Le silence s’invite rarement dans leurs interactions, toujours d’accord pour être en désaccord, les visions opposées sur la marche à suivre. Dynamique établie en amont de la chute, avant qu’ils ne se retrouvent dans le rôle de leurs adversaires, simple poche rebelle perdue au cœur d’un royaume qu’ils voudraient renverser. Les différences d’opinions ont eu raison des efforts consentis, jamais capable d’avancer d’un pas synchrone, jusqu’à l’échec. Ethan, les événements tournent en boucle dans son esprit. Il a milité pour la conquête du nord, pariant qu’une réussite pourrait remettre l’armée sur de bons rails, qu’un tel avantage valait le coup d’ouvrir une brèche dans leurs défenses. Mais tout s’est cassé la gueule, ne lui offrant qu’un sentiment de culpabilité ne cessant de le hanter depuis. On apprend de nos erreurs, il aurait préféré rester con. Impossible de refaire le passé, alors il tente de compenser. Des actions en boucles, sur tous les fronts, afin de venir en aide aux citoyens au-delà des frontières de la Cité Royale. Le sujet du jour concerne des informations sur un des laboratoires utilisés par le royaume de la Lune, une installation servant à extraire les aethernanos des mages. Suffisamment de renseignements ont été compilés pour qu’Ethan juge une intervention possible, avant de conclure que l’aide de la Deuxième Division s’avère cruciale au bon déroulement de l’opération. Ne reste plus que la partie la plus ardue de la mise en place, convaincre son homologue écarlate du bien-fondé de l’idée. Droit, sans un mot, il attend le verdict en regardant les pages se tourner les unes après les autres. Pas besoin de beaucoup avant de comprendre qu’une fois encore, leurs opinions ne s’alignent pas, il reconnaît le ton pour l’avoir entendu trop régulièrement. « Et laisser tous les autres à leur propre sort en attendant d’avoir assez d’informations sur Rosewood ? » Une vision ne lui ayant même pas traverser l’esprit. Bien sûr, il a conscience que dans leur situation, toutes les vies n’ont pas une importance égale, mais il refuse de s’abaisser à un tel jugement pour déterminer qui mérite, ou non, d’être secourus. « Vu tous les efforts consentis pour cacher sa survie, on peut en conclure l’importance que lui porte Skyadrum. Et toute la difficulté pour s’approcher d’elle qui en découle. » Ils ne sont pas en position avantageuse, loin d’avoir les capacités d’extraire une personne gardée, semble-t-il, avec attention par le maître des ténèbres. « Pour l’instant, il y a d’autres personnes que nous pouvons aider. » Comme l’ensemble des mages présents dans ce foutu laboratoire et réduis à l’état de batteries humaines.

Les arguments ne font pas effet avant la conclusion cinglante, les dossiers balancés sur l’imposante table, la réponse sonne comme une claque. Il avait anticipé un débat houleux pour arriver sur un accord plus ou moins bancale qui conviendrait aux deux, mais pas du tout le manque d’empathie affiché. Il en faut plus pour voir Ethan s’avouer vaincu, mais une irruption l’empêche de retourner à la charge. Juste à regarder l’expression déformant le visage de l’intrus, les deux commandants comprennent que l’information à venir risque de bouleverser leurs plans. « River n’est pas rentré. » Ces mots suffisent à initier des problèmes au-delà de l’imaginable. Son regard se tourne instantanément vers Erza, alors que les détails sont énumérés par le subordonné. Un autre fait son apparition, puis un troisième, transformant la calme de la salle en véritable cacophonie, chacun énonçant de nouvelles informations se croisant dans tous les sens. Tout s’emmêle, jusqu’au semblant d’ordre amené par la voix de la commandante, surplombant le reste et, enfin, les événements sont relatés de manière à avoir du sens. La disparition de Pierce aux mains de l’ennemie vient porter un coup majeur à la Résistance, un coup dont ils n’ont vraiment pas besoin actuellement. Il observe toujours l’écarlate, soudainement moins tranchante jusqu’à l’arrivée d’un membre de la Troisième et d’informations supplémentaires, annonçant que la trace du soldat manquant a été retrouvée.

Il connaît le ton utilisé par Erza lorsqu’elle veut lui faire comprendre son désaccord, il connaît tout aussi bien celui qu’elle emploie avant de s’élancer arme en main, tout autant que le regard qui accompagne ce genre de pensées. Elle part, avec toute la détermination qu’on lui connaît, sans le moindre doute quant à sa destination. Les ordres pleuvent pour que les préparatifs soient expédiés et tout le monde s’agite comme si la Cité venait de se faire attaquer. « Erza. » Il s’active, à son tour, mais sa voix se perd dans le brouhaha causé par l’agitation ambiante. Quittant la salle de réunion, il emboite le pas de l’écarlate, se pressant jusqu’à la rattraper. « Erza, stop ! » Une main sur l’épaule pour l’arrêter, quitte à se prendre un retour instantané, la laisser partir ressemble à tout sauf une bonne idée. L’enchaînement des événements mérite au moins un instant de réflexion pour ne pas s’élancer à l’assaut d’un piège attendant patiemment sa proie. « Tu peux pas partir tête baissée avec aussi peu d’informations. » Ils n’ont que des fragments, pas de quoi avoir une image complète. Partir maintenant, c’est prendre le risque de perdre bien plus que Pierce et planter un nouveau clou dans le cercueil de la Résistance. Ils ont déjà tellement perdu qu’ils ne peuvent pas se permettre de jeter leurs forces par la fenêtre. « Tu ne veux pas gaspiller nos forces pour aider ceux que tu juges trop faibles, très bien, même si ta moralité est plus que douteuse. Mais dans ce cas, tu ne peux pas non plus risquer notre plus grosse force de frappe dans un sauvetage suicide à l’aveugle quand tout pointe vers un piège. » L’agitation s’estompe légèrement face à la nouvelle confrontation.

Bien sûr, qu’une simple étreinte sur l’épaule ne va pas suffire à mettre un terme à l’avancée, même les mots n’ont pas cette force. Elle balaie le tout comme une poussière qui serait venue salir son armure, ne prenant même pas la peine d’y accorder un semblant d’intérêt. Elle s’échappe de la prise, mais il en faut plus pour venir à bout de l’obstination du Cavendish, tentant de la raisonner sans pour autant croire qu’il réussira à se faire entendre aussi facilement. La logique a foutu le camp, envoyée volé par la tempête résultant de la disparition de Pierce. Tout le monde s’agite autour d’eux, suivant les ordres de la commandante, pendant qu’Ethan verse dans une minitirade avec le maigre espoir d’avoir un impact. Il ne lâche pas la distance, tellement sur les talons de l’écarlate que son arrêt soudain le prend en défaut. De tous les scénarios possibles, celui où elle s’arrête net pour lui répondre ne se trouvait pas en haut de la liste. La marche du commandant cesse avec un léger délai, le laissant à seulement quelques centimètres de son interlocutrice. Les trois mois qu’elle prononce laissent place à la surprise, la phrase à un air de mirage tellement ils sont incapables de s’accorder sur le moindre sujet. Il attend la suite, le « mais je m’en tape de ton avis Ethan » qui traîne toujours de manière plus ou moins subjective, mais qui, cette fois, ne semble pas pointer le bout de son nez. À la place, une explication pleine de calme, contrastant sans mal avec les derniers ordres lancés. Pas besoin de forcer pour comprendre qui l’inaction n’est pas une solution envisageable, lui le premier à se lancer dans des plans pas toujours parfaitement réfléchit. Sauf qu’ils n’ont plus le luxe de telles entreprises, le moindre faux pas pouvant les conduire à une défaite définitive. La vision de Nyx dans son plus beau peignoir à se la couler douce lui arrache un rictus, éphémère, avant que le sérieux de la situation ne l’estompe aussi rapidement.

Pas de temps mort, leur quotidien depuis que le royaume est devenu une résistance sans la moindre position de force. À peine en appelle-t-elle à une sorte de compassion pour lui faire comprendre son point de vue qu’on annonce que le préparatif au départ sont terminés. Il n’en faut pas plus à Erza pour repartir de l’avant, et forcer Ethan à la suivre jusque dans les écuries. « J’incluais pas les autres dans mon discours. » Le gaspillage des forces n’a rien à voir avec l'envoi de troupes pour récupérer Pierce, le bonhomme vaut une armée à lui seul, comme sa commandante, le laisser aux forces ennemies n’a rien d’envisageable. « Notre plus grosse force de frappe, c’est toi, Erza. » Il presse le pas, suffisamment pour prendre les devants et, à son tour, s’arrêter net une fois qu’il lui fait face. « Oui, chaque seconde qui passe éloigne Pierce, mais te jeter tête perdue dans son sauvetage ne fera qu’aggraver les choses. S’ils ont réussi à le choper lui, tu peux être certaine qu’ils auront prévu le comité d’accueil pour toi aussi. Je suis même persuadé qu’ils n’espèrent qu’une chose, c’est que tu te pointes là, tout de suite. » Elle a beau être une formidable combattante, trop d’éléments viennent jouer contre elle pour s’en sortir sans un minimum de préparation. « Si par miracle, tu t’en sors, ok, je serai le premier à reconnaître que j’avais tort. Mais, si toi aussi, tu termines entre les griffes de cette putain de secte, il se passe quoi ? » Des conséquences catastrophiques pour leur camp, bien plus qu’une nouvelle perte affichée à leur compteur. « Et me sors pas de conneries comme quoi t’as peur de personne. Tu penses vraiment que tous les soldats présents continueront de se battre après vous avoir vu Pierce et toi tomber ? » Le moral est déjà quasi inexistant chez la grande majorité d’entre eux, aucun ne se remettrait d’une telle défaite. « Je te demande pas de ne rien faire, je sais que c’est pas dans tes gènes. Coordonne-toi avec Richard, au moins pour avoir un plan qui ne se résume pas à simplement attaquer aveuglément là où on t’attend. » La troisième doit aussi être sur le qui-vive pour récolter des informations. « Si tu pars à l’aventure et que tu tombes, c’est terminé. Définitivement. »

« L’absence de crainte ne te rend pas invincible, au contraire. » Et l’assurance de ses paroles ne va pas non plus le convaincre. Pierce n’avait rien à craindre, fleuron de ce qu’il reste de l’armée, capable de s’en sortir contre vents et marées, pourtant, il cristallise aujourd’hui toutes les inquiétudes. Comme n’importe quel organisme vivant, leurs ennemis ont fini par évoluer face au danger, s’armant pour combattre les plus grandes menaces que la Cité Royale a la capacité de leur balancer. « Je te demande pas de rester là sans rien faire, mais de ne pas agir comme toutes les personnes du continent pourraient l’anticiper. Tu pouvais te le permettre avant, plus maintenant. » Pas besoin d’évoquer la précarité de leur situation comme un vieux disque rayé, chacun est conscient qu’ils n’ont plus le momentum depuis l’échec des expéditions dans le nord. Ils sont les outsiders cherchant un angle pour retourner une situation désavantageuse, empirant sans qu’une solution se présente. Le temps est l’une des ressources le plus précieuses dont ils ont besoin, et pourtant, celui-ci n’est pas à leur avantage. Chacun campé sur ses positions dans une opposition dont tous sont témoins. Aucun des deux ne veut céder aux arguments de l'autre, n’y voyant que les défauts, aveuglé aussi bien par l’émotion que par les événements des derniers mois. Ils n’arrivent jamais à se mettre d’accord, qu’importe le sujet évoqué, peut-être l’une des raisons ayant pesé dans l’équation menant à l’ordre du royaume actuel. Et, lorsque leurs arguments s’entrechoquent comme présentement, l’opposition finie toujours par escalader. On pourrait croire à une énième scène entre les deux commandants quand Erza empoigne la veste de son homologue, brisant la distance les séparant, mais l’inverse se produit. Aparté, la voix s’abaisse pour délivrer une confession, tirant un soupir au Cavendish. « Je ne prends pas ce facteur en compte, car c’est des conneries. » La discrétion en est la preuve. « Si tu t’en tapes tant que ça, qu’est-ce que t’en as à faire qu’ils soient tous au courant ? Personne ne se bat aussi longtemps et avec autant d’ardeur sans une bonne raison derrière. Quelle est la tienne, si le sort des autres te passe au-dessus de la tête ? » Il soutient le regard de l’écarlate, ses pupilles fermement accrochées aux siennes malgré le tissu bandant ses yeux.

Finalement, les justifications se dévoilent, passant au-delà de l’orgueil et de la réputation lui collant à la peau, pour délivrer des arguments ayant du sens. River possède un statut différent des autres bras cassés, comme elle les appelle, le temps et les épreuves forgeant un lien solide entre Erza et la cause de son agitation actuelle. « Je ferais certainement la même chose que toi, à n’en pas douter. » Ils ont échangé leurs rôles sans même s’en rendre compte, les émotions en conflit avec la raison. L’ironie de la situation le frappe, lui qui préconise de réfléchir et de minimiser les risques avant d’entreprendre toute action. Alors qu’il est le premier à se mettre en péril pour venir en aide à qui en a besoin. « Mais vu mon historique en la matière, ça devrait te faire réfléchir à deux fois avant d’aller plus loin. » Elle a souvent critiqué ses décisions, avec des arguments aussi valables que ceux qu’il tente de lui opposer présentement. Si l’idée venait de lui, sans l’implication émotionnelle d’Erza, leur échange n’aurait rien de différent par rapport à tous ceux qu’ils ont déjà eus, comme celui qu’ils étaient en passe de débuter avant que la nouvelle de la disparition de Pierce ne vienne tout chambouler. « Une fin honorable. » Qu’il répète en arquant un sourcil. « Je ne t’ai jamais entendu avoir un discours aussi pathétique. Arrête d’agir comme si tes choix n’avaient pas d’impact sur un autre futur que le tien. Y’a quoi d’honorable à partir si en échange tu condamnes toutes les personnes prisent au piège dans ces faux royaumes et l’ensemble des soldats encore prêt à se battre ? » Il y a beaucoup de choses dans cette balance qu’il cherche à équilibrer, sûrement trop pour y arriver un jour. « Regarde-les s’agiter à la moindre parole. Ils ne le font pas uniquement parce que tu les intimides d’un simple regard, mais parce que t’as leur confiance, jusqu’à pouvoir mettre leur vie en jeu. Peu importe ce que tu penses d’eux, ils te regardent comme un leader, agis en conséquence, pas comme une simple lame sans autre rôle. » Elle est bien plus qu’un chien d’attaque balancé à la gueule des adversaires, bien plus que le monstre symbolisant la terreur sous le règne de Faust. Ethan se libère de la poigne froissant sa veste, d’un geste calme, accompagné de quelques mots. « Je comprends, crois-moi. » Car sous toute cette logique argumentée depuis l’annonce de la chute de Pierce aux mains de la Nuit, le commandant reste lui-même. Le naturel est difficile à masquer malgré les efforts pour gommer l’impulsivité. « Je ne veux pas te dissuader, simplement t’éviter de foncer dans un piège mortel les yeux fermés. » La contraindre à l’inaction est impossible, inhumain, il le sait, car à rôle inverse, il partagerait cette incapacité à attendre. « Je suis prêt à t’aider. Tu n’as même pas à me demander, s’il faut t’accompagner pour récupérer Pierce, je serai là sans hésiter. Mais on a besoin de plus d’information avant de bouger. » Le temps ne joue pas en leur faveur, pourtant, il lui demande d’en sacrifier une petite partie. « On a quelques points servant d’abris aux civils cherchant à fuir les nouveaux royaumes, laisse-moi les contacter, en y ajoutant les informations de la troisième, on pourra déterminer la trajectoire de nos cibles. Plutôt frapper là où ils vont plutôt que là où ils sont et nous attendent. » Un pari basé sur la résilience du prisonnier, Pierce est une prise d’importance pour la Nuit, avec suffisamment de prestige pour qu’ils ne s’en débarrassent pas comme le premier déchet venu. « Je suis loin de connaître River aussi bien que toi, mais il m’a jamais paru l’air d’un type qui abandonne au premier revers ou qui pourrait mourir facilement. Il leur tiendra tête jusqu’à ce que tu puisses venir lui sauver le cul, peu importe ce qu’ils lui balancent à la gueule, tu ne penses pas ? » Il tente d’éloigner le spectre de la perte afin de désamorcer l’idée d’un destin funeste.