Mission d'espionnage

« T’as essayé en souriant ? » Fut la vanne trop facile et pourtant ô combien indispensable qu’elle se devait de lui lancer lorsqu’elle dû contempler longuement Pierce avec l’apparence d’Eucliffe. Les colliers trompeurs avaient beau faire des merveilles en termes d’apparence, ils ne pouvaient rien faire contre les expressions des porteurs, ni même contre leurs voix. Le tout n’était pas de prendre l’apparence du beau blond, encore fallait-il à présent être convainquant dans le rôle. River avait suffisamment de talent pour apprendre à le devenir avec de l’entrainement, mais tout le problème résidait justement dans ce petit détail :  l'entraînement requiert une denrée rare que les (ex-)militaires n’ont plus le luxe de posséder, le temps. C’est d’ailleurs à peine équipés et préparés qu’on les balance presque sur le Légion qui les conduira près de Troia. Les missions d'espionnage ne sont pas censées leur être refilées, ni à l’un ni à l’autre. Mais si l’on comparait aux effectifs précédents, il n’était plus qu’une poignée d’entre eux à présent. On envoyait qui l’on pouvait là où l’on pouvait. Ainsi les deux avaient-ils quitté la Citée Royale, mis à l’abri des regards par un sort d’invisibilité, pour une mission d’espionnage visant à récupérer la ville de Troïa. A terme. S’il était encore possible de la récupérer d’ailleurs.

Cheveux au vent et regard vers l’horizon, Svetlana ne fut pas la première à exprimer des doutes que chacun portait probablement en eux. « Quand on l’a perdue, Troïa comptait une écrasante majorité d’edorasiens, et une petite poignée d’earthlandais. Et si ces gens soutiennent Skyadrum à l’heure actuelle … ? » Il y a comme une voile invisible qui se pose sur le regard de la jeune femme. Nombre de fois Svetlana s’était elle-même posée cette question. L’idée ravive même les souvenirs de la désertion de celui qu’elle admirait plus que tout, à l’époque. « ... ça ira la voix ? Même si on m'avait laissé le temps, j'aurais eu mieux à foutre que m'entraîner devant un miroir. » Bras croisés sur sa poitrine, elle l’observe un moment en faisant mine de véritablement réfléchir à la question. « Hm… » Elle fait un pas vers lui, et ses mains viennent doucement pincer ses joues pour étirer ses lèvres en un sourire ridicule car évidemment forcé. Ça n’aide pas. « Il manque un truc, mais on devra faire avec. » La capitaine n’a pas eu l’occasion de beaucoup côtoyer l’ex-maître des tigres. Pour autant, la différence entre les deux hommes est flagrante tant ils semblent être à l’opposé l’un de l’autre en termes de mentalité et de comportement. « Tu peux essayer d’être plus…insouciant ? Ou malicieux ? » Elle n’arrive pas à mettre le doigt dessus en réalité.

« On descend là. » Les deux quittèrent le dos de leur monture pour continuer leur route à pied. Longtemps, Troïa avait été considérée comme l’une des villes les plus sécurisées du continent, après la Cité Royale. Mais le sentiment de sécurité de la population avait volé en éclat le jour ou Blue Pegasus s’était fait décimée. Une fois encore, ils n’avaient pu que constater les dégâts après coup, et faire face à leur impuissance. Postée bien loin d’ici à l’époque, Svetlana n’avait eu que des rapports pour se faire une idée de ce qui s’était passé sur place. River, cependant, si son souvenir de ces rapports était correct, avait été envoyé sur place. Svet aurait aimé que cette démonstration de force soit exceptionnelle, qu’elle ne soit pas que l’une d’elles parmi tant d’autres. Mais à plusieurs reprises les guildes noires leurs avaient fait preuve de leur supériorité dans l’horreur. « Pour ta question de tout à l’heure… » Cette dernière a été retournée dans sa tête un millier de fois. « Nous ne sommes là que pour faire du repérage. Pour autant… » L’idée fait bien trop écho à son passé. « Je ne veux pas qu’on devienne l’oppresseur. » Conversation trop pesante, qui sous-entend bien trop de choses, en particulier un dilemme pour lequel elle est incapable de dire vers qui elle se dirigerait s’il se présentait à nouveau. Mystogan et Faust sont bien différents l’un de l’autre…N’est-ce pas ? Peut-être doit-on laisser une chance à Mystogan… Encore aujourd’hui, elle espérait ne pas s’être trompée, ce jour-là.

Un haussement d’épaule vient remettre de la légèreté dans leurs mots. « Au pire, on peut toujours déserter et aller vivre à la campagne pour élever des poules. » L’idée la fit d’ailleurs bien plus marrer lorsqu’elle imagina réellement River en train de nourrir des poules, et leur envoyer des regards assassins lorsqu’elles saliraient quelque chose. « On va d’abord voir où on en est, et on avisera après, deal ? » Elle tapota doucement son épaule avant de, voyant la citée approcher, enfiler sa cape d’invisibilité. « T’es pas tout seul sur ce coup. » Elle ne savait pas si ses mots apportaient vraiment un quelconque réconfort cependant. Elle s’avança à distance raisonnable lorsqu’ils s’approchèrent de l’entrée de la ville. Le visage de Sting était assez connu pour les contrôles ne soient pas trop insistants, elle profita de l’ouverture de la porte pour s’introduire dans la cité en même temps que lui comme ces gens relou qui te collent dans le métro tsais. « N’oublie pas de sourire aux gens et d’être sympa avec eux. T’es Sting Eucliffe aujourd’hui. » Lui souffle-t-elle tout bas. Infiltration réussie. Maintenant il leur fallait répertorier les points sensibles…Et s’assurer (officieusement) qu’ils ne sont pas l’envahisseur.

Mission d'espionnage

« Un peu comme toi…quand tu fais une blague en sachant à l’avance que ça va pas me faire rire ? » « Mes blagues sont très drôles. T’as juste pas d’humour. » Broncha la soldate avec, peut-être, un léger soupçon de mauvaise foi. Ce n’était pas faute d’essayer de le dérider depuis des années. Depuis qu’ils se connaissaient, en fait. Elle soupçonnait cependant Pierce de ne pas détester ça. Avec son caractère, il ne fait aucun doute qu’il lui aurait fait comprendre qu’elle l’emmerde si tel avait été le cas. L’objectif initial qui était de casser cette image froide qu’il renvoyait n’avait pas été un franc succès -principalement parce que son manque d’humour lui faisait tirer la tronche à chaque des blagues, pourtant très drôles, d’Aslanov. Avec le temps, c’était surtout devenu une habitude, comme une façon pour elle de lui montrer son affection à son égard. Affection qu’il ne lui rendait pas de façon conventionnelle, mais qu’elle savait parfois lire dans sa franchise. « Ce sera peut-être moins chiant que sur le papier, en ta compagnie » Un fin sourire s’étira sur les lèvres de Svet, avant que celui-ci s'élargisse pour lui donner un air bien plus malicieux. « Je savais bien que tu aimais mes blagues ! » S’amuse-t-elle. Mais ces hypothèses restent hautement improbables. Elle ne voit pas River déserter, tout comme elle ne se voit pas le faire elle-même. Pas en l’état, en tout cas. Les choses seraient différentes si la commandante décidait un jour de ne plus offrir sa loyauté à Mystogan. La capitaine lui avait laissé sa chance en décidant de ne pas suivre Skyadrum, ce jour-là. Mais ses actes avaient fait que son admiration et sa loyauté s’étaient tournés tout naturellement vers Knightwalker. Peut-être en avait-elle trop attendu de lui.

Les constats sur les dispositifs de contrôle d’identité (quasi inexistants) furent les mêmes pour les deux soldats. C’est d’ailleurs ce manque de contrôle plus poussé qui leur permet à tous les deux de s'engouffrer dans la ville aussi aisément. « Ils savent qu’on ne s’en prendra jamais aux civils, Svet… » Lui souffla le faux blond. « Les habitants sont plus en sécurité si c’est nous l’ennemi, et non Skyadrum. » Et Skyadrum avait raison de se positionner ainsi. Jamais la résistance ne s’en prendrait aux civils, contrairement aux guildes noires. La suppression d’une bonne partie des systèmes de sécurité donnait un souffle léger à la ville. Sans nier leur utilité de l’époque, ces installations avaient apporté leur lot d’anxiété. Ils rappelaient la guerre qui se jouait entre le gouvernement et les guildes noires. Celle-ci n’était pas terminée, mais on ne pouvait que constater que cette configuration offrait plus de sérénité aux Edorasiens. Quant aux Earthlandais…Ils restaient visés pour alimenter les laboratoires. Tout ce sur quoi Svetlana ne pouvait pas fermer les yeux, même si elle se trouvait du bon côté de la frontière, de celle où elle ne serait jamais prise pour cible. Les années de conflits armés pouvaient rendre facile l’ignorance feinte de tous ceux qui désiraient vivre enfin en paix…Et rendre bien plus compliquée la position des soldats restés dans la résistance. « Ils n’avaient pas de remords à les sacrifier, et maintenant ils vont passer pour les types qui leur offrent la sécurité… » Marmonne-t-elle non sans amertume. Encore une fois, d’une façon différente, c’était la population qu’ils tenaient en otage. La rancœur ne changea rien aux faits exposés par River et criants de vérité : la population était plus en sécurité maintenant qu’elle ne l’était à l’époque où Mystogan régnait.

Une fois les portes de la cité franchies, elle resta proche de Riv tout en prenant garde à ce qui pouvait se trouver autour d’elle : il n’était pas question qu’un enfant ou qu’un passant puisse lui rentrer dedans, cela ruinerait de suite leur couverture, et les mettaient dans le viseur des types du royaume de la Lune. « Un fan peut-être ? T’es populaire maintenant. » Le taquina-t-elle, s’amusant du fait qu’il ne puisse pas rétorquer quoi que ce soit, à présent en grande conversation avec ce type qui, finalement, ne semblait pas si proche que ça du membre de Sabertooth. Svet attendit patiemment qu’il s’éloigne pour reprendre la parole. « Tu t’améliores sur les expressions faciales, c’est déjà ça.   » Sa prise de parole avait surtout pour vocation de lui indiquer qu’elle se trouvait toujours près de lui. Si la mission n’était pas difficile sur le papier, toute la complexité de son exécution résidait dans leur capacité à travailler en duo dans ces circonstances handicapantes. Et peut-être aussi dans le fait que River ne passait pas inaperçu. Il attirait tous les regards. Svet du d’ailleurs se décaler pour laisser passer un groupe de jeunes femmes qui semblaient ne pas pouvoir faire autrement que de passer tout proche de lui. Elles le saluèrent, mine de rien. « Le sourire. » Lui rappela-t-elle alors qu’elles s’éloignaient en continuant de lui envoyer des regards en coin. Elle aussi aurait eu envie de grimacer dans ce genre de situation.

« Tu crois qu’ils ont investi l’ancienne base ? » Demanda-t-elle pour lui signifier qu’elle aimerait jeter un œil sur ce bâtiment qu’elle connaissait bien. La présence de la base rassurait la population, avant la prise de pouvoir des guildes noires. Ca, et la présence de la guilde de Blue Pegasus, presque totalement anéantie par un seul mage. Troia était pourtant bien protégée, à cette époque-là. Est-ce que tous leurs efforts, quels qu’ils soient, auraient vraiment été vains ? Même en retournant le problème un millier de fois dans sa tête, Svet n’imaginait pas comment ils auraient pu changer les choses. C’était d’ailleurs toujours le cas : elle ne visualisait pas comment ils pouvaient remonter la pente, avec moins d’effectifs et plus de contraintes que leurs adversaires. Se trouvaient-ils dans une impasse à présent ? Tout autour d’elle, la vie semblait plus paisible qu’auparavant…Pour une partie de la population, en tout cas. On ne trouvait plus de contrôles poussés, anxiogène, à l’entrée. Et même l'ancienne base, alors qu’ils arrivaient devant, lui sembla à l’abandon. « Il n’y a pas de dispositifs de sécurité poussés parce qu’ils n’en ont pas besoin.  » Rageant constat. Elle avait vu quelques patrouilles en traversant les rues pour se rendre jusqu’ici, probablement pour prévenir les incivilités et les petits délits (et attraper des types de la résistance s’ils s’aventurent dans le coin ?), mais rien de plus jusque-là. « Continuons de faire le tour des anciens dispositifs…Tu te sens de prendre la température auprès des habitants du coin, en chemin ?  » Je n’ai pas très envie de reprendre une ville, si ça signifie empirer les choses pour ses habitants, songea-t-elle. Cela revenait à la conversation qu’ils avaient eu sur le trajet pour venir jusqu’ici.