Linoa était réputée comme étant une exploratrice chevronnée, qui profitait de son statut de citoyenne de Crystal pour être toujours en longues vadrouilles, voyez-vous. Aujourd'hui était d'ailleurs un autre jour de départ dûment préparé. Après s'être soigneusement apprêtée, elle enfila un immense anorak, qu'elle garda ouvert pour le moment, et envoya son énorme sac montagnard par-dessus son épaule avec une aisance déconcertante. Ainsi prête, elle quitta son appartement de Crystal Valley. Sitôt qu'elle se trouva en public, elle courba le dos et mima l'effort de porter un bagage beaucoup trop lourd pour elle. Elle salua chaleureusement Brandt, un homme issu du même quartier chic qu'elle, quartier qu'elle ne pouvait se payer qu'à la sueur de son front (ou plutôt la sueur du front des autres mais restons du côté de Linoa). Brandt était un trentenaire, aux cheveux déjà grisonnant et à l'éternel barbe de trois jours, entiché d'elle. Il se proposa, avec une galanterie poussée, de porter ses affaires à sa place. Linoa fit mine d'hésiter et finit par accepter le service, puisqu'il insistait. Elle veilla, en lui donnant son sac, à ce que ses sales pattes ne viennent pas l'effleurer. Son agilité en la matière était imbattable. Ils s'arrêtèrent devant la station à Héliport et discutèrent en attendant l'arrivée de la camarade qui accompagnerait Linoa dans ses aventures. Le visage de celle-ci s'éclaira d'un grand sourire dès qu'elle l'aperçut l'élégante jeune femme à la chevelure immaculée.

« Eulalie ! Salut ! » Elle agita la main en un grand signe. Elle sortit des parchemins de l'énorme poche de son manteau. En les dépliant, elle dévoila plusieurs contrats de chasses à destination des monts cordés. « Regarde ce que j'ai trouvé. En plus des contrats, on pourra revendre les matériaux qu'on trouve dans les cavité rocheuses ! Cette exploration va nous coûter, mais la rentabilité est d'enfer ! Avec ça, je pourrai me permettre du shopping même après avoir payé le loyer. La vie est si chère. J'ai des palpitations chaque fois que je reçois mes factures ! » La jeune brunette lancée dans cette tirade si simple disposait d'un statut particulier, un statut qu'on ne lui aurait pas soupçonné. Il ne s'agissait pas ici de celui de criminelle, bien connue par Eulalie, mais de toute autre chose. Un mystère parmi les roses. Dan disait d'elle qu'elle était chère au cœur de la reine possessive. Il fallait traiter Linoa avec beaucoup de retenue, éviter de l'approcher de trop près. Et cela devait sembler bien étrange, quand on voyait la bonne humeur et la simplicité de la jeune femme. Mais rien n'était si simple avec elle. Après tout, derrière ce sourire, une meurtrière sans pitié se cachait. Linoa était une rose, après tout, comme elle. Et donc une excellente comédienne.

Cette même brune qui avait fait mine d'être gênée qu'on veuille l'aider, s'étonna que son serviteur veuille s'éclipser maintenant que Linoa était en bonne compagnie. La brune l'interpella avec un petit air de biche interloquée, une main levée : « Oh Brandt, vous partez déjà ? » Sa voix était un peu plus importante, presque inquisitrice. « Pouvez-vous m'aider à monter mes bagages dans l'héliport avant, je vous prie ? » Ravi de pouvoir servir à nouveau, il s'exécuta en montant avec les deux jeunes femmes à bord. « Merveilleux, vous êtes un vrai gentleman. » le congratula-t-elle tandis qu'il déposait ses bagages sur un caisson du pont. Elle le congédia en lui souhaitant une très bonne journée et ramena toute son attention sur Eulalie. « J'ai vu des photos du village où nous nous rendons, tu verras, c'est tout à fait charmant ! » Les quêtes étaient leur prétexte pour explorer des territoires ciblée=s stratégiquement par la nuit, des territoires très dosés en earthlandais, frileux quant à appliquer la politique de Skyadrum. Il fallait en apprendre plus sur leur fonctionnement et il ne s'agirait peut-être pas que d'infiltration, si des personnalités étaient à éliminer là-bas. Pas pendant leur séjour bien sûr, afin d'éviter tout soupçon. Leur destination était le village de Penmarch, soit le moins important et le moins cher de la zone convoitée, qui comptait également le village de Platel, plus important, ainsi que la ville de Lanester. Linoa avait sélectionné une auberge confortable pour elles, aux allures de châlet, à Penmarch. Ce serait leur point d'ancrage. Leur séjour serait particulièrement sportif, elles devraient effectuer des missions à côté de leur observation. L'absence de la reine n'inquiéterait aucunement, Soul Reaper étant habitué à l’inaccessibilité et les retraits de sa régente. Ses employés de confiance continuaient de faire avancer le royaume en son nom, fidèles, fiables, de sorte à ce qu'elles partaient toujours l'esprit tranquille. Une possible conquête nécessitait toujours sa présence pour ancrer son influence au sein des esprits malléables.

Eulalie n'avait pas raté l'occasion d'étudier la flore de l'endroit où elles se rendaient. Cela fit sourire Linoa de malice. La reine appréciait particulièrement cet élément pour son sens de l’esthétisme. C'était grâce à ce genre de personnes et leur bon goût que son royaume était le plus resplendissant d'Edoras. Les temples étaient des bijoux de grandeur, celui d'Altissia figurant parmi les merveilles du monde d'Edoras, juste après son palais à Eulmore, entièrement rénové et agrandi suite à sa conquête.
« Je connais assez bien les monts oui, ce n'est pas ma première mission là-bas. » Elle ne le précisa pas, mais il fut un temps où elle effectuait des missions pour l'ancien gouvernement, en tant qu'agent double. Elle avait démantelé un laboratoire de lune, à l'époque. Cependant, les monts Serchel étaient bien vastes. « Mais je t'avoue n'avoir jamais mis les pieds dans la zone où nous nous rendons. Et toi ? » bavarda-t-elle.

À l'arrivée, la question du moyen de se rendre à Penmarch se présenta. Parfaitement au courant de l'avarice de sa camarade, Linoa la soupçonnait de préférer marcher plutôt que de payer un transport. Un détail qui ne la dérangeait pas : elles étaient là pour mieux appréhender les lieux après tout ! Linoa referma convenablement son manteau et balança son sac par-dessus son épaule avant de se mettre en marche. Lanester était une jolie ville montagnarde. Les chalets remontaient une pente légère en présentant des terrasses boisées, couvertes de neige pour certaines. La place principale se constituait de hameaux traditionnels, et de bâtisses dans un style baroque. Linoa s'arrêta devant une carte placardée sur un panneau de bois. Une route serpentait bien entre Lanester et Penmarch, qui ne semblait pas être tout à fait la porte à côté. Cela devait représenter au moins une heure et demi de marche ! Il fallait être téméraire par ce froid.

« Tiens, regarde ! » Le visage illuminé, elle posa son doigt sur une ligne verticale accompagnée d'une légende. « Il y a un téléphérique ! » Hors de la ville, accessible à dix minutes de marche. Elles s'y rendirent. La brunette fut surprise d'y découvrir une file d'attente. Elle jeta un coup d’œil intrigué à Eulalie. Quelle était donc la fréquence des déplacements entre villes, si tous ces gens  privilégiaient la parcimonie plutôt que le confort d'un bus ? Après un moment, Linoa réalisa que certaines personnes présentaient quelque chose aux deux hommes qui régulaient l'accès. Soit une carte, soit il payait en gils. « Oh, j'aurais dû me douter que ça n'était pas gratuit... je nous l'offre » proposa-t-elle gentiment. Il fallait bien être généreux avec ses employés. Linoa paya un tarif qui se révéla effectivement bien moindre que les tickets proposés par la station de bus. Elles purent admirer les vallées blanches parsemées de sapins. Des bourrasques de vent secouaient parfois leurs cheveux et, habituée au froid, la jeune femme ne pensa pas à rabattre sa capuche sur la tête. Elles marchèrent encore plusieurs minutes après cela. Penmarch était une version plus petite de Lanester, un peu plus rustique également, et aussi charmante que Linoa l'imaginait. La brunette ne se rendit pas à l'auberge immédiatement. Curieuse, elle rentra dans une rue, regarda à droite et à gauche, et fouina un peu les alentours avant de finalement rentrer au chaud.

C'est un homme d'un certain âge qui tenaient les lieux. Linoa lui fit mention de sa réservation pour le check-in et il vérifia leur nom. « Il n'y a pas de laboratoire ici ? » L'homme leva les yeux de son registre. Elle poursuivit. « Nous sommes citoyennes de Crystal et j'imagine que notre droit de séjour doit aussi se payer en aethernanos ? » « Si on ne vous les réclame pas, ne les donnez pas. » Très austère... Linoa inclina légèrement la tête. Dites m'en plus. Son pouvoir marchait mieux à l'incantation, mais face aux esprits faibles, la pensée pouvait suffire. « Il n'y a pas de centre de prélèvement ici. Le seul dans le coin se trouve à Lanester. » Un éclat de compréhension traversa le regard de Linoa. Les citoyens des deux villages annexes étaient obligés de faire de longs trajets dans le froid, ou alors payer, pour se faire prélever. Elle comprenait d'où venait une partie du potentiel défaillant de la zone. Il fallait en découvrir l'entièreté. « Vous avez raison. Nous n'allons pas nous infliger ça. »

Afin de noyer le poisson, elle lui présenta les divers contrats de chasse qu'elle avait sous le coude, en demandant des précisions sur les zones géographiques où les trouver. Il coopéra un peu, ce dont il ne devait pas avoir l'habitude, influencé par un il-ne-savait-quoi. Puis, quand il coupa court à la conversation, son acrimonie naturelle reprenant le dessus, Linoa n'insista pas. Elle jeta un regard entendu à Eulalie et elles montèrent dans leur chambre.

C'était vrai, Marsha avait regard sur les caisses de l'Etat. Il se trouve que l'Etat était là, ce qui amusa secrètement Linoa. Des petites faveurs accordées dont on ne la soupçonnerait pas. Un peu comme celle de laisser à Eulalie le soin de choisir la place qu'elle occuperait une fois dans la chambre. Linoa s'installa en face d'elle en posant les mains sur ses genoux, l'air complice. Elle hocha la tête à sa première question. L'interprétation d'Eulalie quant au comportement fermé de l'aubergiste l'avait laissée supposer que les habitants ne se pliaient pas à la règle. C'était une chose dont la brunette doutait. Seul Lanester contenait un laboratoire, mais la police elle... semblait partout. « Hmm... il y avait bien une file d'attente au téléphérique. Je pense que certains se plient à la règle, par crainte. Cela voudrait dire que malgré l'obligation de donner de l'aethernanos, ils n'organisent pas des convois gratuits entre les villes, ce qui est pourtant la moindre des choses. » Elle réfléchit un instant, tête inclinée. Le flux de personnes qui quittaient le téléphérique s'étaient dirigées vers des maisons de Penmarch. Linoa avait pris le temps d'observer ce qu'il se passait avant de se rendre à l'auberge. Est-ce que le manque d'indépendance leur était problématique ? Y avait-il d'autres affaires à mener, et qu'on ne pouvait pas faire dans le village ? Et Eulalie marquait un point, il existait peut-être d'autres zones habitables dans le coin qui leur avait échappé, et qui étaient encore plus délaissées. « Tu as raison, on va devoir faire plus de repérage... »  Linoa se leva enfin pour déballer son sac, plier soigneusement ses vêtements et les ranger dans le placard. « L'aubergiste est édorasien. » Elle espéra que la question « Comment le sais-tu » ne tomberait pas comme un couperet, étant donné que c'était la faiblesse de l'autre à résister à son pouvoir au plus bas niveau qui avait été un indicateur. Linoa détestait créer des mensonges à la va-vite, et la reine détestait se justifier, elle préféra donc éviter d'avoir à le faire en ajoutant rapidement : « Et les pratiques de la lune n'ont pas l'air de l'enchanter. Je pense que les édorasiens d'ici sont perdants aussi avec la domination de Skyadrum, il faudrait voir dans quelle mesure...»

Eulalie l'interrogea sur les contrats et Linoa ressortit justement celui qui l'intéressait de son sac pour le lui donner. « Le meilleur en ma possession est le contrat du Morbol Blanc... oui il s'agit bien de la bête dégoûtante à laquelle tu penses » Eulalie était bien placée pour connaître les Morbols. Ces bestioles répugnantes se déplaçaient habituellement en forêt et empruntaient quelques propriétés aux plantes, notamment les toxines qu'elles envoyaient sur ce qu'elles considéraient comme menace. Cette bête n'avait rien à faire en montagne, jusqu'au jour où un chasseur avait réussi à recueillir les tentacules d'un Morbol Blanc. Cuisinées par un chef de Crystal, le monstre avait été classé parmi le top 3 des viandes les plus appréciées. Problème : la rareté de l'espèce et l'incertitude qu'il existât d'autres créatures du genre. Cette quête, considérée proche de l'impossible, traînant sur le tableau de la ville depuis des mois avec une promesse juteuse à la clé, leur laisserait tout le temps du monde de découvrir les lieux. « L'aubergiste est positif quant à la possibilité que l'espèce ne soit pas encore éteinte. Se pencher sur une recherche aussi laborieuse ne fait simplement pas partie des préoccupation des habitants. » La brune tourna la tête vers Lalie et lui adressa un petit sourire. « Le voyage a dû te fatiguer, on commencera notre travail demain. » Elle referma le placard, saisit sa trousse de toilette et entra dans la salle de bains pour prendre une douche et se recoiffer. Elle ressortit avec des vêtements confortables et des bottines avec intérieur fourré. « Je descends grignoter quelque chose, ça te dit de venir ? » Elle proposait par politesse, mais elle se doutait qu'Eulalie avait peut-être préparé un en-cas pour ne pas avoir à payer un repas. Linoa avait évidemment une autre ambition que celle frivole de se remplir l'estomac. Il était déjà temps de commencer à faire opérer son charme et de copiner avec les personnes présentes, y compris le propriétaire un peu trop bougon des lieux.

L'observation représenterait la partie mineure de leur travail. La meilleure façon de connaître les failles de cette zone, c'était d'entendre ce que les habitants avaient à en dire. Nyx raisonnait comme une reine, ses interprétation de ses observations n'étaient peut-être pas une traduction assez proche de la réalité. Il se trouve que Linoa était merveilleusement douée pour écouter. Au restaurant, elle s'installa à une table un peu centrale et abandonna le copinage avec la table voisine dès qu'elle sut qu'il s'agissait de mages de passage. Elle orienta plutôt son attention vers le serveur, qui lui apporta une carte des environs. Il se rappela de justesse de son travail et dut retourner en cuisine. À son retour, il s'excusa. Linoa battit des cils. Elle comprenait son indisponibilité et  demanda s'il était possible que le tenancier puisse l'aider à sa place.

L'aubergiste accepta de venir, abandonnant le registre qu'il avait toujours à la portée de son œil. Et ce n'est pas comme s'il risquait de recevoir d'autres visiteurs de si tôt... Il avait abandonné ses manières rustres, la magie de Linoa opérant sur lui. Il faut dire qu'il n'avait pas la nature mauvaise, mais plutôt la nature méfiante, et l'humeur ternie par le gouvernement en place. C'est lui qui indiqua les endroits à visiter en mettant des points sur la carte, Linoa prêta particulièrement attention aux restaurants qu'il conseilla, des endroits où elle pourrait faire d'autres rencontres et poser plus de questions. La conversation glissa vers sa vie personnelle, guidée par la brune, l'air de rien. Larry, ainsi s'appelait-il, vivait à Penmarch depuis toujours. À l'époque, les villages des environs étaient tous indépendants, mais les guerres, les actes terroristes isolés, le sentiment de crainte, avaient entraîné des migrations vers les grandes villes, des lieux mieux pris en charge, mieux protégés, si bien que certains villages avaient perdu en indépendance. Par manque d'habitants réalisant des contrats de chasse, et le passage réduit de camion de marchandises, l'aubergiste devait s'approvisionner à Lanester. Linoa se remémora effectivement que certaines des personnes prenant le téléphérique portaient de gros sacs, probablement des sacs de course. Elle devait absolument faire le debrief avec Eulalie !

Les deux femmes étaient sur la même longueur d'onde. La reine Nyx était à l'écoute de son peuple entier, elle. Personne n'était oublié... pas même les impies. La déesse voulait d'un royaume prospère. Bien sûr, la pauvreté ne s'éradiquait pas, mais par leur magie, les earthlandais sous son règne avaient rendu de nombreux miracles possibles et avaient redoré les bourgades tristement laissées pour compte par les rois édorasiens. Elle avait apporté des changements, avait fait bâtir de nouveaux monuments, restaurer des villages. Elle avait toujours tenu ses promesses. Il était temps d'en formuler d'autres. De déployer les ailes protectrices de la déesse à nouveau sur les égarés, les civils dans le besoin. Armée des informations fraichement récoltées auprès de l'aubergiste, Linoa revint à la chambre. Elle referma la porte discrètement, voyant qu'Eulalie était en pleine lecture. La blanche eut la politesse de fermer son ouvrage tandis que la brunette s'installait sur son propre lit, lui faisant face. Les mains posées sur le matelas de part et d'autres de ses hanches, elle arborait un pincement de lèvres lui donnant petit sourire de chipie, les yeux plissées de malice. Eulalie comprit 5 sur 5.

« J’ai aussi des informations, mais vas-y en première. » La blanche avait su tirer profit du temps pour elle, excellente nouvelle. Linoa ne se fit pas prier pour ajouter les informations qui leur avaient manquées précédemment. « Tu te rappelles des gens qui ont pris le téléphérique avec nous ? Il ne s'agissait pas uniquement d'earthlandais qui venait de rendre visite au laboratoire de Lanester. Je pense qu'il y avait aussi des édorasiens qui faisaient leur course. Penmarch n'est pas approvisionné, c'est un village délaissé souffrant de nombreuses pénuries depuis les grandes migrations. » Lorsqu'elle termina, Eulalie ajouta sa touche de connaissance. « Il y a un Georges dans le village qui connaitrait toute l’histoire de la région, on pourrait le questionner sur ces histoires de villages indépendants, ça pourra nous éclairer sur ce qu’il en est aujourd’hui. On pourrait commencer par ça demain. » « Bonne idée, tu sais où on peut le trouver ? J'espère qu'il ne sera pas de sorti. Il faudra l'attraper assez tôt. » Elle eut un moment de silence, afin de voir ce que sa partenaire savait en plus sur lui. Linoa battait doucement d'un talon sur le parquet tout en réfléchissant. « ...Je me demande ce qu'il en est de Lanester. De quoi peuvent-ils bien manquer ? Ils sont peut-être mieux équipés, mais ils restent une ville peu peuplée, de haute montagne. Il doit bien y avoir une brèche. » Elle secoua la tête en inspirant une bouffée d'air. Ce n'était que le début de leur quête, elles n'avaient même pas encore visité la ville en question ! Et ce fameux Georges aurait peut-être des réponses à ses questions. Patience et persévérance. « Nous verrons demain ! » conclut-elle avec enthousiasme, feignant de s'enjailler à la perspective de l'aventure. C'est après un dernier passage à la salle de bains que Linoa se coucha. Elle était une vraie coquette, au point de se mettre au lit avec un teint frais.

Et elle fut, bien évidemment, la première à ouvrir les yeux le lendemain. Nyx était une femme matinale. Le monde entier allait appartenir à une femme qui se lève tôt. Dan l'avait briefée sur les petits défauts d'Eulalie et elle ne risquait pas de se faire prendre au dépourvu par quelque broutille. La reine ne s'était pas hissée à la tête de la moitié d'Edoras en étant née de la dernière pluie. Quand le soleil se leva, elle profita du sommeil lourd de la blanche et se dirigea vers son petit quartier général, où ses produits étaient déjà étalés : la salle de bains. Elle prit tout son temps pour sa toilette et sa mise en beauté. Une fois prête, entièrement vêtue, parfumée, elle sortit en laissant une pièce d'eau impeccable et alla se saisir de son PHS sur la table de nuit. Elle fouina les musiques qu'elle avait dans sa playlist, à la recherche du morceau idéal pour aider sa camarade à sortir des bras de Morphée. Une musique d'opéra qu'elle trouvait splendide attira son attention. Le duo de fleurs, un chant qui allait très bien à la personnalité d'Eulalie, emplit la chambre de sa douceur. C'est en usant du pouvoir du commandeur que Linoa dit d'une voix fluette, parfaitement, douce : « Réveille-toi Eulalie, il est temps de te préparer. Fais vite. » La pauvre n'avait pas le choix, mais Linoa se rattraperait d'un petit-déjeuner bien énergisant pour l'aider à démarrer la longue journée qui les attendait. De son gros bagage, elle sortit son petit sac à main et vérifia qu'elle avait tout le nécessaire dedans. Fin prête, elle sortit en première. Elle attendrait la blanche à l'espace de restauration.

Quand Eulalie se présenta à l'espace de restauration, Linoa était déjà confortablement installée avec une grosse tasse de capuccino fumante posée devant elle. « 'jour » « Salut Eulalie, je te trouve en forme ! » Ce n'était pas ironique. Dan lui avait dit qu'il ne fallait même pas espérer qu'elle ait mis un pied en dehors du lit avant une certaine heure. Or elle était debout, habillée, et avait même dit une moitié de mot. « Dan a installé une application incroyable sur mon PHS. Il paraît que les musiques que je mets dessus ont des ondes qui peuvent réveiller les plus gros dormeurs d'Edoras. Je t'ai mis le duo de fleurs, je trouve que cette mélodie te va bien. Ça t'a plu ? » bavarda-t-elle joyeusement avant de siroter dans sa tasse. Elle n'attendait pas vraiment de réponse cela dit. Il y avait peu de chance que la blanche ait seulement retenu le fait qu'elle avait été réveillée en musique. Linoa grignota des fruits secs et une tranche de pain complet beurré au petit-déjeuner. « Voir Georges ? » Tiens, deux mots ! « Oui, on va y aller. Mais tu devrais peut-être manger un peu d'abord ? » s'assura aimablement la brune. À sa question, Eulalie récupéra un morceau de pain qu'elle picora à toutes petites bouchées. Linoa finit sa boisson chaude, se leva, et enfila le manteau qu'elle avait laissé pendre à sa chaise.

Elle avait lu les instructions griffonnées avant l'arrivée de sa camarade, et savait déjà où se rendre. Un poids lui tira le manteau vers le bas et elle jeta un regard en coin par-dessus son épaule, vers Eulalie, veillant à ce qu'elle ne prenne pas plus d'aise que cela. Sa désorientation ne devrait pas dépasser certaines limites. La reine ne supportait pas qu'on la touche. D'ailleurs, elle s'extirpa assez rapidement de sa prise d'un mouvement sec, l'obligeant à la suivre à l'œil. La patience de Linoa, à l'orgueil piqué, s'étiolait rapidement, elle n'était pas là pour servir de berger allemand ! La demeure de Georges ne se situait qu'à quelques pâtées de maison de l'auberge. Sur la boîte aux lettres rapiécée, le nom de l'homme apparaissait bien. On ouvrit à Linoa quelques secondes après qu'elle frappa. « Bonjour ! » dit-elle avec un grand sourire. « B’jours qu’est-ce vous voulez mesd’moiselles ? » Eulalie prit courageusement la parole, et la brunette n'eut même pas besoin de faire de traduction. Alors qu'elle avait fait la fine bouche à l'auberge, craignant sans doute les frais supplémentaires, la blanche ne se fit pas prier pour réclamer deux tasses de café là où elle savait qu'elles seraient gratuites. Un petit sourire en coin collé aux lèvres, une main sur la hanche, Linoa secoua la tête avec un air mi-exaspéré, mi-amusé. « Un verre d'eau pour moi, je vous prie. » Elle retira son manteau et l'accrocha sur le patère situé près de la porte. « Navrée de venir aussi tôt, nous avions peur de vous rater. » Georges les rassura : il était réveillé depuis longtemps. C'était un homme du matin. « Ce n'est pas le cas de tout le monde... » murmura la brune et il n'eut pas besoin de dessin pour comprendre, la tête d'Eulalie parlait toute seule.

La bicoque était aussi vieillotte que son propriétaire. Il les invita à prendre place dans un séjour à l'odeur de vieux meuble et tapisserie trop ancienne. Linoa tira une chaise de bois et s'installa à côté d'Eulalie. Elle le remercia lorsqu'il posa un verre d'eau devant elle. Peu de personne devait lui rendre visite. Pas de famille ici, Georges avait tout l'air d'un homme seul. Cela présageait un grand bavardage de sa part. Les gens seuls avaient tout le temps du monde. « Je m'appelle Linoa, voici Eulalie. Nous venons de Crystal Valley et nous sommes ici pour mener quelques missions, dont une qui m'intéresse particulièrement, celle du Morbol blanc... ça doit vous sembler stupide... » ajouta-t-elle avec un sourire faussement penaud.  « Ça ne l'est pas, un chasseur en a tué un il y a quelques mois, je l'ai vu transporter la carcasse. C'était la première fois que j'en voyais un, et je n'en ai pas revu depuis. » « Vous savez où le chasseur l'avait aperçu ? » « Beaucoup plus haut qu'ici, à trois mille mètres. C'était sur le mont Pillik, au-dessus de la zone skiable qu'on peut voir depuis Lanester. » Linoa attrapa aussitôt la perche. « J'ai l'impression que Lanester est la ville pilier dans la zone, non ? »

L'homme haussa les épaules en lâchant un lourd soupir. Pas convaincu par les propos de la jeune femme, ou pas convaincu par la vie en elle-même. Sa lassitude était extrême. Linoa reprit : « Vous n'avez vraiment pas l'air d'apprécier cette ville... »  « Je l'aimais bien, avant. Ils ont dénaturé le paysage en ramenant cet espèce de gros bloc. » « Le laboratoire ? » « Oui, avec leur poste de sécurité à la noix. Ils sont là pour sortir les earthlandais de chez eux s'ils ne respectent pas les règles, mais dès qu'il s'agit de chasser les hobgobelins, là c'est à nous de faire le sale boulot. » « C'est quelque chose que vous avez toujours fait, non ? » « Je sais bien ma p'tite dame, c'est pas juste pour autant. » « Je comprends. » Linoa jeta un coup d'oeil à sa camarade, afin de vérifier qu'elle avait bien bu ses tasses de café et qu'elle suivait un minimum la conversation, elle aurait besoin de ses analyses également. Il était encore bien trop tôt pour que ses yeux soient parfaitement ouverts, mais il allait tout de même falloir commencer la visite guidée le plus tôt possible.

Une question de la part de la blanche amena un fait surprenant que Georges leur révéla. « Ouai, sur le versant Est, plusieurs petits villages ont été vidés et depuis personne n’y a accès. Impossible de savoir ce qu’ils y fabriquent. Certains ont voulu aller voir, on a plus eu de nouvelles. » Les deux filles n'échangèrent aucun regard à ce moment, mais Linoa fut persuadée qu'Eulalie reçut son œillade mentale. Elles tenaient quelque chose. « Quelle insécurité... » soupira Linoa avec compassion. « Vous seriez sans doute plus tranquille au Royaume de la Nuit. Les monts Cordés ont un climat similaire. Mais j'imagine combien il est difficile pour vous d'envisager de partir... » « Vous avez bien raison, c'est ma maison, ici. Je n'sais pas si une étrangère est la solution. P't-être bien... » il haussa les épaules. Cet homme ne se sentait pas concerné par les questions de politique. Il voulait juste bien vivre. Linoa inclina la tête sur le côté en lui offrant un sourire doux. « Je ne sais pas non plus. J'ai juste de la chance que les touristes soient bien accueillis là-bas » bavarda-t-elle, l'air de rien. Elle balaya le sujet d'un geste de la main, comme s'il s'agissait d'une broutille, et enchaîna sur un tout autre sujet. « J'ai ouïe dire qu'à partir d'un certain temps de résidence au sein de la lune, les Crystaliens sont tenus de faire des dons d'aethernanos. Notre hôte nous a dit de nous en abstenir si on ne nous les réclamait pas. » « Il a raison, mais ne dites pas ça à n'importe qui, vous pourriez avoir des problèmes. » « Vous n'êtes pas n'importe qui, Georges » Voilà qu'il s'empourpra. Trop facile. Après leur échange, Linoa se leva. « Nous sommes venues à l'improviste, alors nous ne vous embêterons pas plus longtemps. Permettez-vous qu'on vous rende d'autres visites, si nous rencontrons quelques difficultés ? » Il accepta chaleureusement et les raccompagna. Linoa enfila son manteau et sortit en compagnie d'Eulalie.

Elle écouta les propositions de la blanche, pensive. « Georges a le bras long ici. S'il ignore la raison de l'expulsion des habitants, alors ceux-là l'ignorent forcément aussi. Ils ne nous permettront pas d'en apprendre plus qu'un guide sur ce qui se trame ici. » Et pas besoin d'en apprendre plus sur leur ressenti également. Linoa était bien placée pour connaître la douleur d'être arraché à son chez soi. Ces gens devaient ressentir une sacrée aversion envers le Royaume de la Lune. Elles n'allaient pas prêcher à la porte de ceux déjà presque convaincus, pas maintenant en tout cas. Ce n'était pas la priorité selon la reine. « Je suis curieuse de voir avant toute chose ce qui se trame dans ces petits villages désertés dont ils nous a parlés. Si les zones sont sécurisées, nous aurons affaire à des obstacles de taille. » Il ne faudrait pas seulement convaincre les habitants que la reine Nyx était leur meilleure option, mais également chasser des groupes de lune plus importants qu'escomptés. Linoa déplia la carte afin de vérifier ce que Georges avait appelé le versant Est. « Allons-y à la marche. » Cela leur permettrait de mieux appréhender les environs. Les deux femmes en eurent pour une bonne trotte. La brunette enfila sa lourde capuche pour contrer les bourrasques de vent leur envoyant par moment de la grêle au visage.

Un immense grillage de barbelés dressé devant elles bloqua leur avancée. De l'autre côté, une étendue de haut sapins masquait la vue. « Il serait bien étrange de la part de simple touristes de vouloir passer cette barrière... » dit Linoa tout bas. Elles la longèrent ensemble, et se rendirent rapidement compte que le périmètre était bien entièrement clos. On ne pouvait pas s'amuser à rentrer là comme des délinquantes sous prétexte d'être à la recherche d'un monstre. Leur couverture n'était pas aussi solide. Linoa appuya les mains sur les hanches. Elle ne voyait pas trente-six solutions pour forcer le passage, sans avoir besoin de faire appel à du renfort technique. Elle s'éloigna des grilles avec sa camarade. « Je ne percerais pas leur sécurité, mais je suis certaine que des monstres le pourront. Ainsi qu'un … environnement hostile. » Son regard bifurqua vers son alliés. Eulalie maîtrisait la magie des plantes, ce qui offrait un potentiel destructeur qu'elle espérait pouvoir exploiter. En créant diverses ouvertures dans les grilles, alors elles n'auraient plus besoin de justifier la raison de leur présence, en tant que mages pourvues de nombreux contrats de chasse. « Tu sais ce que je pense ? » dit-elle sur le ton de la confidence. « Il y a un autre type de laboratoire là-bas. Ça expliquerait la disparition de ceux qui s'aventurent dans le coin. Ça pourrait même expliquer l'existence de ce Morbol blanc. C'est quand même bizarre que la découverte de cette espèce soit récente, tu ne trouves pas ? » La belle était très au fait des expériences sinistres que Skyadrum pouvait opérer sur les hommes. La reine Nyx, elle, avait bien plus de considération pour la vie humaine.

« Je pense que tu as raison, mais ce manque de sécurité me surprend… S’ils n’en mettent pas ici c’est qu’ils doivent avoir quelque chose de plus efficace à l’intérieur. » D'accord avec elle, Linoa lui offrit un hochement de tête entendu. Eulalie déplora l'absence de fragilité sur la grille, l'empêchant d'opérer une destruction rapide. Sa créativité surprit agréablement la reine. La blanche avait de la suite dans les idées dans son élément, proposant une solution à laquelle Linoa n'avait pas pensé. Elle balaya son inquiétude sur la consommation requise en magie. « Je trouve cette solution excellente. Avec un peu de chance, l'ensemble de ce pan de clôture tombera » Ses bras s'écartèrent, désignant la longueur du mur de ferraille «  L'épaisseur de neige le dissimulerait par endroit. Et s'il nous faut attendre deux jours pour un résultat plus naturel, alors nous attendrons deux jours. » Un sourire rassurant aux lèvres, elle porta un regard protecteur envers sa camarade abritant une part de magie du commandeur. « Tu peux commencer maintenant, et on reprendra plus tard … ? Le lierre ne disparaitra pas en ton absence, n'est-ce pas ? ... Ne crains pas de puiser dans tes ressources. J'ai assez de force pour nous protéger toutes les deux en cas d'attaque s'il faut. » Linoa enfouit les mains dans ses poches, prête à poireauter un peu pour le début du travail.

« Je me demande quel serait l'intérêt pour Skyadrum de créer de nouveaux monstres ici… Des tests sur l’ADN ? Si c’était le cas, il pourrait renforcer toute son armée. Je crois qu’il y a déjà un roi qui avait testé, avec le sérum ? » Linoa hocha la tête, pensive. « Il peut y avoir de ça. Créer un nouveau type de soldats, instaurer la peur, envoyer ces monstres au royaume de la nuit en se déchargeant de la responsabilité... » Elle haussa une épaule. « Les intérêts sont nombreux. Il n'en est pas à son coup d'essai, en termes d'expériences macabres. Tu n'as pas idée de ce que j'ai vu, par le passé » Peu de témoins étaient ressortis vivants des missions de démantèlement de laboratoire, à l'époque où Mystogan portait encore la couronne. Mais pour ceux qui en avaient réchappé, le souvenir était encore vif. « L'ordre de son royaume ne tient qu'à un fil. Le Réceptacle de la Sagesse est redoutable, mais je suis certaine que Skyadrum a d'autres atouts dans sa manche. Impossible que l'absence de guerre civile soit le résultat du génie d'un seul homme. » Elle  avisa les alentours. Le temps était trop peu clément, et elles étaient bien trop hors piste, pour risquer de croiser d'éventuels randonneurs. Pas de monstres non plus, pour le moment. Certains n'avaient pas besoin d'attendre que le vent redescende, il fallait rester vigilante. Linoa se portait comme un charme malgré la température agressive, même pour un autochtone. Rien n'était plus découpant que le froid de Norest.

Elle approcha d'Eulalie d'un pas. Le bruit naturel des bourrasques assurait la confidentialité de leur conversation. «  Ce qui se trouve là-bas est peut-être notre meilleure chance de provoquer une véritable cassure entre ces gens et le Royaume de la Lune. J'espère que je ne fais pas fausse route... » déclara Linoa avec un brin espoir, tandis qu'elle avisait une fois encore l'étendu derrière la haute barrière. Après un moment, elle proposa à Eulalie de reprendre leurs petites manigances plus tard. Voilà bien trop de temps qu'on ne les avait pas vu au village, il fallait faire acte de présence et poursuivre leur comédie de Crystaliennes en vadrouille, afficher leur inconfort dans cet environnement hostile, elles qui vivaient dans une ville riche, où le délit n'existait pas. Linoa était persuadée de sa théorie sur le morbol blanc. Une telle chose n'avait jamais existé en montagne. Puis, Skyadrum s'emparait du territoire, créait une zone sécurisée et, bizarrement, une telle monstruosité voyait le jour ? Linoa ne croyait pas aux coïncidences. La bonne nouvelle, c'est que si ses estimations s'avéraient exactes, alors les deux filles pourraient mettre la main sur cette créature et remporter un pactole. Eulalie serait ravie.

« J'ai pensé à une chose... Lorsque la grille sera abattue, nous pourrons demander à un guide de nous accompagner dans cette zone, pourquoi pas Georges... » La parcimonieuse Eulalie allait grincer des dents. Qui dit guide, dit argent. Les montagnards étaient des gens accueillants, mais il ne fallait pas les prendre pour des pigeons. Ils avaient leur caractère, un caractère qui pouvait jouer en la faveur de la Nuit. Linoa développa sa pensée. « Si nous découvrons que des civils subissent des expériences par ici, nous avons besoin d'un témoin oculaire qui a de l'influence. Il sera le premier étendard de la reine. » Elle cessa de parler lorsqu'elles approchèrent de la civilisation.

« Comment des gens peuvent décider de suivre un homme comme lui qui n’accorde aucun intérêt à son peuple hormis les traiter comme des cobayes… ? Il ne peut clairement y avoir que des psychopathes pour accepter de le suivre volontairement. Les réceptacles sont les pires. » Linoa hocha la tête, tout serait plus simple si les obstacles se limitaient à ces gens. « Il y a aussi des édorasiens, les suiveurs de la première heure. Ils ne connaissent pas l'envers du décor et leur vie n'est pas impactée par la façon de gouverner de Skyadrum. Au contraire, grâce à lui, ils peuvent conserver la magie au lieu de retourner à des modes de vie précaire. Toute la difficulté pour notre reine sera de leur prouver qu'elle peut leur apporter encore plus. Ce n'est pas gagné. J'ai entendu dire que les édorasiens altruistes, soucieux du sort des earthlandais, ne sont pas aussi nombreux qu'on le pense. » Eulalie souleva avec justesse une des difficultés qu'elles rencontreraient à vouloir amener un tiers d'influence avec elles pour découvrir ce qui se cachait. « Tu as tout à fait raison. Nous ne pouvons tout bonnement pas prendre une carte et pointer cette zone interdite du doigt en prétextant qu'un Morbol blanc s'y trouve » déclara la brunette avec un petit sourire mutin. La maligne avait déjà un plan bien ficelé en tête, qu'elle n'exposa pas immédiatement.

Il fallait bien qu'un concours de circonstances les amène sur les lieux avec le guide, notamment un contrat de chasse qui tournerait à la course poursuite. Il y avait cependant un obstacle à cela, c'est que leur accompagnateur pourrait tout de même les dissuader de poursuivre dans une direction. La définition du guide, c'est qu'il savait en tout lieu, pour toute direction, où on mettait les pieds. Il fallait donc le désorienter, jouer avec son esprit, de sorte qu'il ne se rende compte de l'erreur qu'une fois trop tard. Chose que le commandeur faisait avec brio. Cependant, il fallait à Linoa une excuse pour ne pas griller sa couverture auprès de sa camarade. Cela l'obligerait à faire un tour dans un bric-à-brac, afin d'acheter des artefacts magiques d'altération d'état. Poudre d'aphasie, ou idéalement poudre de confusion. Elles avaient encore le temps pour ça. Amener les horreurs de Skyadrum au yeux des villageois constituaient la dernière étape de leur plan. L'estomac vide d'Eulalie les conduisit à un restaurant dans lequel Linoa fut tout à fait ravie d'entrer. Elle aussi avait faim. C'était épuisant parfois, de feindre avec l'apparence de Nyx, qu'elle n'avait besoin de rien, qu'elle surpassait l'humain par sa condition. Si elle s'écoutait, elle prendrait bien le double cheeseburger avec frite maxi. Poussée par ses habitudes de lady, elle se rabattit sur un poulet accompagné de salade. Linoa avait la coquetterie de faire attention à sa ligne.

« Tu penses qu’on arrivera à le trouver ce Morbol blanc cet après-midi ? » La jeune femme joua le jeu et déplia sa carte tout en réfléchissant. « Hmm, ce serait trop simple. En tout cas, j'ai vu un contrat de chasse intéressant sur le panneau d'affichage d'ici. Un troupeau de Zinogres se rapproche lentement mais dangereusement de Lanester, versant Faldrin. Nous ne l'avons pas encore exploré, et cela nous fera des sous en plus pour notre séjour ici » Cela leur permettrait aussi de repasser par Lanester. La brune avait bien évidemment d'autres contrats de chasse, venant de Crystal, mais moins intéressants pour leur quête à ce moment précis. « On verra sur place s'il y a un guide du même calibre que Georges pour nous accompagner. » Elle offrit un regard complice à Eulalie. Maintenant qu'elles avaient l'avis d'un guide important de Platel, il leur fallait agrandir leur vision. Est-ce qu'un résident de Lanester avait les mêmes opinions qu'un village annexe considéré moins important ? Rien n'était moins sûr. Cependant, il ne fallait sous-estimer les poids de ces autres villages, ils s'alimentaient tous les uns les autres. Linoa régla leur repas et prétexta garder la facture pour les notes de frais, après quoi, elles prirent le bus pour Lanester. La ville bénéficiait du luxe d'un centre d'accueil permettant d'aiguiller les voyageurs. Ce fut leur première escale.

« Nous sommes venues vous aider à chasser les Zinogres du versant Faldrin. Quel est le meilleur guide, par ici ? » Elle se fichait pas mal qu'il ne soit pas donné. C'est ainsi qu'on leur introduisit un quadragénaire de bonne stature, qui les salua avec confiance. Linoa fit semblant de ne pas voir la main qu'il lui tendit, noyant cette négligence par un grand sourire adorable, une salutation chaleureuse, et une légère dose de commandeur. Étienne du Val. Linoa le toisa avec un fort intérêt. C'est comme si un voyant « cible idéale » clignotait au-dessus de la tête de ce jeune homme. Il avait le bagout et du charisme, mais pas la sagesse d'un ancien tel que Georges, qui en avait vu beaucoup trop pour être aisément dupé. Il serait leur témoin, le moment venu.

Étienne du Val, pensait-elle en son for intérieur, serait l’instrument idéal pour les manipulations qu’elles s’apprêtaient à mener. Le guide s'inquiéta de la dangerosité de la mission et Eulalie intervint pour le rassurer, prétextant l'habitude. Linoa se chargea de régler l'avance. « Nous ne vous mettrons pas en danger, monsieur du Val » renchérit-elle d'un ton chaleureux. Elle fut rassurée de constater que ses mots ne piquèrent aucune fierté, et ne firent ressortir aucun machisme. Un point non négligeable à étudier, quand on voulait mettre une femme à la tête d'une région. Bien qu'ils eut conservé quelques habitudes archaïques, la pensée de ces gens ne l'était guère, du moins pour ceux qu'elle avait rencontrés jusqu'ici.

Le voyage en montagne fut rude, certes, mais pour Linoa, chaque pas dans la neige était une occasion de raffiner sa stratégie. Sous ses airs avenants, elle gardait en permanence son esprit aiguisé, cherchant à cerner chaque aspect de l’homme qui les accompagnait. Étienne du Val, avec ses manières robustes et son assurance tranquille, semblait, pour l’instant, l’allié parfait, mais elle avait appris à se méfier des apparences. « Vous avez l’air de connaître ces montagnes par cœur. Depuis combien de temps vous y aventurez-vous ? » demanda-t-elle, sa voix douce se fondant presque dans le vent glacé qui fouettait leurs visages. « Oh, bien des années. Depuis que je suis gamin, en fait. Je me suis toujours senti mieux ici, hors de la ville » Un éclat passa dans ses yeux, quelque chose de plus profond qu’elle capta immédiatement. L’envie d’échapper aux autres, au bruit du monde, lui était familière.

« Je comprends. L'altitude est un véritable havre de paix. » Linoa choisit ses mots avec soin, tâchant de créer une connexion tacite avec lui. Elle savait que ce genre d’intimité partagée, même superficielle, pourrait se révéler utile plus tard. Quand le guide leur fit signe de ralentir, elle se tint prête, son regard se portant sur les silhouettes imposantes des Zinogres. Une vague de froid mordit son visage, mais elle resta impassible. C’est alors qu’elle capta le regard d’Eulalie, qui déjà préparait une barrière contre les créatures. « Une excellente initiative » murmura Linoa en réponse, ses yeux sombres se plissant légèrement. Il fallait qu’elles préservent leurs forces.  Elle accepta la petite fleur blanche que lui tendit Eulalie, l’observant avec curiosité avant de passer la tige sur le zip de sa poche, l'y accrochant en évidence. « Je vois que tu penses à tout. » Cela leur laissa un petit moment de répit pour aviser la situation, et avoir l'avis de leur guide, sans risquer une attaque éclair. « Que suggérez-vous pour ces monstres ? Doit-on changer leur trajectoire ou les éliminer ? » « Je crains qu'ils se rapprochent de la rivière proche de Platel, si on les fait contourner Lanester. Ces créatures se nourrissent de poissons... » Linoa hocha la tête. « Même en les faisant dévier, ils pourront revenir à tout instant. Il vous faut une solution plus durable » conclua-t-elle d'un ton compatissant.

Elle récupéra sa longue dague à l'intérieur de son manteau d'un geste souple et se tourna vers Eulalie. « Si le pavot peut les ralentir, cela m'évitera plus facilement les mauvaises décharges. Penses-tu pouvoir les éloigner les uns des autres ? » C'était une possibilité, elle arrivait bien à influencer leurs déplacements grâce aux odeurs. « Ce serait plus facile pour moi. Mais ne t'expose pas trop. Ces bêtes sont redoutables. » La brune laissa le soin à la magie de la blanche de faire effet. Puis, elle s'avança en faisant tournoyer la lame dans main, échauffant brièvement son poignet, avant de foncer à vitesse surhumaine vers le premier monstre. Ses talents et sa force apportèrent au moins, si la blanche n'en avait déjà pas en tête, quelques raisons justifiant l'importance de Linoa pour la couronne. Un éclair tomba, près d'elle. Impossible de savoir si elle l'avait esquivé, ou si le monstre avait manqué sa cible grâce à l'aide d'Eulalie. Linoa fondait déjà sur le suivant.

Lorsque le dernier Zinogre fut terrassé, la brunette se redressa, essuyant calmement la lame de sa dague sur la fourrure du monstre abattu. Ses gestes étaient méthodiques, sans la moindre trace de précipitation, comme si tuer ces créatures n’était qu’un autre jour de travail. Elle jeta un coup d’œil à Eulalie, s'assurant qu'elle allait bien, puis son regard perçant se posa sur Etienne. « Bien. Maintenant que ce petit contretemps est réglé… » Linoa rengaina sa dague sous son manteau. « Vous disiez donc, monsieur du Val, que vous avez grandi dans ces montagnes ? Il doit y avoir tant d’histoires à y raconter. Vous avez sûrement vu des monstres pires que ceux-ci, n’est-ce pas ? » Elle lui adressa un sourire charmant, comme si de rien n'était.

Elle savait comment rétablir une conversation après la violence, comment dissiper la tension avec une aisance déconcertante. En un clin d'œil, elle était de nouveau la femme sociable et intrigante qu'on croyait connaître. En parlant avec cet homme, elle commençait à voir les points de liaison avec leurs interlocuteurs d'avant. Le besoin de tranquillité. Un bouleversement de leurs habitudes auxquels ils n'étaient pas préparés. Un envie de retour aux sources et à la liberté, tant d'arguments que la reine Nyx remobiliserait plus tard lorsqu'elle foulerait de nouveau ces terres. Les services d'Étienne devraient être remobilisés pour leur desseins, la découverte de la zone interdite le lendemain, mais avant, Linoa devait faire le point avec Eulalie.