Stan, appuyé contre l'un des piliers massifs du balcon de l'hôtel de ville, ses yeux fixés sur les rues animées en contrebas, observait les allées et venues des marchands et des civils. La récente découverte de la Nécrylithe Blanche avait mis Blood Moon en émoi, et une part de lui ressentait le poids de la responsabilité qui lui incombait. Ce matériau, ce n'était pas juste un caillou magique. L’appât parfait pour attirer les mages rebelles, les mercenaires avides, et les autres crevards qui vendraient leur mère pour un peu de pouvoir. Stan n’avait pas besoin de plus de détails. Il avait déjà vu ce genre de tableau avant. Tout le monde voulait la même chose, et il y aurait du sang. Toujours.

La Nécrylithe pouvait changer la donne pour le Royaume de la Lune, mais la concurrence serait rude. Ninel et Hyde n’étaient pas encore arrivés. Stan les attendait avec une étrange tranquillité, profitant de ses derniers instants de solitude et de semblant de silence. Les pensées éphémères fourmillaient dans l'air, très bas, trop bas pour le déranger, un bruit de fonds à peine plus haut qu'un souffle.

Il tourna la tête vers l'intérieur, la salle de stratégies. Des cartes et des documents étaient éparpillés sur la grande table de bois. En bon élève, il avait déjà tout lu, tout parcouru. Le désert, immense et impitoyable, était leur prochaine destination. Au-delà des dangers naturels, ils allaient probablement rencontré une myriade d'opposants tout aussi déterminés qu'eux. Car les informations avaient fuité. Pourvue des meilleurs espions, la lune avait évidemment une longueur d'avance. Celle-ci était toutefois très mince. Leurs chances reposaient sur la vitesse et la stratégie. C'est pourquoi Stan avait besoin que ses deux équipiers se bougent. Son bras se leva par habitude, ses doigts glissant sur le manche de son katana suspendu à son dos. Une vérification inconsciente que l'arme n'avait pas bougé et était toujours avec lui.

Lorsqu'ils débarquèrent, Stan quitta le balcon et rejoignit l'intérieur. « Salut ! » dit-il avec un grand sourire. Il tapota chaleureusement l'épaule d'Heiji en passant près de lui et s'arrêta à l'encadrement de la porte, déjà prêt à partir, alors qu'ils arrivaient à peine. « Pas le temps de traîner. Vous lirez en chemin ? » Sa voix sonnait comme une moquerie déguisée en suggestion. Son menton indiqua la paperasse négligemment balancée sur la table. Une invite à se débrouiller. Le garçon avait besoin de concentration pour faire le calme autour de lui en leur présence, ne pas se laisser envahir par les esprits parasites, afin de rester focalisé sur son but. Il ne fallait pas trop s'accrocher à lui.

Ils montèrent les marches de l'héliport à destination de Louen, idéal pour démarrer leur quête infernale. Stan détestait les types comme Heiji, qui trimballaient leur bordel mental comme un sac d'os brisé. Le gamin était une poubelle de pensées contradictoires, prétextant avoir de l'aversion pour le réceptacle de la Sagesse, au lieu de s'avouer qu'il le redoutait autant qu'il redoutait le monstre en lui. Stan entendait aussi la voix d'Hyde, susurrant à l'esprit de son hôte un rappel constant de qui était le maître, qui était l'esclave. Une fois arrivés, ils marchèrent vers le sud, quittant la ville au profit des dunes. « On fait quoi ? Sur le chemin, on n'a croisé personne mais sur place ? On utilise les runes de l'unité de Stan pour protéger la Nécrylithe ? » demanda le porteur d'Hyde en chemin. Stan éclata d'un rire joyeux. « Mais enfin Heiji ! » dit-il en reprenant un air raisonnable. « Mon régiment, les runes, tout ça... c'est utile seulement quand je ne suis pas présent » Comme s'il en avait besoin. Il aurait pu dire "nous", s’il s’adressait à Hyde. À eux deux, les réceptacles étaient intouchables. Qui pourrait bien oser leur voler le joyau, une fois qu'ils l'auraient entre leurs mains ? Personne. À part peut-être le sauveur de l'humanité, mais ce pauvre bougre appartenait à un camp trop largué pour ce périple, à dix wagons derrière.  Heiji, lui, essayait de faire taire le monstre, comme un type qui préfère polir son arme plutôt que d'affronter le carnage qui l’attend. Il voulait éviter l’inévitable, jouer les zélés plutôt que lâcher la bête. Stan en riait intérieurement. Ça n'allait pas se passer comme ça.

« On verra une fois sur place Heiji, pour l’instant essayons de se fondre dans la masse dans la ville un peu plus loin ! On peut espérer obtenir des infos non ? On ne peut pas chercher dans le désert à l’aveuglette, à part si dans vos papier y’a la localisation exacte de la Nécrylithe. » « Inutile. Personne ne possède une localisation aussi précise que la mienne. » Il balança ça avec le sourire en coin d’un mec qui sait qu’il est en avance sur le reste du monde. Et il l’était. Il s'était gelé les couilles pendant vingt-quatre heures devant un temple perdu au nord. Tout ça pour décoder un vieux casse-tête qui aurait rendu fou n'importe qui d’autre. Mais pas lui.

Et ça avait payé. Ils avaient découvert des archives poussiéreuses, laissées là depuis des siècles, traduites par leurs experts, qui leur donnaient une longueur d’avance sur tout Edoras pour cette affaire. Une avance qu'il fallait garder à tout prix. Ce qui l'ennuyait, c’était que Ninel aurait pu le savoir, si elle s’était seulement donnée la peine de lire, au lieu de laisser la tâche à Heiji. « Demande à Archi de t'apprendre la lecture après le bain, la prochaine fois », taquina-t-il, juste au moment où la jeune femme rétrécissait pour prendre sa forme de gamine. Ouais, il savait comment le blond s'occupait d'elle. C’était ça, le problème d’avoir un cerveau qui ramasse les pensées des autres comme un foutu aspirateur à merdes. Pas de filtres, pas de barrières. Juste des fragments d’intimité balancés en pleine face. Il la laissa grimper sur lui sans broncher. Le groupe rejoignit un petit village, qui faisait trois fois moins Corel. Stan se dirigea droit vers les locations de véhicules tout-terrain, traversant une zone poussiéreuse qui puait l’abandon et la misère. Des bâtiments décrépits bordaient la route, leurs façades écaillées par le vent chargé de sable, des panneaux rouillés qui grinçaient au moindre souffle. Le comptoir n’était guère mieux : une cabane à moitié effondrée, en tôle ondulée. Juste à côté, quelques engins poussiéreux et cabossés, alignés comme des animaux fatigués attendant d’être abattus. L’air était sec, brûlant, avec cette odeur distincte de pétrole et de métal chauffé à blanc.

Il reposa Nel au sol une fois face au vendeur, négociant à léger renfort d'abus d'autorité. Si personne ne se portait volontaire pour conduire, ce ne serait pas un problème, Stan prendrait le volant. L’engin était vital pour ce qu’ils allaient affronter. Le vrai fin fond du désert, l’enfer à ciel ouvert. Des kilomètres de cailloux brûlants et de sable, ce genre de terrain qui fait exploser la clim en deux heures chrono, peu importe si le réservoir est plein à craquer. Et quand, inévitablement, la machine rendrait l’âme au milieu de nulle part, ils n’auraient plus qu’à continuer à pied. Sous un soleil assassin, pataugeant dans leur propre sueur et leur dégoût.

Un voyage qui n'était pas fait pour Heiji. Avant de monter dans le véhicule, Stan se planta à côté de lui. Il balança un bras autour de ses épaules avec bonne humeur, comme un vieux pote qui cache mal une mauvaise intention. « À partir de maintenant, Heiji, ça va se corser, alors... » Son visage tourné vers lui approcha, un éclat sombre dans les yeux. Il ajouta dans un murmure : « Rends-moi Hyde. ». Il n’essayait même pas de cacher le fait qu’il s’approchait volontairement de la gueule du monstre, comme un type qui se tient au bord d’un précipice en plein orage. Pendant une fraction de seconde, Heiji aurait pu croire que Stan lui donnait un ordre, ou pire, le menaçait, mais le réceptacle reprit bien vite un sourire charmeur, malicieux. « S'il te plait. »