuille dans la main. C’était le contrat de chasse qu’il venait de chaparder de la poche de son acolyte, la chose qui le taquinait depuis tout à l’heure. Sa curiosité avait gagné.

— Et c’est quoi ça ? Tu veux que je m’en occupe aussi Will ?

Il apprit que le jeune homme avait déjà rempli ce contrat, ce fut dommage. Evan aimait bien les missions tranquilles mais il n’était pas non plus contre un peu de challenge de temps en temps. Sa bouche se plia de déception. Et il disparut, le son du vent ne surgissant qu’après son départ. La feuille resta un bref instant exactement là où il l’avait lâché, avant de tomber lentement.

Malgré la vitesse, il voyait tout. Les pierres, les creux, le dessin des écorces, et la fameuse plante, même quand elle sortait à peine de la neige. Une boite était déjà ouverte quand Teru réapparut. Il arracha des touffes complètes, prenant les racines pour certaine, par excès de zèle. William lui collait cinq boîtes sur le dos au lieu de deux, il fallait lui prouver qu’un peu plus de confiance aurait été mérité. Evan poppa à un endroit de la montagne, puis à un autre, comme des flash photo espacés sur des kilomètres. Il tomba sur un tas plus riche que les précédents et procéda à la culture. Le grognement d’un ours, situé pas exactement en face, mais à l’oblique, ne l’alerta pas. Il termina la cueillette de la Scylla, referma sa boîte, et disparut de la vision du monstre posé sur ses quatre pattes. En passant près de la bête à une vitesse avoisinant les 5000 km/h, Evan lui tapota gentiment la tête. Même s’il devait avoir beaucoup de retenu pour ne pas faire de mal à une telle vitesse, un rappel selon lequel il n’était pas tout à fait consciencieux s’imposait. Il ne sut donc pas s’il avait éclaté la tête de l’animal par terre par son geste affectueux.

Quelques minutes suffirent. Evan aurait mis encore moins de temps que cela s’il n’avait pas pris la peine de bien vérifier la plupart des plantes au toucher /pas toutes, sans déconner/. Et si les boîtes qu'il fallait remplir n'avaient pas la taille de marmites !

La dernière remplie, Evan se volatilisa et se retrouva devant William avec ce même sourire clos, attendrissant. Ses doigts relevèrent ses lunettes sur son front.

— Finito.

Il lui tendit le sac sans fond.

—Garde-le.  

Le gamin ramena le sac contre lui en faisant une petite moue, quand bien même ne fut-il pas malcontent. Il suivit Rutherford à vitesse escargot. Le silence qui s’installa entre eux fut un peu gênant du côté de Teru. Le gamin n’était pourtant pas de nature bavarde. Il pensait que les silences n’étaient pas tous faits pour être comblés, loin de là ! Mais celui-là si. Teru était curieux et aurait bien aimé s’informer un peu plus sur son camarade de guilde assez mystérieux. William ne semblait toutefois pas ouvert à la conversation. Il était plutôt taciturne, parlait pour donner des indications ou se moquer un peu de lui. Rien de personnel ne transparaissait, il aurait fallu lui faire les poches pour en apprendre plus. Teru voulut mâchouiller son bâton de sucette comme il faisait parfois quand il était dans l’inconfort mais l’objet n’était plus entre ses dents. Il avait dû se décomposer dans sa course parcourue. Le faciès du gamin s’éclaircit à la question posée par l'ainé. Corde attrapée que Teru lâcherait difficilement.

— Non, parce qu’il me l’a demandé. C’est ma guilde Blood Moon, maintenant. On se serre les coudes, on avance ensemble, on éjecte le roi de son siège et on y met notre maître, je ne vois pas d’avenir meilleur pour nous. Je n’ai jamais eu besoin d’une guilde pour voler de l’argent.

Réponse impersonnelle, volontaire. Ses espoirs et désirs d’orphelin ne regardaient que lui.  De plus, Teru était contraint de réduire ses larcins depuis qu’il appartenait à Blood Moon. L’idée : montrer aux personnes qui le connaissaient qu’il y avait une amélioration en sa personne, qu’il tendait vers le gentilhomme qu’on souhaitait qu'il devint, à part le soldat Gerlic qui n’avait aucun espoir le concernant. En fait, il devait être le seul à détester Teru. Teru se disait que ce serait bien que Gerlic meure par accident. Un chien qui grognait, ça allait encore, mais s’il se mettait à vraiment aboyer, il alerterait les voisins, ce n’était pas souhaitable.

Le gamin frotta ses mains gantées entre elles. Il recommençait à avoir un peu froid. Ses doigts de pieds étaient glacés.

— C’est un travail d’équipe. Et vous avez besoin de moi.

Il préférait cette tournure que l’inverse, celle où il avait besoin d’eux, cette famille. Teru n’aimait pas se montrer sentimental. Brèche ouverte, il s’y engouffra et l’agrandit, mitraillant William de questions qui le taraudaient depuis un moment. Teru parlait un peu trop vite, exactement comme il pensait. Sa voix était toutefois douce, presque murmurée, ce qui enlevait un caractère un peu angoissant à son débit empressé.

— Et toi, t’étais soldat, pourquoi avoir tourné le dos à la couronne pour suivre Skyadrum ? Et c’est quand que t'as perdu ton oeil ? Comment c'est arrivé ?

Le cache-œil était la première chose de son visage qui sautait aux yeux, il était légitime de s’interroger dessus. Leur conversation fut écourtée par quelques dangereux visiteurs, au nombre de six. Evan s’arrêta et observa son aîné dégainer et partir à l’assaut. C’était la première fois qu’il voyait William en combat. Rapide, précis, très militaire dans sa façon de se battre. Deux ennemis furent rapidement abattus.

En ayant assez vu, Evan lâcha le sac en disparaissant de sa position. Le sac commença à peine à tomber en son absence que le gamin était de retour à la même place pour le rattraper. Instantanément, quatre bandersnatchs étaient projetés en l’air comme par magie, avant de retomber sur le flanc, assommés pour la plupart. Le garçon venait de tous les frapper. Pas de façon forte, mais la vitesse à laquelle il allait avait décuplé dramatiquement tous les coups.

— On t’a injecté le sérum quand t’étais à l’armée. T’es pas aussi lent que les autres. T’es différent.

Un élément de réponse. Sorte de victoire du garçon, qui avait réussi à arracher une bribe de passé à l’ex-soldat taciturne. Son caractère réservé, presque froid, devait en décourager plus d’un. Teru ne le trouvait pas antipathique. Le gamin avait de la sympathie pour les outcasts et ceux qui essayaient d’en être. Petite file indienne dans le laboratoire. Le plus jeune restait sur les talons de l’ainé. Dans le couloir, il retira ses gants et les laissa dans le sac sans fond, puis le donna enfin à Will. Debout, les mains dans les poches, il ne rejoignit pas William quand celui-ci s’installa. Gigotant vaguement, le garçon examina tout ce qu’il y avait autour de lui avec curiosité. Est-ce qu’il y avait des gens dans l’autre salle ? William déballa le sac et, pendant qu’il procédait aux vérifications, l’image d’Evan vacilla un léger moment. En le regardant, c’était comme voir une télé laguer, il venait de disparaître et reparaitre très rapidement. Le garçon venait, en un flash, de visiter le laboratoire et fouiner un peu. S’il était un traitre, le gouvernement aurait eu beaucoup d’éléments à se mettre sous la dent. Mais il était juste curieux. Intrusif, indiscret. Les informations récoltées lui permettraient d’anticiper les besoins de la guilde. Il ressentait peut-être un fond d’empathie pour les cobayes présents, mais de la rancune également, car s’ils étaient là, c’est parce qu’ils approuvaient le règne de Mystogan. Pour des raisons personnelles, et aussi d’un point de vue extérieur, Evan trouvait qu'il n'avait pas sa place de suzerain. Cet homme avait voulu jeter la magie d’Edoras, parce que lui, depuis son statut de privilégié, n’y voyait pas d’inconvénient. À aucun moment il n’avait pensé à toutes les personnes que ça mettrait dans la merde. Qui faisait ça ? Est-ce que même Faust ne valait pas mieux que lui au final ? L’égoïsme était plus assumé et moins hypocrite.

William lui montra une erreur avec une face blasée. Evan replia les lèvres d’embarras. Le rose en disparut avant de réapparaitre en une ligne fine, pincée. Il avait un peu merdé, en effet. Un scientifique rejoignit Will pour l'aider. Sans faire un perfect, le taux de réussite du gamin fut élevé. Sa satisfaction se lisait sur son visage quand son ainé arrêta ses vérifications.

— J’vais prendre le moins de risques possibles. Le maître sera furieux si j’me fais attraper. Je peux essayer d’attraper ces données au vol, sur des soldats ou des mages de guildes. Faire les poches incognito est ma spécialité.

Il présenta son sourire aux lèvres closes adorable. Bouille d’ange. Après un léger moment, ses traits se relâchèrent et son visage se refit indolent.

— Comme tout est stocké sur lacrima de nos jours, j’essaie de mettre en point un programme capable de pirater ces données à distance. C’est pas gagné mais j’y travaille.

Il dézippa une poche de sa veste et en sortit une sucette. Son vêtement était une conception spéciale, magique, qui ne s’abimait pas avec la vitesse utilisée par Evan, et protégeait tout ce qu’il y mettait. Ses dents arrachèrent l’emballage. Goût pomme. En moins d’une demi seconde, le papier de l’emballage avait été jeté dans la poubelle. Il ne semblait pourtant pas avoir bougé. Il observa William avec une pointe de regret. En exécutant sa mission rapidement, ça lui laissait moins de temps pour connaître son camarade de guilde. C’était souvent comme ça. Evan aimait bien l’isolement. Mais, parfois, il ne renoncerait pas à socialiser un peu plus avec les gens comme lui, de sa famille.

— Mh… j’imagine que tu n’as plus besoin de moi ici.