Le soleil brille, les oiseaux chantent, le vent bruisse doucement dans les feuilles des arbres. Avec une telle ambiance, Alice avait l’impression d’avoir trouvé le paradis sur terre. Dans cette forêt du continent de Galad, il régnait une atmosphère calme et sereine ou la demoiselle se sentait revivre. Elle s’était installée à Crystal Valley en raison de la neutralité qui y était affichée. Ainsi, avait pensé Alice, elle n’aurait à s’attacher à aucune personne ou aucun groupe avec un quelconque objectif ridicule. Ainsi, avait pensé Alice, elle pourrait vivre plus libre qu’elle ne l’avait jamais été. Mais même dans ce cadre idéal il y avait un os.

Même sans nouer d’attaches particulières, Alice pouvait difficilement se couper du monde et éviter tout contact avec un autre être humain. Bien sûr, c’était déjà le cas sur Earthland, donc elle n’avait, a priori, pas de raison d’être plus malheureuse. Seulement, dans cette ville où elle avait élu domicile, tout délit était proscrit. Ainsi, non seulement elle était obligée de côtoyer le commun des mortels, mais en plus elle ne pouvait pas commettre le moindre larcin pour évacuer sa frustration. Si elle aimait jouer la mondaine et mener une vie rangée en apparence, cela ne valait guère pour tous les aspects impliquant de la vie en société. Pour ne pas virer cinglée…du moins plus qu’elle ne l’était déjà, la jeune mage décida de s’accorder un petit voyage. Ses pérégrinations avaient fini par là mener sur le continent de Galad dans une forêt qu’elle espérait vierge de toute présence humaine.

Après un certain temps à déambuler entre les arbres, Alice finit par tomber sur une petite rivière. Bien décidée à profiter du temps doux et du calme du lieu, la rousse se défit de ses chaussures ainsi que de ses collants, laissant ses jambes pâles à l’air libre. Elle marcha quelques pas dans l’herbe avant de s'asseoir au bord de l’eau et d’y émerger ses pieds. Le contraste entre la douceur de l’air et la fraîcheur de l’eau fit brièvement frissonner la mage qui, une fois acclimatée, s’allongea délicatement dans l’herbe et laissant ses pieds jouer dans l’eau.

Fermant les yeux, la mage entra dans un espèce d’état second, presque méditatif. Elle était détendue comme elle l’avait rarement été. Elle laissa son esprit vagabonder dieu sait combien de temps, complètement inconsciente de ce qui se passait autour d’elle. Seul le son des clapotis réguliers de ses pieds sur l’eau lui rappelait qu’elle ne dormait pas.

Soudain, une voix vint briser l’état méditatif dans lequel Alice était plongée. Ouvrant grand les yeux comme si on l’avait réveillée en sursaut, elle tourna la tête en direction du bruit parasite. Elle qui se croyait seule et loin de tout, là voilà qui faisait face à une blonde qu’elle n’avait même pas entendu arriver. Elle analysa plus en détail la nouvelle venue tout en se mettant lentement en position assise. Une gamine avec un chapeau de paille était tranquillement en train de pêcher. Sur toutes les îles d’Edoras, toutes les forêts, toutes les rivières qui existent, il fallait qu’une gamine vienne précisément ici jouer avec sa canne à pêche.

En toisant plus longuement l’inconnue, Alice finit par remarquer son regard appuyé…qui semblait étrangement fixé sur ses jambes. L’air surpris qu’Alice affichait jusque là céda bientôt la place à un regard plus froid.

« Si tu veux tellement les admirer, y’a toujours moyen que je te mette mon pied dans la gueule. Au moins tu seras aux premières loges comme ça ! » Cracha la jeune rousse sans une once de politesse, regardant avec mépris ce qu’elle voyait comme une gamine au regard un peu trop insistant à sont goût.

Alice était…décontenancée. D’habitude, quand les gens l’entendent cracher son venin sur eux, leurs réactions sont généralement similaires. Soit le contraste entre la noble apparence de la rousse et son franc parler les poussent à continuer leur chemin, soit cela signe le début d’un échange d’insultes bien senties et toutes les joyeusetés violentes qui peuvent y être associées. Mais cette fois, c’était différent. Loin d'adopter le schéma de réaction auquel Alice était habituée, la pêcheuse là prit à contre pied en en redemandant.

Devant cette réaction toute aussi insolite qu’inédite, Alice s’en retrouva bouche-bée. Elle qui réagissait d’ordinaire au quart de tour, elle ne savait pas quoi faire. Être violente, ça elle avait l’habitude, mais qu’on lui en fasse la demande, fusse sur le ton de l’ironie, elle ne savait guère quelle conduite adopter.

« C’est quoi ton problème gamine ? T’es tombée sur la tête dans la forêt ? T’es masochiste ou un truc comme ça ? » S’enquit la rousse, essayant tant bien que mal de s’adapter à cette étrange situation.

Déjà que le dialogue n’était pas le fort de la misanthrope en tant normal, mais devant cette originale, elle avait tiré le pompon. Plus la petite blonde s’exprimait, moins Alice savait où donner de la tête. Le ton employé, les sous-entendus douteux à peine dissimulés, tout ça sonnait trop étrange de la bouche d’une aussi jeune demoiselle.

« Alice… » répondit sobrement la rousse avec une voix mal assurée en réponse à son interlocutrice. Son esprit lui hurlait de l’insulter, de l’attaquer, de faire quelque chose de violent, mais son corps ne l’entendait pas de cette oreille.

Bien qu’elle n’était pas spécialement fermée aux sous-entendus douteux, les remarques déplacées de la petite blonde la rendaient étrangement mal à l’aise. La différence entre le physique innocent qu’elle voyait et les paroles débauchées qu’elle entendait ne faisaient qu'ajouter à la confusion de la rousse. Pour éviter une autre remarque sur ses pieds, elle les sortit de l’eau et ajusta sa position. Elle s’allongea sur le côté et replia ses jambes pour les cacher. Elle posa un coude à terre pour soutenir sa tête. D’un point de vue extérieur, on pouvait presque croire qu’Alice prenait la pose pour un tableau.

« Et, tu fais quoi ici ? T’avais pas un endroit pour pêcher chez toi ? » Demanda la jeune femme, pas tant par plaisir de faire la conversation que pour montrer son exaspération d’avoir été dérangée pendant sa pseudo sieste champêtre.

A sa question à moitié sérieuse, la petite blonde avait répondu en niant son côté masochiste. Lorsqu’elle évoqua le “type S”, Alice la regarda dans un premier temps avec perplexité, ne comprenant pas ce que signifiait cette expression. Ne voulant pas passer pour une idiote, elle essaya de réfléchir et, lorsqu’elle compris, le rouge lui monta aux joues et contrasta avec sa pâleur de visage. Décidément, cette petite avait l’esprit diablement tordu, ou alors Alice avait l’esprit plus pur que ce qu’elle pensait.

« J’en ai vu des beaufs dans ma vie, mais toi tu décroches la palme. » dit Alice, qui ne manquait pas d’exemples en tête en se remémorant tous les abrutis à l’esprit tordu qu’elle avait côtoyé. C’est un peu de là qu’elle tenait son franc parlé d’une certaine façon.

Après que les présentations furent faites, Alice perdit une nouvelle fois pied. Cependant, c’était pour une raison fort différente de la première fois. Avec une surprenante rapidité, la jeune rousse se mit soudainement débout et se rapprocha légèrement de son interlocutrice.

« C’est joli ? C’est vrai ?! » Demanda t-elle avec entrain, le ton de sa voix trahissant son envie d’obtenir une réponse positive.

C’était une étrange sensation que celle d’un compliment, étrange en effet parce que c’était quelque chose de nouveau pour Alice. Telle une enfant qui découvrait quelque chose pour la première fois, ce qui était le cas ici d’une certaine façon, la jeune rousse jetait un regard emplit de curiosité à Elain. Cependant, ce moment fut aussi bref qu’intense. Très vite, le regard pétillant redevint suspicieux.

« Pourquoi tu dis que c’est joli ? Tu veux quelque chose c’est ça ? C’est pour ça que t’es là au milieu de nul part ? »

Alice se mit sur la défensive, commençant à questionner Elain de manière paranoïaque sur ses véritables motivations. Ce brusque changement de comportement découlait du fait qu’Alice ignorait complètement la notion de gentillesse. Son vécu l’empêchait de conceptualiser qu’une personne puisse être gentille de manière désintéressée. Pour elle, les humains se manipulaient entre eux et ne nouaient des relations que pour en tirer avantage.

En attendant la réponse de son interlocutrice, Alice regagna sa place initiale. Elle remit ses jambes dans l’eau et les balançait mécaniquement tout en écoutant Elain parler. Pas de foyer ? Alice comprenait un peu ce sentiment, ça faisait au moins dix ans qu’elle n’en avait plus. En avait-elle jamais eu un d’ailleurs ?

« Je suis venue parce que c’est paumé justement. Y’a trop de monde à Crystal Valley, c’est oppressant. » répondit la rousse qui retrouvait doucement son calme après sa petite crise de paranoïa.

Une fois sa petite crise de paranoïa passée, Alice se contenta d’écouter distraitement son interlocutrice. Cette dernière disait être là simplement pour pêcher, peut-être était-ce vrai ? Alice doutait, c’était dans sa nature profonde que de remettre la sincérité des gens en doute. Mais là, elle ne sentait aucune agressivité dans la voix d’Elain, aucune fourberie. Bien au contraire, la petite blonde semblait on ne peut plus franche…voir carrément trop franche.

Alice apprit qu’elle aussi résidait à Crystal Valley mais avait le voyage facile. La rousse comprenait cela, elle était un peu pareille. C’est même pour cela qu’elle était si loin de tout aujourd’hui. Elle se doutait que doutait que leurs motifs pour voyager étaient différents, mais ce semblant de point commun contribua à atténuer la méfiance d’Alice. Dans un sens, elle appréciait de ne pas être la seule adepte du vagabondage du coin.

Très vite, la blonde revint à la charge, elle semblait décidément faire une vraie fixette sur les pieds d’Alice. Au même moment, la rousse remarqua que la canne à pêche se tendait, visiblement une prise avait mordu.

Soudain, une idée lui traversa l’esprit et un sourire malicieux apparut sur son visage.

« Et bien, puisque tu les veux tant, laisse-moi accéder à ta requête. »

Sur ces mots, la jeune femme sortie les pieds de l’eau, se leva et marcha en direction de la pêcheuse assise. Une fois arrivée à son niveau, la rousse leva la jambe et vint poser son pied en appui sur la cuisse de la jeune blonde.

« Satisfaite ? » Demanda Alice en toisant son interlocutrice avec un regard arrogant.

L’objectif d’Alice n’était pas vraiment de donner satisfaction à Elain mais plutôt de détourner son attention. Elle espérait qu’en la gênant ainsi, cela entraverait sa pêche et laisserait au poisson le temps de s’en aller. C’était mesquin certes, mais raisonnable quand on connaît le sort habituellement réservé à ceux qui contrarient la rousse.

Cette fois elle en était persuadée, Alice allait faire mouche et ôter son petit sourire à la blonde. Elle qui était venue pour pêcher, elle n’aurait plus qu’à dire adieu à son poisson. Du moins, c’était le plan. Car, encore une fois, c’est la rousse qui allait se prendre les pieds dans le tapis.

Au lieu de voir une moue agacée, Alice se fit littéralement prendre au piège pour les jambes de la blondinette. Instantanément, en réaction, elle tenta de retirer son pied…sans succès. Elle avait beau forcer, impossible de le soustraire à l’emprise d’Elain. Déjà qu’Alice trouvait qu’elle avait un drôle de comportement pour son âge, mais une force pareille ? De la magie ? Oui, c’était sûrement ça.

Pour se défendre de la pêcheuse qu’Alice se mit à nouveau à considérer comme hostile, elle décida d’attaquer en retour. Se concentrant, elle commença à faire apparaître de l’énergie sombre dans son dos. Lentement, très lentement…trop lentement ? Etrange, d’ordinaire il ne lui fallait que quelques secondes pour que des griffes sombres lui jaillissent du dos, mais cette fois c’était différent. Elle avait beau se concentrer et forcer, c’est à peine si elle pouvait matérialiser son pouvoir. Le peu qu’elle parvint à faire apparaître était tellement insignifiant qu’Elain ne devait même pas me remarquer étant donné qu’elle lui faisait presque face et qu’elle était, de toute façon, occupée à faire sortir son poisson de l’eau.

Trop concentrée à essayer de faire usage de sa magie, Alice ne remarqua pas qu’Elain avait finalement récupéré sa prise, ce fut que quand elle prit son pied pour y déposer un baiser qu’Alice reprit brutalement conscience de ce qui l’entourait. Le peu de matière obscure qu’elle avait pu matérialiser disparut aussitôt.

« Hein ? » fut la seule réaction d’Alice devant ce geste imprévu.

Elle regardait Elain avec des yeux interrogatifs au possible. Elle était perdue, elle ne comprenait pas. Ce compliment, ces taquineries, ce baise-pied, tout ça n’avait rien d’hostile. C’était doux, c’était agréable, c’était…gentil tout simplement. Mais ça, Alice ne le comprenait pas. C’était nouveau pour elle, son esprit ne savait pas comment interpréter ces gestes qui étaient tout sauf hostiles.

Lentement, une petite larme de couleur noire se format au coin d’un des yeux d’Alice et perla lentement sur sa joue, laissant une trainé colorée sur son passage. Elle n’éclata pas en sanglots, loin de là, mais son regard trahissait clairement son état de désorientation. Toutes ces sensations qu’elle éprouvait, elle ne les comprenait pas. Elle était incapable de répliquer quoi que ce soit à Elain, attendant silencieusement et avec un regard suppliant que la blonde apporte une réponse, n’importe laquelle, aux questions qui se bousculaient dans sa pauvre tête.

Alice attendait une réponse, une réponse qui ne venait pas. En un sens c’était normal, difficile de répondre aux interrogations d’une inconnue, encore plus quand ces dernières étaient silencieuses et pas des plus claires, y compris pour la principale concernée.

Regardant Elein se lever pour préparer un feu, Alice restait silencieuse. Sa tête bougeait au rythme de la petite blonde ramassant quelques branches qui trainaient dans le coin pour servir de base au feu de camp. Lorsqu’elle invita Alice à s'asseoir, la rousse acquiesça, toujours silencieuse et alla s'asseoir près du feu. Lorsque celui-ci fut allumé et commença à prendre en ampleur, Alice approcha lentement ses mains pour profiter de la douce chaleur. Lorsque Elain lui demanda de quoi elle voulait parler, la rousse fut un peu prise de court. La misanthrope n’avait pas l’habitude de faire la conversation, encore moins dans une situation aussi inédite que celle-là. Elle croisa les bras et réfléchit pendant de longues secondes, la concentration se lisant sur son visage.

« Pourquoi tu es gentille avec moi ? » fut la question qui sortit finalement de la bouche d’Alice.

Elle aurait pû demander plein d’autres choses, s’étendre sur son vécu, mais ce n’est pas l’option qu'elle a choisie. C’était celle qui lui était venue naturellement. Oui, ce qu’elle voulait savoir c’est pourquoi une parfaite inconnue faisait preuve de gentillesse à son égard alors qu’elle n’avait rien fait pour le mériter. Elle voulait comprendre le raisonnement derrière ces agissements, a priori, dépourvus d’arrière pensées. L’odeur du poisson en train de griller éveilla l’appétit d’Alice, appétit que son corps exprima par des gargouillis plutôt sonores. Elle rougit et se racla la gorge pour faire comme si de rien n’était.

« Maintenant que j’y pense, c’est la première fois qu’on me fait à manger. » Réalisa la jeune femme, incapable de se remémorer la dernière fois ou une personne autre qu’elle même lui avait cuisiné quelque chose de convenable.

« C’est la première fois qu’on me fait un bisou aussi…et qu’on me dit que mon prénom est joli. » Poursuivit la rousse sur la lancée.

Puisque Elain lui avait demandé de quoi elle voulait parler, la voilà qui vidait son sac presque naturellement. C’est cocasse pour une misanthrope ayant d'ordinaire du mal avec le fait de côtoyer autrui. Mais c’était révélateur d’une chose, Elain était la première fois d’Alice sur bien des aspects. C’étaient des petites choses sûrement anodines pour le commun des mortels, mais pas pour Alice qui les expérimentait pour la première fois ou presque.

Pourquoi pas ? C’était la réponse ?! Le moins qu’on puisse dire, c’est que c’était sobre et plutôt avare en justifications. Malgré tout, Alice prit quelques instants pour réfléchir à cette curieuse réponse. Elle s’était demandé plusieurs fois pourquoi Elain avait été gentille avec elle car cela semblait quelque chose de fondamentalement curieux pour la misanthrope. Mais si on réfléchissait en passant de l’autre côté du miroir…pourquoi être méchant avec autrui ?

Cela voulait dire que tout le monde n’était pas méchant finalement ? Qu’il y avait aussi des gens bien ? Alice avait un peu de mal à y croire, son esprit étant formaté à penser le contraire. Cependant, tous dans les agissements d’Elain semblaient aller dans ce sens. Et puis après tout peu importe, Alice était venue là pour se reposer, pas pour se fatiguer inutilement l’esprit. Si le monde n’était pas aussi que ça, elle aurait bien l’occasion de le constater un jour. Pour l’heure, à table.

« Mais c’est trop bon ! » s'exclama Alice en savourant le morceau de poisson qu’elle venait de croquer.

La rousse affichait un visage ravi tandis qu’elle savourait le poisson. Elle avait rarement mangé quelque chose d’aussi bon. Peut-être qu'objectivement, les poissons d’Edoras étaient plus savoureux que ceux d’Earthland. Ou peut-être que, au-delà du goût, c’est le fait de partager un repas avec autrui qui rendait celui-ci plus délectable aux yeux d’Alice. Dans tous les cas, la rousse était heureuse de manger et ça se voyait…littéralement. En effet, de petits cœurs de matière noire se formaient à son insu au-dessus de sa tête. Telles des bulles de savon, les petits cœurs montaient de quelques centimètres avant de se dissiper naturellement sans le moindre bruit. Le spectacle devait être original vu de l’extérieur.

« Une dernière faveur avant de devoir sortir le porte monnaie ? Oh je vois, tu es ce genre de fille là ? Ça veut dire que j’ai le droit à un tour gratuit ? » Plaisanta la rousse dont la réponse, formulée d’un ton sensuel sur la fin, était lourde de sous-entendus.

Sa petite crise existentielle passée, la demoiselle avait retrouvé son caractère habituel plus taquin et rentre dedans. Elle n’avait pas oublié son objectif de déstabiliser la blonde, elle devait y arriver, question de fierté…et surtout d'orgueil.

« Mais sois gentille avec moi, pour ça aussi c’est la première fois…  » poursuivit elle d’une voix faussement innocente.

Alice testait la blonde et se décida à utiliser ses propres pièges contre elle. Au mieux la blondinette ne s’y attendrait pas et serait décontenancée par la nouvelle approche d’Alice. Au pire, elle répliquerait probablement avec une phrase du même acabit. En tous cas, c’était ce qu’Alice anticipait.

Alice attendait avec impatience la réaction d’Elain, elle espérait que l’approche soudainement plus aguicheuse surprenne la blonde, au moins un peu. Elle n’y croyait cependant pas vraiment, la petite blonde semblait quelqu’un de difficile à déstabiliser aux vues des différentes réactions qu’elle avait eu jusque là. Alice s’attendait davantage à se prendre une réplique bien sentie dans la figure, mais ça aussi elle s’y était préparée psychologiquement. Quoi qu’Elain puisse lui sortir, elle resterait droite dans ses bottes.

Encore une fois cependant, c’est la rousse qui fit prise au dépourvu lorsque la blonde adopta une approche qu’elle n’avait, bien naïvement, pas anticipé. Elle répondait à l’invitation aguicheuse d’Alice ? Sérieusement ? Pour de vrai ? Plus Elain s’approchait avec un regard qui en disait long, plus Alice regrettait sa prise d’initiative trop audacieuse. Ses yeux étaient écarquillées, elle était incapable de piper mot à cause de la surprise. Son visage rougissait au fur et à mesure que son espace vital diminuait, elle voulait réagir mais ne savait pas comment.

Lorsque la blonde la gratifia d’une pichenette et d’un rire franc, Alice se sentit autant soulagée qu’idiote. Encore une fois, elle s’était faite avoir.

« Tu m’énerves…  » grommela Alice avec une mine boudeuse. Elle avait l’impression d’être un jouet mais, curieusement, cela ne la mettait pas autant en colère qu’à l’accoutumée. Plus le temps passait, plus elle se mettait à apprécier cet étrange petit jeu dont elle n’avait pourtant gagné aucune manche. La remarque d’Elain sur le manque de prudence d’Alice et sur les gens mal intentionnés fit rire la misanthrope aux éclats.

« Je ne suis pas imprudente, je sais me défendre. Des gens cruels j’en ai connus…et malheureusement pour eux je suis du genre rancunière. » répondit la rousse avec un petit sourire en coin, préférant rester évasive sur ses méthodes plutôt radicales.

« Et puis t’es mal placée pour faire ce genre de remarque. T’as une tête de demi-portion et tu parles de mes pieds comme une dépravée en manque. » poursuivit la rousse avec franchise et avec un certain jugement dans la voix. Elle en avait cotoyé quelques uns des pervers dans sa vie, mais jamais qui ressemblaient à une petite blondinette au visage d’ange.

La remarque d’Alice à l’encontre d’Elain était dite avec un dégoût non dissimulé, la rousse était décontenancée par l'enchaînement de sous-entendus douteux de la jeune fille. Alice n’était pas une sainte et il lui arrivait de faire occasionnellement des remarques graveleuses, mais là c’était à un tout autre niveau. Loin de s’en offusquer, la blonde sembla assumer complètement cet aspect de sa personnalité. On avait presque l’impression que la remarque d’Alice passait pour un compliment à ses yeux. Il faut dire que le contraire aurait été surprenant.

Continuant à manger son poisson en essayant de se focaliser sur autre chose que les remarques douteuses d’Elain, Alice continuait néanmoins à l’écouter distraitement.

« C’est vrai qu'il est délicieux ce poiss… » commença Alice en réponse au commentaire d’Elain avant de s’interrompre. Entre le regard plutôt évocateur de la blonde et ses nombreuses remarques précédentes, la rousse fut frappée d’un éclair de lucidité. Ce n’était pas le poisson qui semblait faire le plus envie à Elain actuellement…

Lorsqu’elle réalisa cela, Alice se mit à rougir, contrastant avec sa pâleur de peau naturelle. Elle qui avait toujours éprouvée une certaine frustration d’être laissée de coté, elle se demandait si ce n’était pas si mal finalement en comparaison de l’intérêt douteux que son interlocutrice semblait lui porter.

« Je te vois venir avec tes gros sabots. Je commence à te cerner, tu ne m’auras plus si facilement. » repliqua Alice en se forçant à ne pas réagir excessivement à la énième remarque déplacée d’Elain à son encontre. Si ses joues rouges trahissaient qu’elle était tout de même quelque peu embarrassée, elle soutenait néanmoins le regard d’Elain avec un air qui se voulait assuré.

« J’ai compris comment tu fonctionnes espèce d’obsédée sexuelle, tu ne joueras plus avec moi. » poursuivit la rousse d’un ton un peu trop enthousiaste et chargé d'orgueil.

Elle pensait avoir compris comment fonctionnait la petite blonde avec ses remarques douteuses et ses simulacres d’approche qui l’étaient tout autant, elle ne se laisserait plus décontenancée par ça. Seulement, au fond d’elle, une petite voix lui hurlait que la blonde avait encore des sales tours en réserve.

Alice attendait la réaction d’Elain, voir comment elle pourrait gérer une rousse qui se considérait désormais hermétique à ses approches déplacées. Pas spécialement humble, la blonde se vantait du nombre de demoiselles qu’elle était parvenue à ramener sous la couette. Alice avait du mal à y croire, déjà que la blonde paraissait jeune pour être aussi graveleuse, mais en plus elle avait déjà expérimenté les plaisirs charnels ? C’était tout autant malsain que difficile à croire, même si la blondinette ne paraissait pas mentir pour autant.

Après cette énième remarque de débauchée, la rousse s’attendait à ce qu’Elain surenchérisse une nouvelle fois pour essayer de la déstabiliser. Cependant, la blonde décida de…ne rien faire !? Sérieusement ? C’est tout ? Il suffisait simplement de lui tenir un peu tête ? Alice avait du mal à y croire, c’était presque trop beau pour être vrai.

« C’est tout ? Tu ne vas vraiment rien tenter de douteux ? » questionna Alice en dardant son interlocutrice d’un regard suspicieux montrant qu’elle n’y croyait pas du tout. Non pas qu’elle veuille que la blonde revienne à la charge, c’est simplement que le brusque changement d’attitude lui paraissait presque trop beau pour être vrai.

« Ce que je vais faire après ? J’hésite entre te noyer ou te rôtir à la broche. » répondit la rousse le plus normalement du monde en finissant de manger son poisson, comme s’il s’agissait d’une simple conversation de table.

Elle ne pensait pas vraiment ce qu’elle disait, mais puisque c’était dans le style d’Elain de sortir des sous-entendus douteux à la chaîne, alors Alice se mit naturellement à répliquer à sa manière à coups de remarques un peu glauques.

« Et après ça j’en sais rien. J’ai pas spécialement envie de retourner dans ce désert à la con tout de suite. Je pense que je vais continuer à voyager un peu. » poursuivit-elle de manière plus sérieuse tout en s’étirant avant de se laisser retomber doucement dans l’herbe.

Alice avait fini par arrêter de chercher des poux à la blonde, ces réactions étaient trop…originales par rapport à ses standards. Quoi qu'elle fasse, ça finissait toujours par se retourner contre elle. Le fait qu'Elain choisisse de partir sur une conversation banale offrit à Alice une porte de sortie qu'elle saisit bien volontier. Inutile de chercher plus longtemps le conflit avec l'autre, elle était là pour se reposer après tout.

Alors qu'entre deux réponses banales, Alice adressa des petites piques à la blonde, la réaction de cette dernière prit, encore une fois, la rousse de court. De l'exercice ? Pour des mages, c'est le genre de chose qui signifiait généralement une bataille dans les règles de l'art.

« Quoi ? tu veux te battre, ici et maintenant ? » répondit Alice en se révélant, adressant à la blonde un regard interrogateur pour savoir si elle était sérieuse ou si c'était encore une énième plaisanterie ayant pour but de déstabiliser son interlocutrice. Cependant, le regard espiègle et provocateur d'Elain ne laissait pas de doute, elle voulait vraiment se battre.

« Tu me proposes une occasion de t'apprendre à te taire et tu penses que je vais refuser ? Ce serait me sous estimer.  » Répliqua la mage noire avec un sourire méchant sur le visage, ses yeux animés d'une lueur qui trahissait sa soif naissante de violence.

Se relevant complètement, Alice fit quelques pas pour se mettre à une certaine distance d'Elain. Les matchs d'entrainement, ça pour le coup c'était quelque chose qu'elle connaissait. La communication par la violence, c'était quelque part l'une des rares formes de sociabilité auxquelles Alice était habituée, enfin si on pouvait considérer cela comme tel.

Levant le bras devant-elle, Alice fit apparaître de la matière noire qui prit rapidement la forme de petits piques qui, une fois complètement formés, se mirent à tourner de plus en plus vite sur eux-mêmes.

« Je te préviens, enfant ou pas ça m'importe peu. Tu t'es suffisamment amusée à mes dépends aujourd'hui…à ton tour de me divertir un peu ma petite ! » Continua la rousse, un sourire sadique et impatient sur le visage.

Tandis qu'elle prononçait ces mots, Alice engagea les hostilités. Les petites foreuses de matière noire se mirent à filer tout droit en direction d'Elain. Elles n'étaient trop dangereuses, l'intérêt de cette première attaque était surtout de jauger les capacités de la blonde pour voir quel type de capacités elle possédait.