In the Bleak Midwinter

Séléna leva un regard inquiet vers le miroir, retenant son souffle. Elle espérait que ce n'était qu'un mauvais rêve, qu'elle allait pouvoir se réveiller et tout oublier. Elle avait encore cet espoir ancré en elle. Elle avait encore cette croyance d'enfant que tout allait s'améliorer, il n'y avait que ça pour la faire tenir. Sinon, elle allait s'effondrer et ne plus jamais revoir la surface. Les ténèbres cernaient déjà son âme, elle faisait de son mieux pour ne pas flancher. Après tout, si elle perdait cette petite étincelle, elle avait tout perdu. Tout ce qu'elle avait été était désormais détruit et dans la tombe. Elle s'était battue si fort pour garder le cap malgré toutes les merdes qu'elle avait connu. Mais là, c'était la limite de trop. Celle qu'elle ne devait pas franchir. Elle finit par respirer un coup et ouvrit les yeux.

Nue comme un ver, elle pouvait admirer, enfin, ce n'était pas vraiment positif son nouveau corps. Tailladées de toute part, les lames du Seigneur Ténébreux l'avaient pourfendu, lacérant la chair et creusant de longs sillons noir sur sa peau. Asymétrique, affreux, inhumain. Voilà les premiers mots qui traversèrent son esprit. La peau n'avait pas été simplement coupée, elle avait été arrachée. Quand elle passa la main sur l'une des marques, elle pouvait clairement sentir le manque de chair. Et au milieu, un trou béant d'une lame de poignard qui n'avait pas voulu lui retirer sa vie, ne laissant que la marque terrible et un sentiment terrible d'impuissance. Elle eut envie de pleurer, mais les larmes ne vinrent pas. Non, elle avait définitivement vidé le stock.

"Là tu ressembles à un soldat Barbie."

Elle ressemblait surtout à un écorché à demi ... Écorché. Elle avait beau essayé de se dire que ce n'était pas si affreux, c'était comme essayer de vivre sans respirer. Impossible. Elle s'effondra à genoux, s'enlaçant difficilement, ne supportant absolument pas de toucher ce corps juste bon à être jeté. Séléna avait été éduquée et endoctrinée dans le fait qu'une femme ne valait que pour sa beauté et son physique. On avait que faire qu'elle ait de l'esprit, non, il fallait qu'elle soit une poupée parfaite et sans imperfection. Et dès qu'elle prenait un coup, c'était fini. Sa valeur en prenait un coup. Elle ne valait plus rien. Elle était juste bonne pour attirer la pitié de tous ceux qui porteront le regard sur elle. Séléna sans sa beauté, ce n'était rien d'autre qu'une personne lambda parmi d'autres. Pire, elle n'était rien. Elle avait espéré être soignée, mais les blessures ne pouvaient s'enlever. Elles resteraient avec elle jusqu'à la fin. Séléna se demanda pourquoi elle était encore en vie, pourquoi le sort s'acharnait à la maintenir en vie ? Elle n'en valait pas la peine, elle était une faible parmi les faibles.

Alors en signe de désespoir, elle attrapa des bandages. Se couvrant le corps comme une momie, serrant sa poitrine de telle façon qu'elle soit comprimée contre sa cage thoracique. Se drapant, ne laissant que son visage à l'air libre. Mais ce ne fut pas suffisant. Elle attrapa un pantalon, chaussures et gros sweat, le tout de noir. Elle se regarda, elle n'avait plus rien de séduisant, elle ressemblait enfin ce à quoi elle était vraiment : un mort-vivant. Elle profita d'un ordre de mission pour filer à Troïa, il fallait simplement patrouiller et chercher les éventuels criminels qui étaient restés dans le coin. Les soldats grouillaient à chaque coin de rue, impossible qu'ils puissent s'enfuir. La blonde, capuche sur la tête en profita pour faire une pause chez elle.

Il ne restait que des ruines de l'ancienne guilde des Pégases. L'endroit était suspendu hors du temps, rien n'avait vraiment changé depuis le dernier passage de la blonde. Tant de bons souvenirs qu'elle avait en ces lieux réduits en poussière désormais. Elle traîna le pas, une planque parfaite. Ou un endroit parfait pour mourir. Elle pouvait presque voir son propre sang séché depuis des lustres dans un des coins de la pièce principale, là près du mur où on l'avait fait sortir. Elle se demanda pourquoi elle avait refusé de faire la fête sur la piste de danse à l'époque, elle serait morte sur le coup et lui aurait évité un bon nombre de désagréments. Elle s'approcha du bar à moitié défoncé, cherchant à tâtons une trappe dans le sol. Après plusieurs minutes à s'enfoncer des échardes dans les doigts, elle finit par soulever la trappe non sans peine. Autrefois, elle aurait été infoutue de l'ouvrir seule mais l'entraînement et le sérum lui donnant une force qu'elle n'avait pas avant. Elle s'étonna que l'armée n'eût pas trouvé la cache, mais avait-elle vraiment le temps de chercher ce genre d'indices à l'époque ? Non clairement pas. Elle se faufila dans la cache et ressortit avec une bouteille de vin qu'elle ouvrit sans précédent et un carnet de notes. Assis par terre et adossé au bar, elle but une gorgée d'un alcool qui n'avait pas trop mal vieilli et croassa d'une voix brisée.

"Joyeux anniversaire, Sel."

Elle ferma les yeux, espérant que quand elle les ouvrirait de nouveau, toute sa guilde serait là pour lui souhaiter, mais il fallait se rendre à l'évidence, il n'y avait rien à souhaiter, car personne de vivant ne se souvenait de la date. Elle fit un vœu, celui qu'on puisse lui dire enfin à quoi rimer toute cette merde qu'était sa vie et quels crimes avait-elle commis dans une précédente existence pour souffrir de la sorte. Mais il n'y avait que le silence pour lui répondre de bien aller se faire foutre.

In the Bleak Midwinter

La Résistance s'affairait à sécuriser Troïa, à nettoyer les débris, à restaurer un semblant d'ordre après le passage du chaos. Leur plus grande crainte, c'était le dépôt de vermine après la retraite ennemie. Il fallait en éliminer tout résidu. River laissait les experts s'en charger. Lui ne savait pas distinguer le bien du mal sur un visage. Pourtant, son bon sens était au beau fixe. Voilà un moment qu'il voyait les coups bas venir. Les années de douille avaient fini par tailler son discernement, mais pas plus que sa méfiance envers son prochain. Il n'avait plus confiance, à part en Knightwalker, et ça de toute façon parce que c'est lui qui lui était loyal. Mais au fond, personne, en dehors d'un télépathe né, n'était vraiment en mesure de connaître les intentions de son prochain quand elles étaient correctement dissimulées. Le principe d'un bon menteur, c'était de savoir mentir à tout le monde. Fallait faire intervenir la technologie pour démasquer. Ça, c'était le boulot de la troisième division, qui s'amusait à toquer aux portes pour voir si tout était aux normes. Assis sur le toit d'une église plutôt intacte, les jambes pendant dans le vide, River observait leur manège, leurs allers et retours sur la place jonchée de gravats, aux pavés craquelés et déformés par les explosions et le poids des combats. Après une trentaine de minutes, il se laissa tomber de son perchoir et arpenta les rues d'un pas trainant, toujours dans l'attente. Il croisa Clifford. Le sergent nouvellement promu avait fait un passage éclair à l'infirmerie, avec trop de rage et trop de forme pour rester allongé plus que nécessaire. Clifford avait déjà repris du service. Un bandage lui barrait le visage. Il salua son supérieur avant de le dépasser en marchant vite, essayant de fuir l'ennui. Pas de trace d'Isayeva. Machinalement, Pierce prit la direction de l'ancienne Blue Pegasus, avec l'espérance stupide qu'il ne l'y trouverait pas. Perdu.

Il resta immobile à l'entrée, ses yeux froids balayant les ruines de l'ancienne guilde. Lorsqu'il vit Séléna assise, une bouteille de vin à la main, il ne put s'empêcher de ressentir une pointe d'agacement monter en lui. Envers elle et envers cette faiblesse humaine qui la rongeait, cette fragilité qui prenait le dessus et qu'elle laissait faire. Il la regarda boire, murmurer à elle-même. Sans un bruit, il s’approcha. River n’avait jamais été du genre à ménager les autres, et il n’allait certainement pas commencer aujourd’hui, même si c'était Séléna. Il s'arrêta devant elle, la toisant froidement de haut. « T'es tellement pathétique que j'sais pas ce qui m'retient de t'écraser ma pompe dans la gueule. » Son regard se baissa sur ce qu'elle tenait dans la main. « Pause alcool pendant le service... » Il saisit la bouteille et la lança au hasard. Elle explosa contre un pan de mur défoncé. Le lieutenant s'était montré plutôt sympa. Il aurait pu la lui écraser sur la tête.

Un léger soupir de dépit lui échappa tandis qu'il resta un instant silencieux. Il pensait avoir sauvé quelqu'un, il pensait avoir été utile, et voilà qu'il la retrouvait là, dans son ancienne guilde détruite, à se complaire dans son malheur. « Que serait l'armée si chaque soldat se comportait comme toi à la moindre défaite... » Et il était très nombriliste de la part de la blonde, de se comporter ainsi après avoir perdu un combat, alors qu'ils avaient gagné une bataille et repris Troïa. Les fées avaient plus de raisons d'être en deuil, et pourtant, il n'en avait croisé aucune en train de s’apitoyer sur son sort avec un whisky à la main. Fairy Tail affrontait l'épreuve avec une grande dignité. Il aurait aimé pouvoir en dire autant de son caporal. « Ne me dis pas que c'est un retour à la case départ. J'ai plus la force de me battre pour deux. » murmura-t-il, le ton las. Il en avait ras-le-cul de resservir les mêmes arguments, qu'il fallait avancer, qu'il fallait se battre. Il n'avait pas la tête à adhérer à ses propres conneries.

In the Bleak Midwinter

Elle ferma les yeux, elle oublia la poussière et l'humidité. Elle en oublia même l'odeur du bois qui commençait à pourrir. Elle ne vit que les lumières et les couleurs bariolées du hall, elle sentit le parfum redondant d'Ichiya. Elle était de nouveau chez elle. Enfin de retour. Un long soupir de soulagement s'échappa de sa poitrine. Elle était partie depuis quasiment deux ans, deux foutus longues années loin des siens. Elle le savait au fond d'elle-même, elle n'aurait plus jamais l'occasion d'y revenir. Elle essaya de se faire un résumé de ces 24 derniers mois. Essayant d'y voir une sorte d'amélioration intérieure. Elle ne vit que de la destruction. Sa destruction. Elle n'avait jamais été quelqu'un de bien, elle avait tout fait pour s'attirer des ennuis. Elle était le prototype parfait de la garce qui se croyait au-dessus de tout le monde. Elle avait tellement eu le nez dans la boue étant enfant qu'une fois sortie de sa misérable condition, elle s'était crue au-dessus des lois. C'était évidemment faux. Il n'y avait rien à sauver d'elle. Alors, pouvoir croire quelques secondes qu'il y avait des gens qui l'attendaient, prêt à la prendre dans leurs bras, elle prenait. Finalement, elle avait changé. Elle voulait s'améliorer. Ne plus être l'enfant qu'elle avait toujours été. Mais la vie d'adulte était froide et solitaire et elle craignait cette dernière plus que tout. À force de refuser de grandir et de s'accrocher aux autres, elle semblait complètement perdue. Elle aurait donné n'importe quoi pour parler au Maître. Une dernière conversation, un dernier conseil pour la suite de sa vie, elle avait terriblement besoin. Pas des paroles dures, juste un encouragement de sa part. Elle espérait de tout son être avoir un signe de sa part. Un rien. Elle ne voulait pas réouvrir les yeux, ne pas retourner à la réalité. Parce qu'une fois le rêve brisé, il lui resterait quoi de son passé de mage ? Elle caressa sa cuisse, là où se trouvait toujours son tatouage. Elle n'avait jamais tourné la page. Elle ne pouvait pas. Mais il le fallait bien pourtant, la guilde ne s'était pas reconstruite pendant son absence, les flammes et la fumée n'avait laissé que des ruines moisies désormais. Elle n'était plus la survivante de rien du tout, elle était désormais une soldate comme les autres. Et cette vérité la tuait.

Être mage de Blue Pegasus avait toujours été sa plus grande fierté, elle qui venait des tréfonds du caniveau, avait pu attendre le saint-graal en entrant dans la guilde, grâce à sa beauté et son aplomb. Elle ne possédait ni rien ni l'autre maintenant. Il fallait dire adieux mais par les dieux, c'était si compliqué ! Elle voulait tout abandonner et se rouler en boule. Mais au fond d'elle-même, elle savait que c'était totalement impossible, elle n'avait plus le droit de se laisser aller, c'était bien la dernière fois qu'elle se le permettait. Elle voulait être forte et vaillante mais elle n'avait pas ces qualités. Elle se sentait misérable. Pourtant l'idée de retourner son arme contre elle ne lui vint pas. Elle ne voulait pas. Elle espérait pouvoir changer, pas grâce à quelqu'un, mais elle. Seule.

Elle n'eut pas le temps de finir ce moment de répit comme elle l'aurait souhaité, juste partir et lâcher une dernière larme qui ne coulerait pas en tournant le dos à sa demeure. Elle avait la boule au ventre quant à l'avenir du bâtiment. Elle aurait voulu demander une autorisation pour espérer retrouver des effets personnels qu'elle n'avait pas pu demander. Raté. Pas besoin d'ouvrir les yeux pour reconnaître les pas du nouveau visiteur. Il la connaissait suffisamment pour savoir qu'elle s'était réfugiée là. Il lui arracha la bouteille qui alla s'éclater contre le mur. Il lui fit la morale une nouvelle fois. Elle eut de la peine pour lui. Sincèrement.

Qu'avait-il fait au ciel pour se coltiner un boulet comme elle ? Pourquoi s'était-il évertué à la garder près de lui ? Il ne méritait pas tant de souffrance. Lui aussi avait le droit à un rayon de soleil dans sa vie. Séléna avait cru à tort qu'elle aurait pu être le sien. Mais elle n'était qu'une petite bruine qui avait le don de se coller à lui, ne lui laissant pas le plaisir de se sécher au soleil.

Elle se mit sur ses pieds, baissant la tête en guise de soumission. Il lui avait demandé de ne plus jamais mentir. Elle avait juré. Elle n'avait pas beaucoup d'honneur, mais elle fit l'effort pour ne pas le pourrir davantage.

"Je ne me buvais pas pour oublier la défaite. Je buvais un coup à mon anniversaire."

Elle retint un soupir, un soldat n'avait pas ce droit. Elle lui devait obéissance. Elle n'avait jamais été au-dessus des autres et aujourd'hui, elle en prit douloureusement conscience.

"Je te présente mes excuses, j'avais fini ma patrouille. J'aurais dû attendre ce soir, cette erreur ne sera pas commise une nouvelle fois."

Elle releva la tête pour croiser le regard du lieutenant, aussi fatigué que le sien. Il n'y avait plus de flamme dans le regard de la blonde, juste une sombre résignation mélangée à une honte de ne pas pouvoir pleurer son désespoir seule. Elle fit un salut militaire, ce qui finit de massacrer son âme. Jamais elle n'aurait cru qu'entre ses murs, elle dut montrer son allégeance à quelqu'un d'autre qu'au Pégase. À ses yeux, c'était une trahison à tout ce qu'elle avait pu aimer, mais les morts pouvaient-ils la juger ? Elle n'espéra pas. Elle n'avait pas la force d'encaisser les reproches de ses proches.

"Avant que je ne sois sanctionnée, cette pause m'a permis de faire une réflexion. Même si la guilde est en mauvais état, je crois me souvenir d'un cabinet secret où Maître Bob gardait des plans cachés. L'une de nos dernières conversations portaient sur la fabrication d'aéronefs."

À cause du traumatisme de la chute de la guilde, elle avait inconsciemment verrouillé ses derniers souvenirs dans la guilde. Dernière protection pour ne pas devenir complètement folle. Elle qui se prenait pour un esprit libre avait toujours été enchaînée finalement. Mais elle pensa trouver la solution pour pouvoir encaisser toutes ces émotions : les supprimer. Simplement obéir et arrêter de s'impliquer émotionnellement. Elle ne chercha pas à s'excuser davantage, cela n'aurait servi à rien. Elle s'attendit simplement à prendre sa correction. Avec un peu de chance, elle ne sentirait rien, son corps la brûlait déjà. Et ce n'étaient pas les quelques gouttes d'alcool qu'elle avait ingéré qui allait adoucir sa peine. Le dernier sentiment quitta son regard pour ne laisser place qu'au vide. Finalement, n'était-elle pas morte ? Car il n'y avait que les morts qui ne ressentaient rien.  

In the Bleak Midwinter

« Je ne me buvais pas pour oublier la défaite. Je buvais un coup à mon anniversaire. » « Le passé n'est pas un bon endroit pour faire ça. » Et comme si c'était une heure pour picoler ! Impossible d'attendre le soir pour ça ? Elle suivit le cours de sa pensée et s'excusa du timing de merde. « Je te présente mes excuses, j'avais fini ma patrouille. J'aurais dû attendre ce soir, cette erreur ne sera pas commise une nouvelle fois. » « Il ne s'agit pas de faire un tour et repartir. On doit se tenir prêt si la Troisième division fait appel à nous. » Séléna donna le salut militaire en guise de compréhension. C'était aussi simple que ça, l'armée. Un oui chef, une exécution, et on avait une utilité, un but tous les jours. Séléna refusait de se laisser porter par ce cadre simple, rassurant pour River. C'est gravir les marches de la hiérarchie qui avait fait grandir en lui une certaine solitude. Il était de moins en moins celui qui devait suivre, et de plus en plus celui qui devait indiquer la direction à prendre. Une erreur, et ce ne serait plus la faute de tel ou tel lieutenant. Ce serait la sienne.  

« Avant que je ne sois sanctionnée, cette pause m'a permis de faire une réflexion. Même si la guilde est en mauvais état, je crois me souvenir d'un cabinet secret où Maître Bob gardait des plans cachés. L'une de nos dernières conversations portaient sur la fabrication d'aéronefs. » Une sanction ? « J'vais pas t'foutre au trou pour ça » soupira-t-il en secouant la tête. Riv était déjà passé à autre chose. Elle était debout, prête à reprendre le service, c'était tout ce qui comptait. Et il était moins ennuyé par son écart alcoolique, que par l'impression que la blonde refusait d'avancer. River fit quelques pas vers le centre de la guilde, observant les alentours. Pas trop tenté par l'idée de forcer l'entrée du bureau d'un mort, pour sa part. Il n'était même pas certain qu'une telle chose était nécessaire. « J'ai l'impression que les fées maîtrisent la situation sans ces plans » commenta-t-il avec un haussement d'épaules. Ils avaient mis en place un bouclier particulièrement solide, en plus de protections et de dispositifs offensifs dignes de leur armée lors de son âge d'or. Fairy Tail avait des génies parmi les leurs désormais. Est-ce que les plans des Pégases les aideraient ? Peut-être. Mais ils ne pourraient pas adopter les mêmes méthodes qu'eux, les deux guildes étaient bien trop différentes dans leur essence, surtout maintenant que le pourcentage de bourrins avaient drastiquement augmenté côté fée. « C'était ta guilde. À toi d'aller les récupérer si ça te semble judicieux. Mais fais ça vite. » Pierce tenait à écourter au mieux son temps dans ce tas de ruine, et c'est ce qu'il fit.  

Quelques minutes plus tard, ils se retrouvaient à vadrouiller dans les rues de Troïa, côte à côte. La troisième division rencontra quelques cas de Lunes qui avaient tenté de rester sur place, enveloppés d'une fausse couverture de citoyen inoffensif grillée à des kilomètres pour la plupart. Rien qui ne nécessita leur intervention de casseur de gueule expert. Ils délogeaient des espions de pacotille, pas des réceptacles en herbe. De quoi se passer des commandos. « On a un psy à l'armée. J'préfère que tu lui parles de ton passé, plutôt que tu retournes nager dedans dès que t'en as l'occasion. C'est malsain de faire un truc pareil. Si tu veux rendre hommage à tes potes, tu fais comme tout le monde et tu vas au cimetière. » Pas à la guilde. C'est pas en replongeant régulièrement dans ses traumas qu'on finissait par en guérir. Ça se saurait. River se voyait mal aller revoir régulièrement le lit où sa mère avait pourri. C'est quoi cette thérapie d'hystérique ? Il lui jeta un regard en biais tout en marchant, la scannant de la tête au pied. « L'uniforme ne te convient plus ? T'as la dégaine d'une remplaçante de math qu'une classe de 5ème envoie en arrêt maladie en trois jours » Notamment à grand renfort de On s'en fout ! criés sous le coude à chaque fin de phrase. Le soleil déclinait quand il lui demanda avec un discret sourire en coin : « Ça te fait quel âge, gamine ? »

In the Bleak Midwinter

Les autres ne voyaient qu'un tas de ruines sur le point de s'écrouler, le lieu d'un horrible massacre où tout un tas d'innocents avaient injustement péri, ne laissant qu'un lieu maudit qui restera marqué dans les livres d'histoire comme une tragédie sans nom. Ces personnes avaient raison, car dans les faits, c'était bien ce qui s'était passé. Il ne restait rien de la grandeur passée. Pourtant Séléna voyait ce qu'il y avait eu avant, elle avait connu cet endroit plein de vie, avec des rires qui raisonnaient jusqu'au plafond. Ce n'était pas un cimetière pour elle, juste un endroit qui demandait à être rénové. Mais Séléna avait abandonné l'idée de sauver cette endroit promis à la destruction. La part d'elle qui croyait encore dur comme faire à la renaissance de la guilde venait tout juste de mourir. Elle devait simplement accepter que désormais, Blue Pegasus appartenait à l'histoire et non à l'avenir.

Cette prise de conscience lui broyait les os. Elle avait volontairement mis des œillères pour éviter la réalité. C'était idiot et infantile, mais elle avait voulu prolonger le rêve qu'avait été d'appartenir à cette guilde. C'était le seul moment doux de son existence. Elle avait pu être autre chose, quelque chose de beau et lumineux. La vie de Séléna n'était qu’un abîme sans fond et tous les baumes du monde ne seraient pas capable de reboucher ce maudit trou.

River avait raison sur toute la ligne, elle le savait. Mais bon dieu, qu'elle aurait aimé que pour une fois, il se trompe. Mais il n'avait connu que la dureté du terrain, il n'avait jamais l'occasion de goûter aux voluptés des rêves et du bonheur de vivre sans craintes.  Et maintenant que la parenthèse enchantée de Séléna était définitivement enterrée, elle devait accepter ce monde qu'elle n'avait jamais vraiment accepté. Quel intérêt de se baigner dans ce monde de sang et de flamme et de n'en jamais voir le bout ? Elle avait toujours cru qu'elle pourrait voir la fin de la guerre et espérer un futur meilleur. Mais ce n'était pas le cas. Désormais, elle se voyait mourir comme des centaines d'autres avant elle, se vidant de son sang, profitant de cette lente agonie pour revisionné l'intégralité de sa pathétique vie. Finalement, ses rêves de grandeurs méritaient eux aussi d'aller brûler.

Mais qu'est-ce qu'elle était, elle ? Il ne lui restait que ce lien si ténu qu'elle partageait avec ce lieutenant qui était déjà prêt à faire son deuil si elle passait l'arme à gauche. Personne n'est irremplaçable, les gens que l'on a connu ne défile que comme des ombres, se dit-elle. Pourtant, devenir un être sans émotion, c'était la seule manière pour ne pas devenir fou. S'accorder un moment de faiblesse, c'était prendre le risque de ne jamais se relever. Elle comprit enfin l'attitude détachée de Knightwalker.

River remit un autre clou, histoire de sceller à jamais le cercueil où se trouvait les espoirs de Séléna pour que jamais. Il avait peut-être raison, sur un malentendu, ils pouvaient ressortir et Séléna pourrait espérer être heureuse de nouveau. Blue Pegasus n'existait plus depuis deux ans, il ne devait rien rester des plans, et Sel n'était pas ingénieure. Blue Pegasus avait utilisé toutes ses cartes et devait définitivement quitter la partie.

"J'arrive."

Elle se dirigea comme un zombie vers son ancienne chambre, se demandant si elle avait été violée mais elle n’en fut rien. Au contraire, la pièce était dans son jus d'origine, abandonnée mais intacte. Elle était comme Sel l'avait laissée avant la fête d'anniversaire, ses robes jetées sur le lit. Cette vision lui fit d'autant plus mal. Elle tomba à genoux, ne pouvant supporter cette vision. Elle libéra un flot de larmes insoupçonné. Elle les avait retenus pendant des mois, et c'est seule dans son ancienne chambre qu'elle se laissa aller au malheur. Elle ne récupéra qu'une boite qu'elle avait cachée il y a plusieurs années, heureuse de toujours la trouver au même endroit. Elle en vérifia le contenu et elle s'en alla. Elle essuya ses larmes, remerciant le Ciel que ces dernières n’eurent pas le temps de marquer son visage, plus jamais elle ne parlerait de Blue Pegasus, plus jamais elle ne pleurerait pour eux, il était plus que temps de clore ce chapitre qui durait en longueur. Le prochain risquait de piquer mais elle n’avait plus la possibilité de faire du sur place. Elle reprit un visage impassible, comme si rien de ce qu’il s’était passé dans la guilde avait eu lieu.

Il l'attendait dehors, il lui parla d'aller voir un psy, elle secoua négativement la tête. Elle ne voulait pas se confier à un inconnu, elle préférait gardait sa mélancolie pour elle, l’enterrer pour de bon. Et elle ne voyait pas l’intérêt de parler de sa vie allongée sur un divan face à quelqu’un qui ne ferait que lui sortir des termes qu’elle ne comprendrait pas.

« L'uniforme ne te convient plus ? T'as la dégaine d'une remplaçante de math qu'une classe de 5ème envoie en arrêt maladie en trois jours »

Elle le regarda brièvement, l’œil perçant. Elle n'était pas une soldate, elle ne l'avait jamais été. Elle avait joué un rôle, très mal d'ailleurs. Mais maintenant, il ne lui restait plus que ce maudit uniforme. Si on lui enlevait lui aussi, elle serait définitivement perdue.

"Que veux-tu, on n'a pas le droit de tirer sur les élèves dissidents, ça décourage. Faut juste trouver le temps de changer d'approche."

Elle releva la tête, ramena sa capuche sur sa tête, cachant ses yeux vides. Elle avait besoin d'air, d'être vraiment seule un moment, mais elle avait grillé cette possibilité, elle devait retourner au boulot. Alors quand elle croisa son léger son sourire en coin, ça lui réchauffa le cœur. C'était peut-être l'unique raison d'être encore là, un putain de sourire. Son putain de sourire de merde qui lui rappelait qu'elle ferait tout pour ce sale con.

« Ça te fait quel âge, gamine ? »

"Ça me fait 21 ans mon lieutenant. De là où je viens, je suis enfin majeure, à moi les casinos ! Et toi ? Combien de temps avant la retraite ? Deux ans ?"

Elle avait besoin qu'il lui envoie une remarque cinglante, un truc qui fait bien mal à l'ego mais qui puisse dissiper cette atmosphère qu’elle avait elle-même créée. Elle voulait cacher son chagrin sous une épaisse couche d'humour, même si c’était complètement nul. C'était complètement idiot dans le sens où elle allait sûrement se reprendre un blâme. Elle lui fit un discret sourire. Elle espéra que cela fera oublier à quel point elle se sentait complètement éclatée.

Néanmoins, elle accéléra le pas, Troïa était bouclée et sécurisée, c'était presque agréable de se promener sans être sur le qui-vive en permanence. Il restait qu'un bloc d'habitations à vérifier, rien de bien impressionnant. Rien qui mérite que l'escadron détruise tout signe de vie à coup de pied dans la face. Elle entra dans le bâtiment, prête à dégommer le premier coup qui aurait l'audace de lui pourrir davantage la vie. Au grenier, elle entendit les pas d'une personne qui cherchait visiblement à mettre les voiles, elle monta les marches quatre à quatre, l'arme au poing. Après une légère course poursuite sur les toits, elle rattrapa l'espion de la Lune, c'était clairement les branquignoles de service qui avaient été laissés derrière, les inutiles de la bande car ils étaient franchement mauvais. Alors qu'elle menottait l'évadé, elle eut juste le temps d'esquiver un coup de dague qui lui lacéra le flanc. Le complice du premier péquenot avait voulu venir en aide à son comparse et l'avait attaqué par surprise. En réponse, elle lui cassa la gueule en règle. Elle redescendit avec les deux malfrats qu'elle offrit avec plaisir à la 3e. On lui fit remarquer qu'elle était blessée. Elle souleva son sweat déjà maculé de sang.

"Bordel, il a détruit mes bandages ! Ils étaient tout propres !"

Elle jura, elle s'en fichait de saigner, mais l'idée qu'on puisse voir ses cicatrices, c'était impossible. Elle voulait rester dans l’esprit des gens comme la beauté sans blessures, c’était complètement con parce que tout le monde était au courant, mais sa beauté, ça avait été sa seule vraie fierté. Elle poussa une flopée de jurons et interpella l'autre femme de l'unité.

"Plisetska ! T'as des soins sur toi ? Ça pisse le sang et je suis en train de repeindre le pavé, c'est dégueulasse."

Elle se retourna vers le lieutenant, histoire de le prévenir qu’elle ne se barrait pas.

"J'emprunte la chambre de l'auberge là pour nettoyer ce carnage et j'arrive."

Elle désigna du menton un modeste établissement qui se trouvait qu'à quelques mètres et s'en alla vers son objectif avec le désagréable bruit spongieux de chaussure imbibé de liquide. Elle appuya sur la plaie pour calmer les saignements, priant pour que cela ne laisse pas une autre marque sur ce corps. La plaie n'était pas bien profonde, il n'y avait pas besoin d'appeler un médecin, au pire, Séléna pouvait se recoudre seule. Elle était profondément énervée, c’était une galère à nettoyer le sang au lavage, elle avait autre chose à foutre que d’être de corvée de lessive à cause d’un gusse. Elle se retourna, en faisant un sourire en coin.

"Bagwell, oublie pas, tu m'as promis un gâteau ! On le mange ici ou en rentrant à la base ?"

Cacher son mal-être en affichant un visage impassible, elle savait faire. Elle était bonne actrice quand elle voulait.

In the Bleak Midwinter

« Ça me fait 21 ans mon lieutenant. De là où je viens, je suis enfin majeure, à moi les casinos ! Et toi ? Combien de temps avant la retraite ? Deux ans ? » « Pas loin, ouais » répondit-il, premier degré. Un commando, avec le bagage de guerre que possédait River, pouvait prendre sa retraite avant quarante ans, pour la bonne et simple raison que la plupart finissait cassés en mille très jeune, surtout s'ils n'étaient pas dopés. Enfin, cette moyenne était devenue un peu obsolète. Cela faisait un certain moment que tout le monde mourrait bien avant cet âge, dans son escadron. De son côté, River se sentait encore très en forme, plus qu'à sa vingtaine, contrairement au cours naturel des choses. Beaucoup parlait de la trentaine comme un moment pivot, le début du déclin physique. C'était une réalité, mais pas pour lui. Et les enculés qui aimaient blaguer sur sa taille mettraient ça sur le compte de son défaut de croissance. Si ça se trouve, ils auraient raison. River pouvait continuer encore longtemps dans les forces spéciales, c'est ce qu'il comptait faire. Il ne savait pas ce qui l'attendait, après. Instructeur pour les jeunes recrues ? Pour le moment, pas son truc, mais avec l'âge, pourquoi pas. Il n'avait pas la fibre pédagogue, mais il avait la fibre Knightwalker. Or on survivait plus longtemps quand le chef n'était pas un tendre. Si la rouquine ne lui en avait pas fait voir de toutes les couleurs, il n'aurait probablement pas fait long feu. Clifford non plus.

Pierce laissa le gros des inspections à Isayeva, qu'elle maintienne son niveau et fasse un peu autre chose que se morfondre. Lorsqu'elle entra dans une maison, lui resta dehors, adossé contre la façade, bras croisés, en attendant que ça passe. Le rang de lieutenant avait du bon, parfois. Séléna n'eut pas besoin de lui, en effet, et ressortit avec un malfrat sur chaque bras. Elle les remit à deux membres de la Troisième qui passèrent devant River. Ce dernier baissa les yeux sur les plis de vêtement déchiré. Les lambeaux révélaient une blessure suintant d'écarlate. River décroisa les bras et se redressa, blasé. « Ce sont ces p'tits merdeux qui t'ont mise dans cet état ? » l'épingla-t-il. Il souffla. « Des heures d'entraînement, des dizaines de batailles, du doppage... Tout ça pour avoir des compétences finie à la bière artisanale brassée dans les chiottes d'un squat. » Après avoir secoué la tête, dépité au possible que des amateurs aient pu si facilement l'avoir, River l'accompagna à l'auberge qu'elle avait désignée. Tel un daron en rendez-vous pour sa fille, il demanda à l'hôte ce qu'il avait en matière de matériel de premier secours. Ce genre d'endroit en avait forcément. Son estimation fut plus juste que prévu, car on lui désigna une infirmerie annexe.

En entrant dans la pièce toute simple contenant un lit rudimentaire, River comprit qu'il s'agissait surtout d'un lieu d'attente des urgences. Une petite armoire à glace suspendue révéla le strict minimum quand il l'ouvrit. Rien à voir avec leurs produits un peu plus travaillés à la base, l'alcool risquait d'arracher la gueule. Il récupéra également des bandages neufs et revint vers elle. « Fais voir. »

In the Bleak Midwinter

Séléna ne comprenait pas comment une simple blessure pouvait saigner autant. C'était normal de se blesser, c'était même devenu la routine pour elle. Mais elle aurait bien aimé ne pas attirer les regards. Elle n'aimait plus être sous les feux des projecteurs. À mesure qu'elle vieillissait, non, qu'elle survivait plutôt. Elle commençait à préférer l'ombre et le calme. Laissant le plaisir à d'autres d'être sur les feux de la rampe. Elle s'était déjà faite remarquée par son chef, nouvelle raison de baisser encore dans l'estime du brun. Il y a quelques mois encore, elle avait vraiment espéré pouvoir être un élément utile. Prouver au monde et surtout à Pierce que lui avoir sauvé la vie avait servi à quelque chose. Aujourd'hui, elle n'en était plus si sûre. La dépression était là, elle la submergeait comme une vague noire et poisseuse qui refusait de la quitter. Dès l'instant où la blonde arrivait à augmenter son estime d'elle-même, c'était pour replonger de plus belle. Finalement, peut-être qu'inconsciemment, elle avait cherché à se faire blesser ? Elle ne sut pas elle-même répondre à cette question.

Elle s'assit sur un des lits de l'auberge, enfin de l'infirmerie de l'auberge ? Poussant un long soupir muet, ne voulant pas attirer l'attention de son supérieur qui lui tournait le dos. Elle souleva son sweat déjà imbibé. Le sang avait tout ravagé, avançant par capillarité. Elle se résigna à l'enlever, le jetant négligemment au sol. Il était bon pour le feu désormais. Elle aperçut de nouveau les bandages qui recouvraient son corps, faisant d'elle une momie vivante. Elle n'avait d'autres choix que de les enlever, ils n'étaient plus en état. C'est avec une main tremblante qu'elle coupa le tissu et qu'elle dévoila sa peau meurtrie. Elle ne put se résoudre à tout enlever, ne montrant que la partie blessée. Et là encore, c'était trop. La plaie avait touché une des cicatrices, ce qui avait causé l'hémorragie. Une malédiction ? Si Séléna était touchée à ces endroits, les blessures avaient du mal à se refermer ? L'enfer ... La blessure n'avait rien de mortel en soi, mais le sang avait un mal fou à coaguler. Séléna refusa de sauter sur une conclusion hâtive. Depuis son hospitalisation, elle était littéralement droguée aux médocs pour qu'elle soit de retour le plus vite sur pied. Le problème venait peut-être de là ? Autre question sans réponse.

Elle ouvrit la boîte de soin que Cécile lui avait filé, espérant se soigner au plus vite, aller rejoindre ses camarades et faire comme si rien n'était. Garder un visage souriant alors qu'à l'intérieur, elle souhaitait simplement faire la morte. Le brun se retourna, s'asseyant en face d'elle, prêt à la soigner. Elle exposa son flanc docilement. Elle ne supportait pas la situation, elle ne voulait pas se faire toucher. Autrefois, elle aurait ri de la situation de voir son Lieutenant la soigner, elle aurait presque été tentée de se mettre nue devant lui pour voir sa réaction. Mais l'idée d'exposer le moindre centimètre carré de sa peau au soleil était devenue une sorte de parjure à ses yeux.

Elle ne broncha pas quand il désinfecta la plaie, pourtant, au contact de l'alcool, elle avait l'impression de brûler. Elle avait sous-estimé ses opposants (?), elle prie cela comme une punition d'avoir été trop orgueilleuse. Elle regarda ailleurs, ne voulant pas se perdre à regarder Pierce la soigner. Dire qu'il était si proche d'elle et elle restait de marbre même avec lui ! Elle était définitivement morte pour ne plus rien ressentir.

"Merci de t'occuper des soins, je sais que c'est pas ton fort."

Elle se souvint des premiers bandages qu'il lui avait appliqués, pour éviter qu'elle ne se vide de son sang. Elle s'était coupée les veines volontairement en ce temps-là. Elle eut l'impression de revenir à cette époque-là. Elle réalisa que River était devenu son point de départ. Qu'elle l'ait décidée ou non, elle réfléchissait désormais en fonction de ce que lui aurait fait. Il était devenu son seul point de repère dans ce néant. Elle repoussa gentiment les mains du soigneur improvisé pour enlever le reste des bandages qui servaient simplement de cache-misère. Elle cacha à grand-peine son dégoût pour ce corps qui était désormais le sien, montrant les sillons violacés qui profanaient ce corps.

"Je ne sais pas si c'est le bon moment pour demander ça mais ... J'aimerais demander un stage d'entraînement à Erza Scarlett pour m'améliorer à l'épée. Je voulais avoir ton aval avant de la contacter."

Elle préféra changer de sujet, elle ne voulait pas qu'il s'attarde sur elle, pas comme ça. Au fond d'elle-même, elle regretta qu'il puisse la regarder dans cet état. Elle aurait voulu rester immaculée dans les souvenirs du brun. Mais la blonde avait abandonné l'idée d'avoir de l'espoir dans ses projets.

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Il s'installa près d'Isayeva, tandis qu'elle lui présentait son flanc. La façon dont il y balança l'alcool, vidant les trois quarts de la bouteille, dut lui évoquer le passage d'un karcher d'acide. Pourtant, elle ne broncha pas. Pas qu'il l'attendait d'elle, ou que ça l'amusait de provoquer la douleur, contrairement à ce que racontaient ceux qui bouffaient ses raclés. Mais la gueule de sa blessure, très inhabituelle, lui avait hérissé le poil. « Merci de t'occuper des soins, je sais que c'est pas ton fort. » « Vous vous en prenez tous tellement plein la gueule à chaque fois que ça commence à devenir mon point fort, justement » River était souvent celui qui ramassait les autres après l'orage. Ce fut le cas après la bataille d'ici, où tout le monde s'était retrouvé à ramasser à la petite cuillère, en dehors de la commandante et lui-même. S'occuper de Séléna à ce moment, ça pouvait presque être considéré comme part de sa routine. Quoiqu'il aurait pu laisser la tâche à Bagwell ou Plisetska. De ce que le lieutenant avait compris, ils étaient proches et avaient prévu de célébrer l'anniversaire de la blonde après le service. Tant mieux, ça lui occuperait l'esprit. Il se figea un bref instant en s'intéressant davantage à la plaie, la forme de celle-ci. Le sang continuait de couler, mais ce n'est pas ce qui le dérangeait. Il fronça légèrement les sourcils, comme s'il tentait de comprendre pourquoi son corps réagissait ainsi. Après un moment de scepticisme durant lequel la blonde lui parla d'Erza Scarlett, il refila le dernier jet d'alcool qui termina la bouteille, trempant davantage le matelas en s'égouttant dessus. « Pourquoi pas. Elle a un style différent de la commandante, je n’ai aucune raison de m’y opposer. » déclara-t-il en écartant légèrement un des bandages, méfiant. En se penchant, il jeta un œil à l'état de son dos, interpellé par ce qui se dessinait. Son regard s'écarquilla. Des points de suture avait claqué, laissant des ouvertures béantes par endroits. Et vu l'emplacement, ce n'était pas elle qui avait pu se recoudre elle-même, quoiqu'on aurait bien dit.

« T'es sûre que t'as vu un médecin  ? On dirait le taffe d'un mec bipolaire en CAP carrosserie » Ses doigts approchèrent avec lenteur. Il n'osa même pas l'effleurer, et se ravisa. Un soupir défait lui échappa. River récupéra la lacrima soin accrochée à sa ceinture, rendue par Clifford après la bataille, et l'activa sur elle. Le cristal brilla, indiquant qu'il était doté de magie, mais rien ne se produisit. La plaie ne saignait plus, certes, mais n'avait pas meilleur aspect, tout comme celle partant dans son dos qu'il avait observé l'instant d'avant. Il resta muet, pensif, se remémorant les épées noires, incrustées de magie de Ténèbres. Personne dans leur camp n'avait survécu à ces attaques pour parler des effets qu'elles avaient, si on en réchappait. Il soupçonnait qu'une telle chose était arrivée à Emily Rosewood, retenue captive par la lune, mais impossible de recueillir son témoignage. Et puis, si elle était en compagnie du mal, elle était peut-être en compagnie de l'antidote aussi. De plus, la Lune était plus avancée qu'eux sur ces sujets. « C'est le département scientifique qu'il va falloir solliciter. » Il s'activa enfin pour couvrir la blessure de bandages neufs. Il travaillait en silence, ses mouvements habituellement précis et calculés marqués par une légère tension cette fois-ci. Une fois le flanc convenablement couvert, ses mains se relâchèrent sur le matelas, un bref repos. « Et il te faut un arrêt plus long » décréta-t-il. Pierce se leva. « Tu ne peux pas être en service alors qu'un faux mouvement te ferait pisser le sang. Rentre à la Cité Royale. On suivra dans quelques heures. Quant à ton entraînement avec Scarlett, il attendra. »

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Il y avait cette contradiction qui s'agitait en Sel. D'un côté, elle ne supportait pas qu'on puisse voir ses blessures et comble de l'horreur, les toucher. Mais d'un autre côté, il y avait ce sentiment de réconfort qu'il puisse s'occuper d'elle. C'était futile. Pierce soignait tous ses hommes, sans exception. Elle avait beau se forcer à se dire qu'il ne lui faisait aucun traitement de faveur. Bien au contraire. Elle avait besoin de soins et il s'était dévoué à la tâche. Même si la blonde aurait pu le faire seule. La présence du brun avait au moins l'effet qu'elle ne pouvait pas broyer du noir, il l'en empêcherait. C'était son côté sauveur, il était incapable de laisser couler quelqu'un, même si ça mettait son existence en danger. Elle avait de la peine pour lui à ce niveau-là. Son altruisme lui pourrissait la vie, Pierce aurait été certainement plus heureux s'il avait fait preuve d'égoïsme. Mais il n'aurait jamais été l'homme qu'il était à cet instant. Aussi, même si la brûlure de la désinfection était une torture. Elle l'était moins quand il s'agissait de lui, inévitablement. Séléna se demanda si elle n'était pas sous l'emprise d'une malédiction. Elle avait de l'émerveillement pour un type qui faisait simplement son travail ... Souffrait-elle vraiment du syndrome du sauvé et se sentait éternellement redevable ? Quel enfer ... Et surtout, d'une candeur qui lui donnait la nausée.

« Pourquoi pas. Elle a un style différent de la commandante, je n’ai aucune raison de m’y opposer. »

"Merci, je fais du surplace dans mon entraînement et ça m'énerve. En plus, il ne fait aucun doute qu'elle ne me fasse aucun cadeau."

Elle réprima l'envie de fuir quand elle sentit qu'il écartait un bandage qui n'aurait pas dû l'être. Son pouls s'accéléra. C'était déjà assez humiliant de s'être fait trancher par un péquenot, ce n'était pas pour qu'il voit les marques de la honte. Séléna aurait voulu fuir mais le brun ne l'aurait jamais laissé fuir. Un sentiment de peur, de tristesse et de honte s'entremêlèrent. Elle ne pouvait pas voir son visage, mais elle pouvait presque deviner son étonnement.

« T'es sûre que t'as vu un médecin  ? On dirait le taffe d'un mec bipolaire en CAP carrosserie »

Elle aurait voulu rester stoïque, mais elle pouffa de rire. Mais pas de joie. Plutôt de détresse. Elle avait un mal fou à regarder son corps. C'était pour cette raison qu'elle le cachait de la vue de tous, même du sien. Elle avait la sensation de ressembler à un monstre. Et vue la remarque de River, c'était vraiment affreux. Un sanglot se bloqua dans sa gorge, l'empêchant de répondre. Autrefois, elle aurait ri de bon cœur, l'humour du lieutenant avait ce don de toujours la faire rire. À vrai dire, c'était le seul dont elle appréciait sincèrement l'humour.

Mais surtout, elle le remercia de ne pas toucher les plaies. Elle ne put s'empêcher, elle se recroquevilla sur elle-même. Cachant à peine les tremblements qui la secouaient. Les lames de Skyadrum ne l'avaient pas épargnées, elle avait été véritablement charcutée. Sans l'intervention de Clifford, elle serait probablement décédée à l'heure actuelle. Elle ne savait pas si elle devait le remercier ou non d'ailleurs. Mais elle se dit qu'au moins, elle avait une chance de se rattraper pour son comportement désastreux.

Quand Pierce parla de solliciter le département scientifique, Séléna fut incapable de répondre, complètement muette. Elle, qui était pourtant si volubile était incapable de formuler le moindre mot ou bruit. C'était comme si les lames lui avaient enlevé une partie d'elle-même, ce qui était le cas. Pierce conseilla qu'elle se repose et qu'elle oublie pour un temps l'entraînement avec Scarlett. Séléna se leva d'un bond, pris d'une peur terrible. Si elle restait sur un lit d'hôpital, elle allait se laisser mourir, et pour de bon cette fois. Elle avait ce besoin viscéral de bouger, malgré les plaies qui pouvaient s'ouvrir à tout moment, elle s'en fichait. Ça plutôt que l'immobilité, son esprit dépressif aurait définitivement raison d'elle. Cela lui donna le courage de parler, enfin.

"Quand les médecins m'ont soigné, les saignements n'arrêtaient pas, malgré les points de suture."

Elle lui fit face, la panique prenant le dessus. Elle eut un mal fou à calmer sa voix, mais elle s'efforça à parler calmement et de manière posée.

"J'ai été examinée par les scientifiques et ... Ce n'est pas soignable. Ce serait une sorte de poison selon eux. Une sorte d'effet secondaire de la magie de Skyadrum. Les saignements sont de plus en plus espacés, le temps que mon organisme l'élimine. J'ai subi une batterie de tests et on ne sait pas si j'ai en moins une autre malédiction et ..."

Les derniers mots se bloquèrent dans sa bouche. Cela n'aurait pas dû l'affecter à ce point, c'était normal, presque évident pour un soldat de se blesser et de se retrouver avec des cicatrices, mais cette vérité, Séléna refusait de l'entendre, aussi banale soit-elle.

"Mes plaies ne disparaissent pas. Malgré les efforts des médecins, je suis condamnée à ça. Sans le sérum, je serais sûrement morte."

Le sérum parvenait difficilement à lutter contre la magie ténébreuse de Skyadrum. En effet. Son métabolisme se soignant en vitesse accéléré, la perte de sang était minime. Elle s'enlaça, c'était stupide, mais elle vivait cela comme un vrai fardeau.

"J'ai permis à l'équipe scientifique de faire des tests sur moi pour tester des médicaments. Si on arrive à me soigner, on pourra soigner nos compagnons. Mais pour l'instant, ils sont qu'en phase d'observation, Skyadrum leur a mis une pilule en matière d'avancée scientifique."

La remarque était sarcastique, ces mecs étaient payés une blinde et ils n'arrivaient pas à la cheville d'un gars. Un génie, mais quand même. Elle fit un pas dans la direction de son supérieur, le regard suppliant, elle n'avait désormais plus suffisamment d'honneur.

"Je vais prendre quelques jours de repos si c'est un ordre, mais par pitié, ne me laisse pas croupir à l'hôpital ! Mon cas s'améliore tout seul, j'ai besoin de m'entraîner. Toi non plus, tu n'aimes pas rester à rien faire, ne m'imposes pas ce supplice. Je te le jure, je ferais attention, River."

Elle n'employait pas son prénom à la légère. Si son ton était légèrement paniqué, ne pouvant pas cacher toute sa détresse. Quand elle prononça son nom, ce fut avec une douceur dont elle fut elle-même surprise. Elle semblait incapable de faire autrement. Mais au moins, cela eut l'effet de la calmer, et elle reprit sur un ton sérieux.

"Je sais que j'ai été un incroyable boulet depuis mon arrivée à l'armée. Permets-moi te montrer que cela n'a pas été en vain. Je refuse de rester une simple caporale, je gravirais les échelons par moi-même."

Son regard s'enflamma pour la première fois depuis une éternité. Elle ne voulait plus être cette gamine, elle ne voulait plus être ce poids mort qu'elle avait toujours été. Cette volonté ferme d'être enfin autre chose était la seule chose qui l'animait et qui la maintenait en vie. Et elle ne laisserait personne la lui retirer, pas même River.

In the Bleak Midwinter

Son repli du corps quand il la touchait ne lui échappa pas, il l'interpréta comme un réflexe pour se dérober à la douleur. Un arrêt ne lui ferait vraiment pas de mal à celle-là. River s’était arrêté à quelques pas de la porte quand elle prit la parole. Tout ce qu'elle lui disait sur sa condition, il l'avait quelque peu deviné. C'était la merde, mais pas une raison pour se laisser aller au défaitisme comme si elle avait la lame de l'ennemi juste devant l'œil. Il y avait une solution. Pas à leur portée pour le moment, mais elle se trouvait quelque part. Le brun laissa passer un moment, le regard toujours fixé devant lui, puis il tourna légèrement la tête. « Putain, Sel. T'es l'éclaboussure d'urine sur mes mollets quand je pisse contre un mur en bermuda. T'es péniblement incontournable et j'aimerais que ça s'arrête. » Il soupira et se tourna vers elle en croisant les bras. Il le voyait d'ici, le prologue de trois pieds de long ayant pour vocation à discuter un ordre. Un ordre qu'il avait donné non pas parce que ça l'amusait, mais par ce qu'il était nécessaire, parce qu'il se faisait du souci pour elle et son état.

Elle était sur le point de se prendre un chassé dans la gueule, une méthode aussi efficace qu'Abrège Frère pour en voir le bout, mais lorsqu’il entendit son prénom prononcé avec cette douceur inhabituelle, il ravala toute mauvaise parole. Cela le prit par surprise. Séléna ne s’adressait jamais à lui ainsi sans raison, et malgré son attitude glaciale, quelque chose changea dans son regard. Juste un éclat, une brève hésitation. Il ne pouvait pas ignorer cet appel. Il s'humecta les lèvres. Sa tête alla de droite à gauche, comme une négation qu'il voulait formuler, mais qui ne franchit jamais la barrière de ses lèvres. Encore une fois, il plia un peu trop facilement devant elle. « Si tu y tiens, d'accord ! Quelques jours d'arrêt. » dit-il, l'humeur mauvaise. « Tu veux prouver que t’es capable ? Commence par te relever, pas juste physiquement, mais dans ta tête. » Il la pointa du doigt, sans violence, juste une manière d’insister sur ses mots. « Parce que si tu continues à te battre contre toi-même, ces cicatrices vont te bouffer, et y a rien que je pourrai faire pour te sortir de là. »

Sa requête soulevait pas mal de difficultés pour Séléna. Qu'elle fut lacérée de toute part, c'était une chose. Mais outre l'aspect visuel, dont il se foutait royalement, un autre détail l'inquiétait. Vivre constamment dans la douleur, ça, ça pouvait rendre taré. « Maintenant, oublie ton ambition à la con deux secondes. » Il fit une pause et se rapprocha d'elle de quelques pas, fouillant son regard. Il donnait le change, se montrait cassant, ne faisait pas de cadeaux même à ses soldats en galère, mais ça ne voulait pas dire que leur souffrance ne le touchait pas. « La douleur, comment tu la gères ? » Avant qu'elle n'ait l'idée de lui mentir pour qu'il ne revienne pas sur leur accord, il insista : « Ne baratine pas. » C'était dans son intérêt. On ne pouvait pas retirer la malédiction aussi facilement, mais la douleur, c'était probablement une autre histoire. Malgré une résistance hors du commun, River lui-même ne crachait pas sur le bonheur d'un shoot de péthidine dans le trou noir de l'agonie. Ils étaient tous passés par là, ce moment où on veut juste que ça s'arrête.